La "réforme" du médicament à l’aune de finastéride
Parmi les "critères intrinsèques de crédibilité" qu’on s’est appliqué à développer sur le présent site pour asseoir le droit inaliénable des citoyens au contrôle de l’expertise, la cohérence s’impose d’autant plus qu’elle concerne des analyses qui n’ont jamais visé à plaire (et qui se sont au contraire d’emblée distinguées par leur indifférence aux modes).
Je ne compte plus les mises en garde parfaitement bien intentionnées de correspondants parmi les plus fidèles me remontrant à quel point ma "crédibilité" se trouvait menacée par mon scepticisme (si précisément documenté fût-il) quant à une "révolution" Médiator unanimement célébrée par la presse et par l’opinion publique. Il s’avère cependant que ma crédibilité va bien, quand il se confirme que les chevaliers blancs de la moralisation pharmaceutique auraient, eux, de plus en plus de soucis à se faire tant il est vrai que la Vérité est un canasson obstiné : entre les conflits d’intérêts malencontreusement, mais opiniatrement occultés (et sur lesquels nous reviendrons), les voeux pieux d’une débilité à pleurer, et les recommandations assez scandaleuses pour que l’on s’interroge sérieusement sur le double jeu de leurs auteurs (nous y reviendrons également), les masques tombent - et ça fait un drôle de bruit...
Exprimé - et documenté - lui aussi d’emblée au grand dam de B. Debré, mon scepticisme sur la "réforme" du médicament a déjà largement trouvé confirmation - ici ou là, et ailleurs encore...
L’actuelle affaire finastéride - ce médicament destiné à la repousse des cheveux accusé d’occasionner des impuissances - fournit une nouvelle illustration de toute cette mascarade.
Rappelons brièvement les faits : autorisé en France depuis 1998, le finastéride (Chibro-Proscar, Propecia) est une substance administrée par voie orale qui peut bloquer la transformation de la testostérone en l’un de ses dérivés (dihydrotestostérone) dont l’excès est impliqué dans certaines calvities. Il est donc indiqué chez l’homme jeune (18 à 41 ans [1]). Notons que contrairement à ce que pourrait laisser accroire même le communiqué de l’AFSSAPS (13/03/12), l’indication n’est pas tant la repousse des cheveux que la "stabilisation" du processus de calvitie pour autant qu’il ne soit pas très avancé, en sachant que cette stabilisation ne semble pas extrêmement durable dans le temps.
L’un des problèmes posés par ce médicament, c’est qu’il occasionne des impuissances sexuelles - situation d’autant plus regrettable que comme on vient de le rappeler, il s’adresse plutôt à des hommes jeunes. S’il n’y a guère de doute sur le fait (pour lequel on dispose en sus d’une bonne plausibilité biologique), on remarque que la notice Vidal - c’est-à-dire l’AFSSAPS - scinde cet inconvénient en deux : "baisse de la libido" d’une part, "troubles de l’érection" d’autre part. On reconnaît bien là l’implacable rigueur nosographique de nos autorités sanitaires [2] qui, lorsqu’elles reçoivent une notification (généralement un formulaire rempli à la va-vite devant quoi on peut s’estimer heureux lorsqu’on y trouve des informations aussi basiques que l’âge ou le sexe du sujet concerné - je ne parle pas de la posologie ou de la durée de traitement), prétendent déterminer s’il faut incriminer "la libido" (classée en effets psychiatriques) ou "l’érection" (classée en affections des organes de reproduction et du sein") : dis-moi comment tu débandes et je te dirai si ça relève d’un bon psy ou d’un régime vitaminé...
La médiatisation récente de cette complication s’est trouvée opportunément brouillée par la question subsidiaire de savoir si de telles impuissances iatrogènes pouvaient persister après l’arrêt du traitement incriminé : en d’autres termes, si elles étaient irréversibles. A quoi, avec cette même exigence de précision qui a déjà commencé de nous impressionner, l’AFSSAPS a répondu la main sur le coeur que, depuis la commercialisation du produit (soit sur près de 15 ans), elle avait reçu deux notifications de telles impuissances irréversibles, oubliant au passage de préciser :
- sa stratégie de suivi sur le long terme relativement à des notifications spontanées (on doute que l’administration sanitaire dispose des effectifs suffisants pour investiguer, et durant des années, sur le devenir des milliers de notifications concernant des milliers de médicaments qu’elle reçoit chaque année, quand l’affaire des narcolepsies post-vaccinales a illustré qu’elle n’était déjà même pas capable de mettre régulièrement à jour le simple nombre total de cas notifiés) ;
- le paradoxe justifiant qu’un effet indésirable tel que l’impuissance puisse faire l’objet de dénombrements aussi précis, alors que cette même administration s’enferre dans une ridicule incapacité de nous dire si le nombre de décès sous Médiator s’élève à 400 ou à 2000. Crédibilité a priori, vous disiez ?
Encore plus fort : l’AFSSAPS a tout d’abord prétendu rassurer les foules en prétendant que le finastéride faisait l’objet d’une "surveillance renforcée" - avant d’être obligée de reconnaître que tel n’était pas le cas (Le Parisien, 12/03/12). Que l’administration ne soit même pas en mesure de lister les médicaments qui font, ou non, l’objet d’une surveillance "renforcée" confirme, s’il en était besoin, l’analyse qui a été faite sur le présent site de la mystification autour de ce pseudo "renforcement" [3] : on imagine sans peine la crédibilité du détective qui ne se rappellerait même plus celles des personnes qu’il a en filature...
Beaucoup plus préoccupant quant à la transparence de l’AFSSAPS et au sérieux des enquêtes journalistiques qui restent désespérément confinées à la surface des phénomènes, les vrais problèmes de toxicité posés par le finastéride sont encore bien plus graves, incluant notamment :
- un risque de gynécomastie (pousse des seins) qui ne serait pas forcément réversible [4] : je doute que les jeunes hommes complexés de perdre leurs cheveux soient tous clairement informés que pour une stabilisation au mieux modeste et temporaire de leur calvitie (pour autant qu’elle soit simplement débutante : après, c’est trop tard), ils risquent de se retrouver avec une belle poitrine...
- encore plus fort : un risque de cancer du sein (je parle bien des hommes...).
Certes, on nous avait promis qu’il était venu le moment où le doute allait "profiter au malade et non au médicament" (Le Monde.fr, 21/06/11).
Mais qui a dit que les jeunes hommes qui perdent leurs cheveux étaient des "malades" ?
[1] On appréciera la précision quasi astronomique du chiffre - la notice restant bizarrement muette sur le sort qu’on doit réserver aux hommes nés une année bissextile...
[2] C’est à peu près pareil ailleurs, notamment à l’Agence Européenne - dont le personnel d’encadrement doit tant au vivier français...
[3] Soit dit en passant, la simple logique suffisait pour renvoyer l’AFSSAPS à ses mensonges : si deux effets indésirables sur 15 ans sont de nature à déclencher un processus de "surveillance renforcée", alors ce sont tous les médicaments qui devraient faire l’objet d’un tel processus - et on se demande par conséquent où se situe le "renforcement" s’il est appliqué à tous les produits...
[4] Green L, Wysowski DK, Fourcroy JL. Gynecomastia and breast cancer during finasteride therapy.
N Engl J Med. 1996 Sep 12 ;335(11):823.
Marc Girard
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