Commission d’enquête de l’Assemblée Nationale sur la grippe H1N1 : évaluation du rapport final
Plusieurs internautes m’ont demandé de commenter le rapport final consacré aux travaux de la Commission d’enquête réunie par l’Assemblée nationale "sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1)". Ce rapport a été diffusé à la mi-juillet 2010.
A titre liminaire, qu’il me soit permis de confesser que ce commentaire correspond pour moi à une corvée d’utilité publique, car de façon - là encore - assez précoce pour ne pas me rendre suspect de réagir a posteriori, je n’ai cessé d’ironiser sur les résultats prévisibles de cette enquête-bidon (cf. entre autres mes Perles des [04/01, 15/01, 19/01, 20/01, 23/01, 29/01 [1], 18/02, 30/03, 01/04, 05/04, 16/04->57], ou encore des [16/05/, 02/06, 12/06/, 21/06 [2]->133]). Je serais donc fondé à soutenir qu’il n’y a pas un instant à perdre avec la misère prévisible et prévue de cette contribution sachant de plus que, d’expérience, il n’y a rien de plus ravageant et consommateur de temps que de réfuter l’ineptie.
Il est utile de préciser pour radical qu’il fût, mon scepticisme ne résultait pas d’un préjugé obtus à l’égard des politiques : mais dans ses présupposés comme dans sa méthodologie, cette commission n’a jamais eu la moindre crédibilité (je reviendrai sur ce point dans un instant).
Tel qu’il se présente aujourd’hui, ce pauvre rapport atteint le respectable volume de 742 pages : perdre du temps à confirmer ce qui a été annoncé, c’est se détourner d’autres questions plus essentielles [3]. La presse française, par exemple, est restée très discrète sur les récents déboires d’Avandia qui, à trois jours d’intervalle (09/07 et 12/07), ont justifié pas moins de deux articles dans le New York Times - revue provinciale à diffusion confidentielle (sans commune mesure avec les phares intellectuels qui justifient ici l’argent récemment réinvesti du minitel rose et du porno) mais qui, pour l’essentiel, confirment l’analyse de la pharmacovigilance telle que, tant bien que mal, j’avais essayé de présenter lors de mon audition...
En l’espèce et pour les raisons susdites, je me propose donc de mettre en pratique la méthode évoquée dans mon livre (p.79) :
on n’a pas besoin d’avaler jusqu’au bout un oeuf pour constater qu’il est pourri (...) : il y a des bouquins dont il suffit de lire la quatrième de couverture pour savoir ce qu’il y a dedans.
Des conclusions prévisibles et prévues
Dans Les Echos du 21/01/10, on pouvait lire cette profession de foi du président du Nouveau Centre, principal demandeur de la commission :
C’est une commission pour accompagner tout gouvernement à mieux gérer les crises de pandémie et à répondre de manière efficace aux questions posées », a plaidé le président du groupe centriste, François Sauvadet, se défendant de vouloir « remettre en cause l’action » de Roselyne Bachelot, qui « a bien fait son job ».
La signification de cette partialité fondatrice est encore aggravée dans le rapport (p. 8-9) par la revendication décomplexée de tout ce que la commission a délibérément ignoré, à savoir notamment les conflits d’intérêts des experts (ainsi que le scandale des antiviraux, celui-ci n’étant d’ailleurs qu’un prolongement de ceux-là) : ce, au motif que
"le seul sujet de l’organisation de la campagne de
vaccination étant au demeurant suffisamment complexe pour éviter toute dispersion." On pourrait s’arrêter là, car une bonne part de la supercherie se résume à cet aveu :
- Loin de s’interroger sur la mystification qui a conduit a inventer une "pandémie" dont il est aujourd’hui notoire qu’elle n’a jamais existé, on s’escrime à la recrédibiliser rétrospectivement en affectant de s’interroger gravement sur les modalités d’une meilleure organisation lors de "la prochaine" pandémie : mais pour qu’il y ait une "prochaine", encore eût-il fallu qu’il y en eût une "précédente". Il est d’autant plus regrettable que cette question centrale soit esquivée par la commission que la tromperie de la "précédente" (grippe porcine) succédait elle-même à la blague de la pénultième (grippe aviaire), pour ne point parler de l’antépénultième (virus HPV) et de celles qui ont encore précédé (hépatite B)... Il faudra bien s’interroger un jour sur ces épidémies virales dont l’actualité en termes de santé publique est scandée par la disponibilité de vaccins dont le coût exorbitant est la seule originalité.
