Médicaments "sous surveillance"
Depuis le retrait de Médiator, si l’on en croit la presse, "les autorités sanitaires ont désormais dans leur collimateur 59 médicaments particulièrement surveillés" (Le Parisien, 20/01/11). On nous dit également que le ministre de la santé "veut accélérer les procédures de retrait des médicaments jugés dangereux" (Le Parisien, 04/01/11).
Le problème, c’est qu’on ne retrouve pas les médicaments censément "dangereux" [1] dans la liste de ceux qui font l’objet d’une "surveillance particulière" tandis que les autorités s’époumonent à rassurer la population relativement à la sécurité de médicaments "sous surveillance particulière" - par exemple le vaccin Gardasil, pour ne citer que lui.
Faut-il comprendre qu’en France, alors que le "scandale" Médiator - unanimement dénoncé - était supposé mettre fin à une ère de corruption généralisée (hi ! hi !), on aurait encore des médicaments dangereux qui ne feraient pas l’objet d’une "surveillance particulière" ?...
Une surveillance particulière ?
En fait, les 59 médicaments complaisamment listés par la presse comme soumis à une surveillance prétendument renforcée font simplement l’objet d’un "plan de gestion des risques".
En application depuis le 20 novembre 2005, ce "plan de gestion des risques" (PGR) correspond à la transposition en droit national du règlement CEE n°726/2004 (art. 23) datant du 31/03/04.
Une présentation faite le 27/04/06 par l’AFSSAPS permet de constater que ledit PGR "devra être déposé avec le dossier d’AMM" et qu’il concerne notamment "toute nouvelle substance active" (diapo. 16).
En d’autres termes, le PGR est une disposition normale de toute nouvelle autorisation de mise sur le marché : il n’a rien de particulier - et c’est se moquer du monde que soutenir le contraire [2] Ainsi et pour répondre à notre question inaugurale : ce ne sont pas aux médicaments "dangereux" que l’AFSSAPS consacre sa surveillance "particulière" - et vice versa : cela va mieux en le disant...
Le vice fondateur de la "surveillance particulière"
Historiquement et comme dûment rappelé dans une autre présentation de l’AFSSAPS, le concept de plan de gestion des risques - supposé renforcer la surveillance des médicaments après commercialisation - est né en réponse à "l’affaire Bayer", à savoir le retrait précipité de l’hypocholestérolémiant cérivastatine (Cholstat, Staltor) au mois d’août 2001.
C’était déjà une première tare - et déjà rédhibitoire à elle seule : car comme il a été depuis lors démontré (APM, 10/12/04), loin de correspondre à la révélation tardive d’une intolérance indétectable au cours du développement (appelant à ce titre un renforcement de la surveillance après l’autorisation de mise sur le marché), le problème de la cérivastatine avait bien été celui d’une défaillance généralisée de toutes les autorités sanitaires (américaines et européennes, notamment) qui avaient totalement ignoré les signes pourtant patents d’une toxicité évidente depuis le tout début et dont l’expression réitérée avait scandé toute la durée du développement. Selon le Moniteur des pharmacies (18/12/04, p. 10) [3], "le risque de rhabdomyolyse grave était décelable dès 1991" [4].
- De plus et pour défaillants qu’ils aient clairement été en l’espèce, le développement, l’enregistrement et la commercialisation tels que menés avec la cérivastatine en particulier représentaient "l’état habituel des pratiques en matière pharmaceutique" en général.
- Toujours selon la même source, l’histoire de la cérivastatine permettait aussi de remettre en cause les leaders d’opinion, fonctionnant "tout aussi bien comme consultants pour l’industrie, rapporteurs des agences sanitaires et responsables de formation continue".
- Enfin, on y trouvait également une dénonciation des prescripteurs qui se voyaient reprocher leur imprudence "face à la promotion tellement grossière [du fabricant]".
On admettra qu’il faut une certaine impudence (inconscience ? incompétence ?) aux autorités sanitaires pour présenter le "plan de gestion des risques" comme la solution au problème posé par Médiator, quand il apparaît que rien n’a changé par rapport à un scandale vieux de dix ans dont ledit plan prétendait être l’antidote...
