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L’affaire Meningitec

dimanche 10 juillet 2016 par Marc Girard

RÉSUMÉ - À la suite du retrait, en septembre 2014, de tous les lots distribués en France du vaccin Meningitec, près de 600 familles se sont lancées, sous la houlette du même avocat, dans une action civile pour obtenir réparation des troubles développés par leurs enfants après vaccination par cette spécialité. Après avoir rappelé les fondements de ces procédures, on en examine ci-après la crédibilité.

Introduction : près de 600 "plaintes" contre l’exploitant français d’un vaccin américain

À plusieurs reprises, divers correspondants ont sollicité mon avis sur « l’affaire Meningitec », sans que j’aie encore pris le temps de coucher par écrit mon analyse du problème posé – qui relève pourtant de mon expertise la moins contestable : la pharmacovigilance. Admettons que le moment soit venu d’une telle mise au point, et commençons par rappeler brièvement les faits.

Voici un peu moins d’un an (Le Parisien, 31/07/15), à la suite du retrait pourtant bien antérieur (septembre 2014) de tous les lots de Meningitec, plusieurs familles ont décidé d’engager une procédure au civil contre le Laboratoire CSP, exploitant en France de ce vaccin antiméningococcique fabriqué par le Laboratoire Nuron Biotech, une société américaine localisée dans l’État de Pennsylvanie. L’exploitant français étant localisé en Auvergne, c’est devant le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Clermont-Ferrand que l’action judiciaire a été portée.

Lancée initialement par une trentaine de familles, l’action en regroupe maintenant près de 600, sous la houlette d’un avocat qui se présente lui-même comme « spécialisé en affaires vaccinales ». C’est trop de modestie, car si cet avocat (dont je n’ai pas souvent vu le nom dans des affaires vaccinales significatives) a effectivement à son actif l’échec d’une affaire vaccinale a priori imperdable, il s’est également distingué en prétendant s’opposer à la fermeture d’un service de Garches au chef du « délaissement » (au terme d’une analyse juridique implacable compatible avec l’idée que les patients du Service auraient été abandonnés sans soin sur les pelouses – ou dans les parkings – de l’hôpital), sans parler d’autres exploits dont on peut avoir une vague idée en allant vaquer sur Google. On y apprend notamment qu’il aurait eu quelques problèmes de recouvrement d’honoraires avec d’anciens clients mécontents : mais avec un volant de 600 justiciables dont l’affaire appelle des écritures plus ou moins superposables, même une facturation bon enfant défiant toute concurrence à raison de 1 000 € par dossier doit correspondre à une coquette recette de 600 000 €, permettant à coup sûr d’affronter quelques désagréments de détail contre des cons dépourvus de la moindre sensibilité à l’endroit de la créativité juridique impressionnante de notre avocat « spécialisé » en (presque) tout.

Rappel des faits

Un défaut de qualité

Pour autant qu’on puisse le reconstituer sur la base des documents disponibles, c’est l’identification de particules de rouille dans certaines seringues qui a conduit les autorités sanitaires françaises à décider du retrait de tous les lots disponibles ; notons en passant que c’est l’exploitant qui avait spontanément informé les autorités de ce défaut de qualité (communiqué ANSM, 03/12/15).

Si l’on en croit l’Agence française :

  • ces particules de rouille proviendraient du bouchon ;
  • aucune de ces particules n’aurait été retrouvée dans les lots effectivement commercialisés en France.

Selon certains plaignants, relayés par la presse, des unités de vaccin auraient été vendues après le retrait.

Une symptomatologie protéiforme

Selon les familles demanderesses, le dommage imputable à ce vaccin défectueux tiendrait, chez les enfants concernés, à une symptomatologie assez protéiforme, incluant « fièvre inexpliquée à répétition, éruption sur tout le corps, maux de ventre, sommeil perturbé » (Le Parisien, 31/07/16), « troubles de l’alimentation (...), douleurs aux articulations, à l’abdomen, maux de tête (…), allergies, irritabilité » (AFP, 06/04/2016).

Divers contacts personnels avec des demandeurs font également état de « crises d’hystérie », « irritabilité », « troubles du caractère », « vomissements », « diarrhées », « toux », etc.

Une analyse « accablante »

S’il faut en croire les propos de l’avocat tels que rapportés par l’AFP (06/04/16), ce dernier aurait obtenu d’un laboratoire italien une analyse du « Professeur Stefano Montanari, chercheur reconnu pour ses travaux sur les nanoparticules ». Il en résulterait un rapport « accablant » montrant que le vaccin contient des « débris de plomb, de zinc, de titane » ainsi qu’un composant « légèrement radioactif ».