- En admettant même qu’il eût été légitime de limiter les travaux de la commission à "l’organisation de la campagne", n’était-ce pas aller un peu vite en besogne que de poser d’emblée que l’organisatrice incontestée de cette campagne avait "bien fait son job" ? A quoi bon enquêter, si elle a tout fait bien ?
Le motif de ces incohérences pourtant voyantes, c’est tout simplement l’historique le plus probable qui a conduit à toute cette gabegie. Il se murmure en effet que, préoccupé non pas tant par la dangerosité propre de la grippe que par la perspective de millions de travailleurs en arrêt-maladie dans le contexte d’une crise économique grave (pour s’informer, on a les experts qu’on peut), c’est le Président de la République lui-même qui aurait fait le choix d’un achat massif aux conditions exorbitantes imposées par les fabricants. Toujours soucieux de justifier mes références, je tiens à préciser ici que je n’ai pas de preuves formelles du fait - lequel ne m’est remonté que par l’intermédiaire des meilleurs-experts certainement plus au fait que moi de ce qui s’est réellement passé dans les allées du pouvoir. Mais je tiens ce on-dit pour d’autant plus crédible qu’il est fort compatible avec ce que nous savons de l’omniprésence présidentielle et que, d’autre part, il explique l’injustifiable comportement de la ministre de la santé, laquelle s’est cantonnée dans une posture d’exaspérante arrogance : ne cherchant même pas à mimer l’intelligence ni l’élégance, la ministre a simplement donné l’image d’une femme assurée d’une totale impunité.
La boucle serait donc bouclée, car si l’on peut tenir pour éminemment probable que le responsable de cette désastreuse campagne n’est autre que le Président de la République en personne, on n’imagine pas une seconde les leaders du Nouveau Centre aller mordre la main qui les nourrit : Madame Bachelot a d’autant "mieux fait son job" qu’elle s’est contentée d’obéir aux ordres du patron...
Une méthodologie inadéquate
Du début à la fin, cette commission d’enquête a donné une image de bricolage et de combine. D’abord, en s’écartant de l’usage qui veut que les postes de président et celui de rapporteur soient équitablement répartis entre la majorité et l’opposition. Ensuite, et à l’autre bout de la chaîne, en bouclant un rapport dans la précipitation : selon le Canard Enchaîné (07/07/10), deux photocopies seulement du rapport ont été mises durant quatre jours à la disposition des 30 membres de la Commission...
Entre ces deux extrêmes, tout a boité : sans même évoquer l’assiduité apparemment problématique de la plupart des membres, citons quelques éléments en vrac.
- De quel droit les séances, non publiques, n’ont-elles été ouvertes qu’aux journalistes ? Y a-t-il, en France, des citoyens de seconde zone dans le droit à l’information (sachant de plus qu’en l’espèce, ces journalistes si bizarrement privilégiés ont quand même joué un rôle majeur dans la réplication et l’amplification des informations fausses qui ont alimenté le scandale de la grippe porcine) ? Il me paraît ahurissant qu’aucun parlementaire - de droite, de gauche ou d’ailleurs - n’ait eu l’idée d’évoquer cette élémentaire question de droit [4].