Car ce qui est intensément ridicule, avec ce "plan de gestion des risques", c’est qu’il consiste à demander au fabricant d’anticiper sur les modalités permettant de reconnaître dans l’avenir une toxicité tardive potentielle quand il a été démontré - sur l’exemple de la cérivastatine comme sur bien d’autres - que ni lui, ni les autorités de contrôle ne sont déjà capables de reconnaître en temps réel ou rétrospectivement les plus précoces des toxicités pourtant patentes...
On voit donc bien, sur cet exemple (qui pourrait être multiplié sur demande), la position - constante - des autorités en pareille matière : au lieu de faire un diagnostic précis et circonstancié des défaillances dans l’évaluation précoce qui ont permis l’autorisation et le marketing tapageux d’un médicament malgré sa toxicité pourtant évidente, on choisit la fuite en avant [5], et on reporte la résolution du problème à plus tard - sans aucun audit rétrospectif de la pertinence ou de l’adéquation des solutions proposées [6].
La perversité de la "surveillance particulière"
Cependant, la belle mécanique du "plan de gestion des risques" ne se contente pas d’être viciée à la base : elle est aussi immensément perverse.
Pour s’en rendre compte, il suffit de lire le "RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI (n° 3062) portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament", par Mme Cécile GALLEZ, députée. Au delà d’une rhétorique de façade (toujours la même, soit dit en passant) visant la nécessaire "protection" des patients, il est parfaitement explicite que l’enjeu de ce règlement CEE n°726/2004 est de faciliter l’introduction et la persistance des médicaments sur le marché, notamment par les deux biais suivants :
- en permettant avant la fin du développement la mise à la disposition du public des médicaments considérés comme salutaires ;
- en supprimant la contrainte d’un renouvellement quinquénal de chaque AMM, via l’aveu sidérant que, de toute façon, les autorités n’ont pas le temps de procéder une fois tous les cinq ans à une réévaluation technico-scientifique sérieuse du dossier des médicaments...
On voit bien l’idée, car c’est toujours la même : le développement d’un médicament (les analyses chimiques, les tests chez l’animal, les essais cliniques...) n’est certes pas parfait - on vient de le voir avec le précédent de la cérivastatine -, mais c’est le seul moment où l’on peut [7] évaluer un médicament tant soit peu systématiquement et rigoureusement. Or, ce développement, les fabricants - ou plus précisément : les prédateurs dissimulés derrière les enseignes naguère prestigieuses de l’industrie pharmaceutique [8] - n’en veulent plus parce que :
- ça coûte cher ;
- avec un peu de malchance, on peut se planter (ne pas pouvoir dissimuler qu’un médicament n’est vraiment pas efficace ou qu’il est vraiment toxique) et passer en cours de route par pertes et profits la nouvelle entité jusqu’alors fantasmée comme futur "blockbuster" ;
- vice encore plus grave aux yeux des actionnaires ou de leurs représentants : un médicament ne rapporte rien tant qu’il est en développement...
La tendance est donc de prendre tous les prétextes (l’urgence de santé publique - comme avec la grippe porcine) pour bâcler le développement et obtenir le plus rapidement possible le droit de vendre les nouveaux médicaments [9]. Ce, sous la fallacieuse réassurance d’une pharmacovigilance "renforcée" qui ne manquera pas - cela va de soi - de pointer immédiatement les problèmes de toxicité si par malheur, mais vraiment par malheur, ils viennent à se manifester : on a bien vu les effets de ce "renforcement" avec les narcolepsies post-vaccinales... [10]
Conclusion provisoire
Je reviendrai plus en détail sur la dynamique perverse et gravement menaçante qui conduit à présenter une pharmacovigilance évidemment inopérante [11] comme la garantie d’un développement et d’un enregistrement bâclés. Mais ce qu’il convient de comprendre dès à présent, c’est que le problème n’est évidemment pas que des industriels essaient de contourner la réglementation pour maximiser leurs profits : c’est que les administrations de tutelle - ainsi que les politiques - fassent aussi inconsidérément droit à une revendication dont l’extravagance saute aux yeux du moins averti.
