Médiator : un conte pour Noël ?
L’actualité médiatique me conduit à ressortir cet article sur la mystification Médiator (date de première mise en ligne : 01/01/2011 [1]). Ni l’émission de C dans l’air à laquelle j’avais participé et où le plus ardent adulateur d’Irène Frachon [2] avait été le président du LEEM (le syndicat national de l’industrie pharmaceutique), ni la politique sanitaire de Macron et de sa bande, ni les blocages de la justice sur des affaires d’une tout autre gravité, ne m’incitent à renier ma prédiction que grâce à la bouffonnerie Frachon, la situation serait « pire qu’avant ».
L’affaire Médiator, on l’a dit et documenté, défie le sens commun. Et par le nombre de victimes (extrêmement faible toutes choses égales par ailleurs), et par l’inexplicable tardivité de cette micro-révélation relativement à l’immense scandale des anorexigènes impunément commercialisés par Servier depuis 1963, et par l’invraisemblance des circonstances ayant conduit à sa révélation, et par le caractère éminemment suspect de l’unanimité dans la dénonciation qui devrait soulever d’autant plus de résistances qu’elle vise une corruption censément généralisée - "palpable" dit le Petit Poucet (TF1 News, 30/12/10) : quant on "palpe" où ça fait mal, on s’attire généralement des gueulements, et pas des louanges généralisées - notamment des instances qui mériteraient le plus d’être palpées [3]...
A l’évidence, il y a de la magie dans tout cela.
Eu égard à l’intérêt assumé du présent site pour les contes de fées, il peut être utile de relire l’actualité à la lumière des analyses désormais bien classiques de V. Propp [4].
Le héros, c’est le Petit Poucet : caractère superbement trempé, comme attendu d’un pneumologue exerçant dans une ville où quand il y a de la brume, c’est qu’il va pleuvoir, alors que quand il n’y en a pas, c’est qu’il pleut... Comme souvent dans la littérature merveilleuse, la tradition est parasitée par une autre source - La Belle au Bois dormant en l’occurrence - puisque se réveillant d’un sommeil de cent ans, le Petit Poucet prétend vouloir éviter un deuxième scandale [5]. Les enfants rient beaucoup à cette version car, bien moins naïfs que ne l’imaginent les adultes, ils savent très bien qu’il y a plus que "deux" ou "trois" scandales au Royaume de la Pharmacie, et que quand un canard comme Le Figaro vous tresse plusieurs couronnes de lauriers par jour, c’est qu’il y a un blèmepro - comme ils disent...
Le méchant, c’est le fabricant du médicament. Comme tous les êtres malfaisants, il a les yeux rouges - et l’haleine fétide : même les crapauds craignent sa bave !... Tous les ans, à la même saison, il charme de jeunes vierges en leur faisant croire qu’elles seront bien plus séduisantes si elles perdent quelques grammes avant de paraître en bikini. Il les abandonne exsangues et moribondes sur les plages de sable, hélas hors d’atteinte du Parquet - lequel (comme la DDE, cette fois avec la neige) n’est évidemment pas équipé pour intervenir en pareil terrain.
Le chevalier, c’est le super-épidémiologiste qui a tout découvert avant tout le monde sans rien dire à personne. Malgré sa vaillance, il a été transformé en statue de pierre par le méchant (il l’a d’ailleurs échappé belle, parce que pour le même prix, il aurait pu se retrouver sous forme d’un "petit cercueil"). Bref et pour dire, sa délivrance dépend du héros. Petit Poucet doit venir, lui donner un grand coup de pied et, lui, doit alors débiter une formule magique : "Ouille mon cul ! Hue mes c*** ! A dada sur mon bidet ! Prout ! Prout ! Prout !" Le comique de la situation tient d’une part à la disproportion entre le petit pied de Poucet et le derrière du chevalier, d’autre part aux connotations sexuelles et scatologiques d’une formule magique en forme de comptine, bien classiques dans la littérature merveilleuse - et qui font beaucoup rire les enfants.
Le roi, c’est le ministre de la santé. Dans la logique narrative du conte, il n’a pas besoin d’être intelligent : c’est juste une instance de décision [6]. Ainsi, il peut prendre d’abord des décisions favorables au méchant, puis se déclarer en faveur du héros, tout en regrettant le sort injuste réservé au chevalier. Bonjour pour le suspense...
Les donateurs, ce sont tous les faux-culs de l’administration sanitaire qui, après avoir soutenu le méchant durant des décennies, se découvrent une soudaine passion pour la mission de Poucet. Ce sont eux, par exemple, qui vont lui conseiller les caramels mous pour rendre moins mal aimable la responsable de la pharmacovigilance à l’AFSSAPS [7]. Les enfants sont généralement horrifiés par tant de duplicité.
La récompense, c’est l’aura médiatique, d’autant plus convaincante qu’elle émane d’intervenants - parlementaires, experts, administratifs, journalistes - dont les liens d’intérêts sont particulièrement "palpables" [8]. Elle permet à Poucet enfin reconnu de pérorer sur n’importe quoi, sans être jamais contredit : les enfants adorent ça, car ils ont tous, au fond d’eux-mêmes, le goût des fatrasies.
Le narrateur, c’est un député socialiste de la région toulousaine [9] : avec sa faconde méridionale, il s’y entend à mettre les enfants dans sa poche - lesquels l’adorent de toute façon.
[1] N’en déplaise à ceux qui ne veulent plus entendre parler de Frachon après l’avoir adulée, ce n’est pas moi qui ai changé d’avis...
[2] Et le plus sévère pourfendeur de Servier.
[3] Plus d’un an après la mise en ligne de cet article, je lis sous la plume de Jacques Ellul (Exégèse des nouveaux lieux communs, La Table Ronde, Paris, 2004 : p. 18.) : "Ce qui révèle le plus aisément le lieu commun, c’est précisément cet accord de tous !" A l’aune de ce critère, il est facile de reconnaître le "lieu commun" dans cette dénonciation apparemment implacable de la pseudo-affaire Médiator.
[4] V. Propp. Morphologie du conte. Paris, Seuil, 1970.
[5] Sur ce point, les sources varient un peu, Poucet déclarant, selon d’autres versions, vouloir éviter "un troisième" scandale (France-Soir, 22/12/10), accréditant de la sorte l’existence d’un précédent avec l’Isoméride pourtant présenté dans son livre (p. 28) comme la démonstration de l’exception française par contraste avec la jobardise des Américains. Historiquement, il convient de rappeler que c’est depuis ce jour où notre Agence a ridiculisé les autorités américaines dans la gestion du scandale fenfluramines que l’on trouve des coqs sur tous les clochers de France.
[6] Qui dispense le narrateur de la moindre justification concernant les décisions en question : nous reviendrons sur ce point à la fin.
[7] Les versions varient là encore sur ce point : selon certaines, c’est une pinte de bière à la cerise qui lui aurait ouvert les portes de l’AFSSAPS.
[8] Elle peut aussi émaner de "grands reporters" avouant sans fard ne rien connaître au monde de la santé, mais forcés de gagner leur croûte depuis que leur rédaction a jugé plus rentable de couvrir l’actualité en Irak ou en Afghanistan par des couper-coller en corrigeant juste au jour le jour le nombre de victimes - à trois poils près, il faut le dire.
[9] Certains critiques parlent de "metteur en scène". C’est idiot : dans la littérature merveilleuse, on a des narrateurs, pas des metteurs en scène...
Marc Girard
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