Avantage secondaire, toujours selon le même : les experts judiciaires – « indépendants », s’il vous plaît – dont il demande la désignation au TGI de Clermont-Ferrand « ne peuvent plus ignorer les résultats de cette analyse ».
Tout baigne, quoi…

Analyse des faits

Retrait de lots

Je n’ai pas retrouvé de données fiables ni sur la réalité de délivrances après retrait des lots, ni sur le nombre d’unités concernées : compte tenu des procédures de contrôle qui prévalent dans les pharmacies françaises (invoquées par la profession, soit dit en passant, pour justifier le surcoût lié au système), la chose est difficilement croyable – sauf peut-être dans les jours qui ont immédiatement suivi la mesure de retrait (c’est-à-dire dans des circonstances justifiant difficilement des actions judiciaires par centaines).

Il n’est pas impossible, non plus, qu’achetées avant le retrait, certaines unités, conservées quelques jours au réfrigérateur familial comme c’est souvent le cas avec les vaccins, aient été administrées après la décision de retrait.

En tout état de cause, c’est aux demandeurs – dûment conseillés par leur avocat « spécialisé » – d’apporter la preuve d’une telle délivrance hors délais. Pour avoir eu la responsabilité de dizaines d’affaires diéthylstilbestrol (Distilbène et autre), je sais qu’il est possible de documenter des délivrances antérieures de dizaines d’années : je n’ai donc aucun doute que ça doit pouvoir se faire pour des délais qui, au pire, ne peuvent excéder quelques semaines…

Indépendamment de cette question spécifique, c’est également aux demandeurs – dûment conseillés par leur avocat – d’apporter la preuve que les unités de vaccin administrées aux « victimes » appartenaient bien aux lots défectueux.

Symptomatologie

Ce qui frappe, dans les profils cliniques rapportés par les parents des « victimes », c’est leur inépuisable variété, l’absence de toute régularité sémiologique, la pauvreté des manifestations objectivables et, plus encore, le caractère psychologiquement inductible des symptômes rapportés : troubles digestifs ou comportementaux, douleurs vagues, perte d’appétit, etc [1]. Pas la peine d’avoir lu tout son Freud pour comprendre comment des parents paniqués peuvent provoquer et entretenir un cortège symptomatique aussi spectaculaire chez des gamins.

Déjà évocatrice en soi, la variabilité sémiologique des symptômes rapportés se renforce du fait que, bien souvent, elle concerne le même patient [2] : c’est souvent le même enfant qui, à en croire ses parents, développe simultanément des symptômes « psychiatriques » (hystérie, hyperactivité, troubles du sommeil ou du caractère…), digestifs (diarrhées, constipation, nausées, « maux de ventre »…), respiratoires (toux, sensation d’oppression…), fonctionnels (maux de tête), etc. Ce qui, évidemment, perturbe l’interprétation des décomptes statistiques, surtout tels qu’ils se trouvent impeccablement dégueulés par les logiciels ineptes d’autorités sanitaires qui ne le sont guère moins.

En d’autres termes et pour résumer sur la base d’une expérience de plus de 30 ans en pharmacovigilance (évidemment nulle et non avenue par rapport à celle d’un avocat « spécialisé ») : dans son impressionnante variabilité, la symptomatologie psychosomatique rapportée par les demandeurs est typique de la fausse alerte.

Le rapport italien

Le CV de l’éminent « Professeur » évoqué dans la presse comme l’auteur du rapport censément accablant sur Meningitec est disponible sur Internet. Même si l’on ne lit pas l’italien (ce qui est mon cas), il est facile de constater : i/ que l’intéressé n’est pas médecin, ii/ qu’il n’est pas professeur [3].

Quant au « laboratoire » que l’intéressé est supposé diriger, il semble, sauf erreur de déchiffrage, qu’il s’agisse tout bêtement d’un laboratoire d’analyses privé, qui vend notamment des analyses sur les nanoparticules : rien qui atteste quelque « reconnaissance » scientifique que ce soit.

Beaucoup plus grave en matière de crédibilité. Il suffit de lire la traduction de ce rapport telle qu’elle a été diffusée par l’avocat pour se rendre compte que : i/ le fabricant de l’échantillon testé était Wyeth, et pas Nuron Biotech ; ii/ la date de péremption de l’échantillon analysé était passée de quelque 5 ans. Certes, on ignore ce que la licence consentie par Pfizer (maison-mère de Wyeth) à Nuron Biotech prévoit en ce qui concerne la fabrication du vaccin, mais on admettra que dans une affaire de qualité pharmaceutique, cela fait un peu amateur de demander des analyses sur un échantillon périmé, issu d’un autre fabricant que celui qu’on poursuit…

Encore plus gênant car c’est, cette fois, strictement contradictoire avec ce qu’affirme l’avocat lui-même sur son propre site : l’échantillon analysé n’a, a priori, rien à voir avec « les vaccins retirés du marché » : on peine donc à comprendre la portée de ce rapport pour l’espèce.