C’est ainsi que dans sa seconde présentation précitée, l’AFSSAPS n’a pas honte d’évoquer, à côté de la cérivastatine, l’affaire Vioxx (diapo 21) pour justifier le "plan de gestion des risques" - tout en allant jusqu’à présenter GARDASIL comme "exemple" justificatif de cette atterrante usine à gaz ! Ce que faisant, l’AFSSAPS :
- méconnaît qu’ils sont de plus en plus nombreux ceux qui tiennent pour un immense scandale la commercialisation prématurée d’un produit avec un rapport bénéfice/risque aussi problématique que Gardasil - et à un prix défiant toute concurrence (sans aucun précédent dans l’histoire des vaccins) ;
- oublie que le précédent invoqué de Vioxx s’inscrit dans le contexte de manquements graves et même de fraudes imputés au fabricant (MSD) [12]... lequel se trouve exactement le même que celui de Gardasil !
Dans la mesure où "le plan de gestion des risques" correspond indubitablement - et explicitement - à un allègement des contraintes technico-réglementaires pesant normalement sur les fabricants, on en déduit que le meilleur moyen d’obtenir de l’administration - ou du législateur - un allègement des exigences légales, c’est encore de frauder [13]...
Je laisse le mot de la fin à certain pneumologue brestois (France-Soir, 22/12/10) :
"Il y a d’abord eu le scandale de l’Isoméride, dont on n’a sans
doute pas tiré les conséquences, puis celui du Médiator, donc pourquoi pas un troisième ?"
Plus subtil comme critique du système, tu meurs...
PS du 01/02/11
La publication, hier, - excessivement théatralisée - d’une liste de 77 médicaments "sous haute surveillance" (La Dépêche, 01/02/11) confirme largement l’idée d’une mystification effrontée : quand on découvre, dans la liste des médicaments concernés par cette surveillance "renforcée", les vaccins contre l’hépatite B qui font l’objet d’une enquête depuis… le 01/06/1994 (cf. notamment la PJ de mon dernier article sur le sujet), on se dit que cette « haute surveillance » vole plutôt bas…
Cet auto-référencement des autorités à leurs désastres de pharmacovigilance les plus voyants me conduit à développer un peu ma note [11]. Lors des alertes sur la sécurité d’un médicament, une fois passée cette phase "d’étude" [14], dont les résultats sont rarement publiés, on en arrive - dans les bons cas - à celle de "l’actualisation des données en cours". D’après le communiqué d’hier, c’est désormais le point où en serait l’enquête nationale sur les vaccins contre l’hépatite B, avec les brillants résultats que l’on sait : une explosion - obstinément inexpliquée - du nombre des scléroses en plaques (de moins de 25 000 à plus de 80 000 en quelques années), une politique d’escrocs pour vacciner les enfants à l’insu de leurs parents et au mépris de la loi, enfin le détournement des prérogatives de l’Etat (jusqu’à la réquisition) pour assurer la promotion de nouveaux vaccins à la place et au bénéfice de leurs fabricants quand, suivant l’exemple édifiant de GSK dès la fin des années 1980 [15], ceux-ci s’ingénient à créer de fausses alertes sanitaires.
[1] "Censément" parce que, comme on le reconstitue à la lecture de la presse, chaque dénonciateur du système a sa liste des médicaments "dangereux" - voire de produits à retirer sans délai -, qui ne recoupe pas nécessairement celle des autres. Un peu comme autrefois on avait "ses pauvres", ils sont nombreux, aujourd’hui, les experts qui ont "leurs" médicaments dangereux...
[2] On ne saurait trop recommander aux politiques, journalistes, universitaires ou autres pneumologues qui envahissent l’espace public de leurs considérations vaseuses sur le médicament de s’informer préalablement sur la réglementation pharmaceutique : cela éviterait la récupération de leurs dénonciations dans la profusion d’une réglementation encore plus perverse...
[3] La revue pharmaceutique française la plus lue dans les officines.
[4] Soit au tout début du développement, des années avant l’AMM et dix ans avant le retrait précipité du médicament.