- Au nom de quel principe les personnes auditionnées n’ont-elles eu aucun réel droit de regard sur la transcription de leur audition - et notamment des propos qui leur sont attribués ? La lettre de convocation stipulait textuellement que le compte rendu adressé aux intéressés "ne pourra[it] être corrigé". C’est ainsi que, pour parler de ce que je connais, le compte rendu de ma propre audition ne recouvre qu’approximativement ce qui s’est réellement dit : on n’y entend plus Lagarde insister lourdement sur le fait que ma convocation fut simplement réductible à une lubie de son collègue Bapt, on n’y comprend qu’imparfaitement les motifs qui ont justifié le soir même ma lettre ouverte, on n’y reconnaît que vaguement ma dénonciation pourtant fort argumentée d’une pharmacovigilance qui "ne marche pas" et qui n’a jamais marché, on n’entend qu’incomplètement Madame Lemorton (députée de Toulouse et pharmacienne d’officine) dénoncer la tromperie qui conduit à vacciner contre l’hépatite B des bébés totalement à l’insu des parents... On peine à admettre que le Président puisse essayer de mettre un auditionné en difficulté au motif que sa déposition est intégralement enregistrée (p. 656), sans avoir l’élémentaire élégance de veiller à ce qu’à tout le moins, cet enregistrement lui soit ensuite remis afin de permettre les vérifications qui s’imposent. On comprend mal, enfin, que sans le moindre élément de fait pour soutenir ses accusations, le même président accuse répétitivement un auditionné d’avoir "caviardé" Dieu sait quoi Dieu sait comment (Rapport, p. 652 et 654).
- S’il est exact que, devant la commission, un auditionné a pu proférer des "mensonges" (Rapport, p. 652 et 653) après avoir prêté serment, comment un Président responsable peut-il se dispenser de réclamer les sanctions judiciaires qui devraient alors s’imposer ? Faut-il comprendre que le cérémonial sur serment, c’était juste du pipeau [5] ?
- En admettant même qu’un script intégral des dépositions ait été matériellement impossible à réaliser en si peu de temps :
- avec quels moyens cette commission - par ailleurs incapable de faire des photocopies en nombre décent à destination de ses propres membres - a-t-elle réussi le travail considérable d’obtenir, en une dizaine de jours seulement (de ma convocation du 27/05 à mon audition réelle du 09/06), le script intégral de mes interventions publiques->142] ? A-t-elle bénéficié de concours extérieurs et si oui, desquels ?
- pourquoi ne pas avoir adopté le moyen simple et éprouvé d’un enregistrement vidéo des auditions ?
- Sur la base de quels critères ont été choisis les journalistes qui ont participé à la table ronde du 27/05/10 ? Pourquoi n’y trouve donc aucun représentant de cette "petite" presse qui, à la différence des invités de ce jour-là, a vaillamment résisté à la propagande gouvernementale ?
- De la même façon, sur la base de quels critères ont été choisis les experts ou techniciens auditionnés ? Dans la mesure où c’est constamment et exclusivement derrière leur "excellence" présumée que s’est abritée Madame Bachelot pour justifier le bien-fondé de sa campagne, pourquoi n’a-t-il pas été approprié de les interroger sur leurs biais et leurs conflits d’intérêts même si la commission entendait ne se concentrer "que" sur cette campagne ?
Rien de tout cela ne tient debout.
Des recommandations atterrantes
Sans qu’il soit besoin, là encore, de commenter l’intégralité du détail, l’incongruité rare des recommandations confirme la débilité de l’ensemble.
Au terme de cette histoire qui a surtout montré le danger pour la santé publique d’un secteur vaccinal réglementairement sinistré par les lobbies et exploité sans scrupules pour garantir la rentabilité d’une industrie pharmaceutique obstinément incapable d’innover, la commission n’a pas trouvé mieux que de recommander "une politique vaccinale volontariste" (p. 119)... Et, dans l’improbable cas où le lecteur, suffoqué de rire, n’aurait pas bien compris, le rapporteur s’empresse de préciser qu’il parle bien des vaccins "contre la grippe saisonnière" - quand l’histoire aura été notamment l’occasion de livrer au débat public les résultats désastreux des évaluations Cochrane concernant ces vaccins-là précisément. Il est difficile d’être plus autiste.
On n’a que l’embarras du choix, ensuite, si l’on préfère pleurer que rire : par exemple, quand on entend le rapporteur recommander la mise en place d’études épidémiologiques "lors de toute future campagne de vaccination" (p. 115) alors qu’à la base du problème posé, il y a d’abord l’insuffisance des études qui devraient conditionner l’autorisation de mise sur le marché (et, par conséquent, la mise en place éventuelle de "campagnes" ultérieures) [6].
