Retrait de Noctran et Mépronizine : la "révolution" post-Médiator à l’oeuvre
Naguère présenté par ses propres journalistes comme un "Bulletin de l’UMP" (Médiapart, 13/12/10), Le Figaro avait sonné la charge : "Comment l’AFSSAPS va faire le tri dans les médicaments" (et surtout ceux "qui augmentent la mortalité des seniors").
On commence à voir "comment"...
La presse nous apprend que deux somnifères, Noctran (commercialisé par Ménarini) et Mépronizine (commercialisé par Sanofi), vont être retirés du marché en raison, dixit l’AFSSAPS, "des risques de cumul d’effets indésirables graves ou de mésusage" - chapeau pour la syntaxe...
Tout cela, bien entendu, après "analyse des dernières données de pharmacovigilance disponibles" : à la différence de, disons au hasard, Gardasil (cf. Les Perles, 23/07/11), la conclusion des autorités - ou de ses supporters - ne laisse ici aucune place au doute.
Sans entrer dans la confidentialité des données que l’AFSSAPS se garde bien de rendre publiques, comparons ce qui est comparable et examinons le sort de deux somnifères produits par le même fabricant : Mépronizine, retiré du marché pour les raisons susdites, et Stilnox, qui a été et reste un blockbuster pour Sanofi.
Risque d’effets indésirables
L’interrogation banale de la base Pubmed "zolpidem side effects" (effets indésirables du zolpidem, la dénomination commune internationale de Stilnox) rapporte 503 références. La même interrogation avec "meprobamate" (le sédatif actif dans Mépronizine [1]) rapporte 542 références, soit kif-kif - mais pour un médicament introduit sur le marché mondial plus de 30 ans avant Stilnox.
Ces constats quantitatifs valant ce qu’ils valent compte tenu de tous les biais connus, entrons un peu plus dans le qualitatif : ainsi, la revue SCRIP du 06/07/2007 informe que sur les trois mois qui ont précédé, en Australie, une association de consommateurs a reçu plus de 650 notifications d’effets indésirables avec Stilnox [2] (pour mettre les choses en perspective, rappelons que l’Australie compte à peu près trois fois moins d’habitants que la France). Organe coûteux et respecté d’information professionnelle qui n’a jamais été suspecté d’activisme antipharmaceutique, la revue SCRIP en profite pour rappeler qu’en sept ans, Stilnox a déjà fait l’objet de deux mises en garde par les autorités sanitaires australiennes - tout en relevant que les problèmes de tolérance posés par ce médicament font également l’objet d’un suivi attentif ailleurs, aux USA en l’occurrence [3] .
Il suffit, de toute façon, de se reporter à Pubmed pour constater que les effets indésirables rapportés avec Stilnox concernent tout particulièrement les phénomènes paradoxaux (irritabilité, agressivité, etc.), les réactions de somnanbulisme, la dépendance et... les chutes [4]. D’où l’on tire au passage que, malgré ce dernier risque, le zolpidem ne fait pas partie de ces médicaments suspectés par Le Figaro (06/07/11) ou les autorités françaises "d’augmenter la mortalité des seniors" : on finirait par se demander pourquoi si je n’avais pas déjà fourni la réponse [5]...
Un autre risque de Stilnox est moins connu : celui qui concerne le foie. Déjà bien coincées par le précédent, les autorités françaises affectent d’oublier que, chimiquement, Stilnox (zolpidem) est la grande soeur d’Ananxyl (alpidem), très rapidement retiré du marché après son autorisation en 1991 en raison de sa toxicité hépatique : une toxicité hépatique dont l’expert rapporteur auprès des autorités lors de l’AMM m’a assuré ensuite qu’il "l’avait toujours dit" - comme d’habitude en pareille matière [6]... L’alpidem n’ayant pas eu le temps d’être significativement commercialisé à l’étranger, le rapprochement entre les deux structures chimiques est rarement fait par les auteurs, mais il est néanmoins possible de trouver dans la littérature quelques cas d’hépatotoxicité imputée à zolpidem [7] [8].