De toute façon et à supposer que cette analyse italienne soit techniquement crédible, il resterait à montrer la relation de causalité entre les particules qu’elle a détectées et la symptomatologie rapportée chez les « victimes » : à mon humble avis, ce n’est pas gagné…

En droit

Que ce soit sur le site de l’avocat ou dans ses confidences à la presse, on chercherait vainement le(s) fondement(s) juridique(s) de son action : question pourtant d’autant plus centrale qu’en matière d’échantillons, on en a déjà quelques-uns concernant la créativité juridique de l’intéressé…

Question d’autant plus centrale, encore, que – pour « spécialisé » qu’il soit – l’intéressé semble accorder une confiance très exagérée aux expertises judiciaires (ce qui est peu compatible avec une grande expérience de ces expertises…) :

  • si la réglementation pharmaceutique s’est trouvée aussi bafouée qu’il le prétend, pourquoi ne pas partir en droit au lieu de s’en remettre à des « experts » dont l’expérience atteste qu’ils ne connaissent généralement rien en réglementation pharmaceutique ;
  • d’expérience, là encore, je n’ai encore jamais vu d’analyse technique dont les experts « ne peuvent plus ignorer » les résultats : en l’espèce, ils auront d’autant moins de mal à les ignorer qu’il leur suffira de soutenir que l’analyse demandée par l’avocat n’a à peu près rien à voir avec le problème médico-légal posé ;
  • quoique apparemment moins « spécialisé » que l’avocat des demandeurs, j’ai quand même vu dans ma vie des centaines d’expertises judiciaires consacrées à des vaccins [4] : de mémoire, je n’en ai jamais vu une seule adopter une position critique par rapport aux communiqués des autorités sanitaires. Dans la mesure où la position actuelle des autorités consiste à démentir qu’il existe le moindre problème significatif avec Meningitec, je voudrais bien connaître le nom d’un seul expert judiciaire (j’en connais pas mal…) susceptible de les contredire sur ce point [5] ;
  • si j’en crois la presse, le TGI de Clermont-Ferrand aurait désigné 5 collèges d’experts, ce qui correspond à plus de 100 « victimes » à expertiser pour chaque collège : d’expérience là encore, on en a pour quelques années… Sauf à ce que, justement effrayés par le coût généralement exorbitant de telles expertises, une bonne partie des demandeurs ne se désiste.

Autre raison pour s’interroger sur les fondements de la demande présentée devant le TGI de Clermont-Ferrand : la réflexion technico-scientifique présentée par l’avocat des demandeurs manque de consistance :

  • s’il s’agit d’un problème de qualité pharmaceutique, pourquoi s’embarquer dans des analyses dont on a vu plus haut qu’elles n’avaient rien à voir avec les lots concernés par ce défaut de qualité ;
  • si, comme le soutient l’avocat sur son propre site, c’est « le vaccin lui-même qui pose problème » :
    • où sont les preuves qu’un problème sanitaire précis serait apparu dans tous les pays où ce vaccin a été commercialisé ?
    • aux yeux des juges, quelle sera la crédibilité d’un avocat – même « spécialisé » – par rapport aux autorités sanitaires nationales et internationales qui, un peu partout dans le monde, auront donné une autorisation de mise sur le marché à la spécialité en question ?
    • que penser d’une médiatisation qui – il suffit de consulter la presse à ce sujet – repose pour l’essentiel sur l’existence de lots défectueux, alors qu’on nous nous dit aujourd’hui que le vrai problème n’est pas là ? En matière judiciaire, il faut se défier des argumentations à géométrie variable [6].

La principale mauvaise nouvelle, c’est pour les avocats de l’exploitant : ils vont avoir du mal à facturer des honoraires exorbitants pour réfuter une argumentation aussi bancale.

Conclusion

Il en va de cette affaire Meningitec comme de « l’affaire » Médiator : la médiatisation hystérique autour des faux scandales détourne l’attention qui devrait se porter sur les vrais – et qui tendent, eux, à se multiplier en s’aggravant.

Plus grave encore : la médiatisation d’inepties aussi voyantes contribue à décrédibiliser toute critique sérieuse du système et à conforter les juges dans leur position sceptique à l’endroit de toute contestation radicale de notre système sanitaire.