J’ai un attachement sentimental tout particulier concernant la recommandation de "conforter l’expertise" (p. 116). D’abord pour le choix du mot "conforter" qui signifie notamment (selon le Grand Robert) "Donner des forces à (un régime politique, une situation, une thèse, etc.)(...) Raffermir (qqn) dans une opinion" : comme si tous ces meilleurs-experts à la solde des lobbies et devant qui les politiques se sont durablement couchés avaient, en sus, besoin d’être "raffermis" !... Ensuite, parce que, si l’indigente défense des politiques s’est limitée à dénoncer l’incompétence présumée des experts à qui l’épreuve du réel a outrageusement donné raison [7], je reste sur le reproche que m’a adressé en privé un député d’avoir commis "une grave erreur" en dénonçant réciproquement l’incompétence pourtant facilement documentable de certains responsables sanitaires. "Ces problèmes de compétence, me suis-je vu objecter, ça n’intéresse personne" : sauf lorsqu’il s’agit de conforter dans leur usurpation les "experts" qui ne sont que les hommes de paille des lobbies, mais dont l’indiscutable "compétence" exonère les politiques d’avoir à justifier leur choix d’experts - accessoirement à l’assumer quand il s’avère rétrospectivement catastrophique ou scandaleux ("responsables mais pas coupables").
C’est aussi l’occasion de dénoncer vigoureusement l’oecuménique exhortation du rapporteur à reconnaître un droit à l’erreur. Certes, personne - et surtout pas l’auteur de ces lignes - n’est à l’abri d’une erreur ; mais, tandis que l’erreur qui relève de ce droit se répartit équitablement d’un côté ou de l’autre de la vérité, le type d’erreurs commises par les meilleurs-experts de l’administration a systématiquement penché vers la défense des intérêts de leurs sponsors : dans la méthodologie statistique si regrettablement ignorée du rapporteur, ce type d’erreur correspond à ce qu’on appelle un biais et la reconnaissance de tels biais requiert naturellement d’en rechercher les causes - selon une exigence intellectuelle qui s’inscrit comme par hasard à rebours du pauvre programme adopté par les responsables de la commission.
Je ne reviendrai pas sur la sidérante déploration de la commission relative à la mise à l’écart des médecins dans la campagne vaccinale : quand il n’est plus sérieusement contestable que toute cette pseudo-pandémie - et la campagne qui allait avec - n’a été qu’un piège à cons tendu par les lobbies, il faut vraiment n’avoir peur de rien pour soutenir que si l’on y avait associé les médecins, il aurait mieux fonctionné ! Voilà qui augure bien mal de la recommandation associée visant à "améliorer les modalités d’information des professionnels de santé". Avec un appui aussi peu dissimulé des parlementaires, on peut compter sur les lobbies pour nous concocter une "formation médicale continue" dont on vous dira des nouvelles...
Enfin, puisque même les meilleurs-experts de Madame Bachelot semblent l’ignorer et, qu’à ma connaissance, ce point n’a encore jamais été publiquement relevé, qu’il me soit permis de rappeler qu’outre son caractère proprement scandaleux (cf. plus bas), la mise en cause unilatérale d’internet par les politiques renvoie à un nouveau coup de force réglementaire qui contribue, s’il en était encore besoin, à décrédibiliser la pharmacovigilance des vaccins contre la grippe porcine. Car dans leur obstination bornée à voir dans ce média la source de tout le mal, nos parlementaires ont simplement oublié que la réglementation pharmacovigilante en vigueur [8], loin d’autoriser à traiter internet avec mépris, imposait normalement aux fabricants de documenter toutes les alertes de tolérance circulant sur ce canal et parvenant à leur connaissance, ce au titre de leurs obligations de suivi après commercialisation... C’est peu dire que de celle-ci comme des autres, ils n’ont pas fait grand cas - et que nos parlementaires eussent été bienvenus de réserver un minimum d’indignation réciproque relativement à ce scandale dans le scandale.
Pour conclure
On hésite entre deux qualifications pour ce pauvre rapport : torche-cul prévisible, ou magouille préoccupante. Il est à craindre, hélas, qu’il ne justifie les deux...