[5] On retrouve exactement ce même vice dans l’affaire qui a éclaté au printemps 2008 et qui a fait apparaître que des héparines fabriquées en Chine étaient contaminées par un produit toxique, la chondroïtine persulfatée. L’affaire s’est finalement soldée par l’ajout réglementaire de nouveaux tests visant à détecter ce toxique - comme si les Chinois n’étaient pas capables d’en inventer bien d’autres dans l’entre temps ! En revanche, le véritable problème a été obstinément ignoré, à savoir : les modalités d’inspection pharmaceutique - dont le principe a émergé dès le 13e siècle - dès lors qu’un fabricant prend le parti de délocaliser pour minimiser ses coûts. On relève en passant que l’exemple dépasse largement la pharmacie et que l’obligation faite aux industriels de financer les inspections des autorités à quelque endroit du monde où ils ont cru bon de sous-traiter leur fabrication exercerait sans doute un effet dissuasif sur l’intérêt financier des délocalisations...
[6] On note qu’en cette espèce comme dans bien d’autres également, les associations qui ont battu le rappel - payant - des victimes présumées ou de leurs ayants droit n’ont pas fait mieux, puisque - peu soucieuses d’entrer dans les subtilités d’une réglementation pourtant précise mais qui dépassait manifestement leurs avocats "spécialisés" - aucune, à ma connaissance, n’a osé faire appel devant la chambre d’instruction de l’incroyable décision de non lieu prise par le juge d’instruction malgré l’évidence du scandale et l’amoncellement des preuves à l’encontre tant du fabricant que des autorités : cependant, on retrouve, non sans perplexité, certaines de ces douteuses "associations" (avec leurs avocats attitrés) dans la mobilisation - payante - des victimes de Médiator...
[7] En tout cas, on a scientifiquement et réglementairement les moyens pour le faire.
[8] Il est utile de rappeler ce fait largement méconnu que, voici vingt ans environ, l’industrie pharmaceutique internationale, dans son ensemble, comptait au moins autant de prix Nobel de médecine que le secteur de recherche public.
[9] Et de vendre d’autant plus cher que la précipitation avec laquelle est octroyée l’autorisation de commercialiser est ensuite médiatisée comme un indicateur - la reconnaissance par les autorités - de l’intérêt exceptionnel présenté par un médicament devant lequel sont tombées les plus basiques des barrières réglementaires...
[10] Et c’est bien pourquoi n’importe quel observateur tant soit peu informé tremble devant la gestion médiatique délirante de l’affaire Médiator, laquelle offre aux autorités un immense boulevard pour promettre un "renforcement" de la pharmacovigilance : il est amplement démontré que tout renforcement de pharmacovigilance sert toujours de prétexte pour affaiblir les exigences de l’évaluation (avant autorisation de mise sur le marché). De même que quand, lors de sa conférence de presse du 15/01/11, après avoir fustigé les essais contre placebo, Bertrand promet que "Il faut au minimum [qu’un nouveau médicament] soit équivalent aux produits de référence déjà présents sur le marché, il ne fait que reprendre là une revendication sempiternelle des fabricants, lesquelles ont toujours protesté contre l’obligation - méthodologiquement ravageante - des essais contre placebo.
[11] De récents précédents attestent qu’à chaque alerte de pharmacovigilance, les autorités commencent par répondre que "le nombre de cas notifiés ne dépasse pas le nombre de cas attendus", pour affirmer ensuite que les observations sont "à l’étude" dans les situations assez exceptionnellement graves pour que ce rapport numérique s’inverse, malgré l’énormité de la sous-notification.
[12] Lancet 2004 ; 364 : 1995-6 ; NEJM 2005 ; 353 : 2913-4.
[13] C’est sans doute la contribution de nos gouvernements successifs - et de la législation européenne - à l’impératif de "lutte contre la criminalité"...
[14] Toujours en cours, à l’heure où s’écrivent ces lignes, sur les narcolepsies après vaccin anti-grippal, alors même que les autorités ne savent plus quel mensonge inventer pour promouvoir le vaccin suspect d’une aussi terrible complication.
[15] L’habile stratégie d’un labo, Science et Avenir, jan 1997, p. 27 : cf. PJ.
Marc Girard
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