Les scientigourdes à la solde d’Aventis peuvent se frotter leurs petites mains : elles ont trouvé encore moins crédibles qu’elles.

Fallait le faire…

PS du 12/07/16

La mère "inquiète" d’un enfant ayant reçu une unité de Meningitec issue des lots retirés (sa pédiatre en avait conservé dans son frigo) m’écrit pour s’indigner que les médecins n’aient pas été avertis du retrait, se demande si, pour "rassurer" les parents, l’ANSM publiera un rapport précisant si les lots ont effectivement été "contaminés aux métaux lourds", tout en se félicitant que l’affaire ait éclaté grâce à la "médiatisation". Ma réponse (ci-dessous) permet de préciser certains points et de reformuler de façon plus synthétique.

Bonjour et merci de votre intérêt.

Le retrait de lots est une mesure banale de "police pharmaceutique", et il y a à peu près tous les jours. Les médecins n’en sont pas informés car, jusqu’à preuve du contraire, ils ne sont pas en charge de la délivrance des médicaments : c’est la responsabilité de votre médecin s’il veut jouer au pharmacien, il n’a ni l’équipement, ni la formation pour ça. Votre "colère" ne me paraît donc pas adéquatement dirigée.

Concernant votre "détresse", il me semble que vous devriez relire mon article :

  • La défectuosité pharmaceutique qui a justifié le retrait en France tient à un problème de bouchon : elle n’a rien à voir avec quelque métal lourd que ce soit.
  • Le rapport italien brandi par les demandeurs n’a rien à voir avec les lots qui ont été retirés en France.

D’autre part :

  • L’analyse italienne a porté sur un lot périmé : que diriez-vous si vous trouviez dans Que choisir l’analyse d’un lot de yaourts passés de date depuis 6 mois ?
  • Vous remarquerez que, sauf erreur de lecture, ce rapport italien ne mentionne nulle part la moindre norme, c’est-à-dire la moindre indication permettant d’évaluer la signification des substances retrouvées à l’analyse. Or, il faut bien comprendre que l’idée d’une pureté absolue est un mythe : si vous faisiez subir le même type d’analyse aux gâteaux ou aux sodas que vous donnez sans la moindre appréhension à votre enfant, vous vous rendriez compte qu’ils contiennent bien plus de ces saloperies.

Je ne peux donc vous suivre lorsque vous louez la médiatisation ("heureusement") : comme le précédent Médiator, cette histoire Meningitec est au contraire exemplaire de ce qu’on peut faire avec une histoire inepte lorsqu’elle est relayée par des journalistes imbéciles ou incompétents.

Je pense que vous avez raison d’être "inquiète", mais que les vraies menaces qui pèsent sur votre enfant sont bien ailleurs : à commencer par celle qui consiste à l’emmener chez le médecin (et surtout : chez un pédiatre !...) quand il n’est pas vraiment malade.

Bien à vous.

Dr MG

[1Sous réserve qu’elles soient objectivables, les éruptions cutanées ne sont pas psychologiquement inductibles : mais elles sont transitoires, et d’une immense banalité dans cette tranche d’âge.

[2Piège à cons bien classique dans les listes impressionnantes formatées par la réglementation en vigueur : aucune ne permet de reconstituer que l’impression de profusion sémiologique de nature à impressionner des gens aussi crédibles que Bapt ou Rivasi est parfois générée par un nombre ridiculement faible d’individus…

[3N’être ni médecin, ni professeur n’est évidemment pas une tare à mes yeux : mais ce n’est jamais un indicateur de crédibilité que d’attribuer à quelqu’un qu’on utilise comme caution intellectuelle des titres qu’il n’a pas.

[4J’ai même commencé une base de données avec ce type de rapports. Le temps m’a cependant manqué pour exploiter cet incroyable bêtisier.

[5Le dernier avocat avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger sur ces questions s’était fait, lui aussi, une petite notoriété médiatique – et un gros succès auprès de ses clients – après avoir obtenu la désignation d’un collège expertal dans une autre affaire vaccinale regroupant une petite dizaine de demandeurs. Ayant eu le mauvais goût de m’esclaffer quand j’ai appris l’identité des experts désignés, je me suis fait plus ou moins traiter d’abruti, publiquement de surcroît ; mais silence radio depuis que les expertises ont eu lieu, voici maintenant deux ans environ : l’affaire s’est subitement dégonflée…

[6C’est l’histoire justement classique du gars accusé d’avoir rendu cassé un outil qu’on lui avait prêté, et dont l’avocat soutient que : i/ l’outil en question était en parfait état quand on l’a rendu ; ii/ il était déjà cassé quand il a été prêté ; iii/ il n’a jamais été prêté...


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