Risque de mésusage
Avec ce risque de mésusage mis en avant par les autorités françaises pour justifier le retrait de Mépronizine, on en arrive au Grand Guignol : selon la revue crypto-anarchiste Le Moniteur des Pharmacies du 28/02/2009, en effet, Stilnox - qui reste, lui, les doigts dans le nez sur le marché français - fait néanmoins partie du "top-10 des médicaments détournés" : c’est-à-dire des dix médicaments le plus retrouvés sur les ordonnances falsifiées...
Détail : parmi ces dix médicaments ainsi listés par la revue la plus diffusée dans les officines françaises, on ne retrouve aucun des deux principes actifs (méprobamate/ acéprométazine) qui composent Mépronizine, pourtant retiré en raison du risque de mésusage...
Conclusion : le nerf de la "révolution" promise par Xavier Bertrand
Sous réserve que l’AFSSAPS rende publique l’intégralité des données comparatives qui justifient un traitement aussi différentiel entre Mépronizine et Stilnox, force m’est d’aller chercher ailleurs que dans la pharmacovigilance (partant : ailleurs que dans la santé publique) les déterminants du retrait : il faut débourser plus de 30 centimes d’euros pour acheter un comprimé de Stilnox contre moins de 12 centimes pour Mépronizine...
Les membres du gouvernement ayant notoirement quelques difficultés avec la règle de trois, soufflons leur la réponse : malgré un bilan de pharmacovigilance pour le moins problématique, l’hypnotique de Sanofi qui reste sur le marché coûte deux fois et demi plus cher que celui qui vient d’être retiré sans raison probante.
Merci Xavier. Merci Gérard...
[1] Mépronizine associe un sédatif, le méprobamate, et un antihistaminique, l’acéprométazine.
[2] Notamment des réactions de somnanbulisme et d’agressivité : un homme s’est jeté au-dessus de son balcon, une femme s’est poignardée...
[3] Six mois plus tard, les autorités australiennes finiront par s’aligner sur celles des USA en apposant sur les boîtes de Stilnox un "cadre noir" (black box warning), correspondant au symbole normalement utilisé pour signaler les risques d’effets indésirables graves : il s’agira en l’espèce de comportements somnabuliques, ainsi que du risque d’association à l’alcool.
[4] Convergentes dans bien des pays, ces observations de pharmacovigilance sont d’autant plus instructives que si Stilnox a pu devenir un blockbuster, c’est via une promotion agressive distinguant cette "innovation" (que certains observateurs avisés avaient qualifiée de "benzodiazépine bien cachée") des benzodiazépines et lui attribuant, à ce titre, un profil de tolérance débarrassé des principaux inconvénients imputés à ces médicaments plus anciens : réactions paradoxales, somnolence, risque de dépendance...
[5] Avec une belle hypocrisie, l’AFSSAPS ne manque pas, en revanche, de souligner spécifiquement("en particulier") le risque de Mépronizine "dans la population âgée". Pour notoire qu’il soit, le risque de chute lié à Stilnox doit, lui, ne concerner que les adolescents...
[6] M. Girard, Médicaments dangereux : à qui la faute ?, Escalquens, Dangles, 2011 : p. 60.
[7] Karsenti et coll. Hepatotoxicity associated with zolpidem treatment. BMJ 1999 ; 318 : 1179. Cet article cite lui-même deux autres références.
[8] Cette rareté tient aussi aux indications différentes de ces deux molécules soeurs : anxiolytique, l’alpidem était plus susceptible d’être prescrit durablement alors qu’en principe, au moins, le zolpidem ne devrait être prescrit que ponctuellement. Néanmoins et compte tenu de cette parenté chimique, on peut d’autant plus s’interroger sur le risque hépatique du zolpidem chez les consommateurs chroniques que, comme on vient de le dire, cet hypnotique expose assez nettement au risque de dépendance.
Marc Girard
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