- Certes, on reste d’abord confondu par une telle nullité dont on trouverait bien d’autres illustrations si l’on se donnait la peine de tout lire ligne à ligne : il suffirait de se baisser pour en ramasser des brassées à chaque fois. Oh ! je n’ai pas la nostalgie d’un âge d’or de la démocratie ; mais force est de constater qu’à l’heure actuelle, la caractéristique la plus nette des politiques, c’est qu’ils n’ont même plus besoin de ruser pour prétendre abuser les citoyens - même plus besoin de mimer l’intelligence ou le scrupule pour faire passer les plus lamentables de leurs petites mystifications [9].
- Cependant, ce qui se joue-là, également, c’est l’institutionnalisation du mépris radical des politiques pour les citoyens : alors que le personnel politique ne craint pas d’exploiter comme "victoire prometteuse" une élection gagnée avec moins de 15% des inscrits (cf. Les Perles du 13/07/10), c’est une insupportable arrogance d’accréditer que le refus massif de la mystification grippale et de la supercherie vaccinale serait réductible à l’incapacité des citoyens concernés de choisir leurs sources d’information ! C’est le retour du traité de Lisbonne, à ceci près que la volonté ignorée par la classe politique à l’occasion de ce traité était celle de 56% des citoyens, quand celle sur laquelle ils osent jeter l’opprobre avec un tel cynisme concerne cette fois 85% des Français...
Cette dégénérescence des politiques vers une incompétence de plus en plus voyante assortie d’un mépris compensateur non moins voyant à l’égard des citoyens témoins - et victimes - de leur incurie n’est évidemment pas l’exclusive du rapporteur ou du président de cette commission. Je n’ai pas l’immodestie de juger l’état de la Nation à l’aune de la réception réservée à mes oeuvres, mais qu’il me soit permis de rapporter l’anecdote suivante dont j’abandonne l’interprétation à mes lecteurs. Mon livre s’étant d’emblée posé comme réflexion politique sur une situation générale où la grippe porcine n’y était traitée que comme un exemple parmi bien d’autres, j’en ai adressé dès octobre un exemplaire aux principaux leaders du monde politique (parlementaires, ministres, chefs de partis, etc.), sachant que depuis cette date, on ne peut pas dire que les événements aient le moins du monde contredit mes analyses, notamment en ce qui concernait la supercherie de la grippe porcine, les conflits d’intérêts des experts, le principe de précaution ou encore le délitement de la réglementation pharmaceutique sous les coups de boutoir des lobbies européens. Or, tandis que le personnel de droite dans son ensemble a tenu au moins à accuser réception du bouquin (le regretté Philippe Seguin étant clairement le seul à en avoir effectivement pris connaissance), aucun leader ni de la gauche, ni de l’extrême-gauche, ni des Verts n’a même daigné sacrifier à ce rituel d’élémentaire politesse...
J’ai suffisamment le sens du Bien Public pour n’éprouver aucune blessure narcissique à ce désintérêt unanime du personnel de la gauche élargie. Mais j’y vois - et cela m’inquiète - la confirmation d’une analyse que j’ai déjà eue l’occasion d’exposer sur ce site, à savoir que notre société souffre d’une absence totale de pensée politique appliquée à la santé : situation qui ne devrait pas manquer d’alerter les citoyens au simple regard du fait que les dépenses de cette santé (par rapport à laquelle les politiques abdiquent toutes leurs prérogatives au profit "d’experts" marrons) comptent cependant pour plus de 11% de notre PIB...
Lors de mon audition, Madame Lemorton a eu le courage d’un aveu accablant : " J’ai été alertée très tôt par le collectif Europe et Médicament qu’une circulaire délétère [sur la pharmacovigilance] était en préparation à Bruxelles. La commission des affaires européennes de notre assemblée a été jugée seule habilitée à statuer sur cette circulaire, sur le rapport de Mme Valérie Rosso-Debord. Cependant, cette commission ne comporte, à gauche comme à droite, aucun spécialiste de pharmacovigilance" (cf. Rapport, p. 649). Cette directive assez scélérate pour que je l’évoque spontanément dès mon introduction correspond en fait à l’instrument réglementaire visant à accélérer et à faciliter l’introduction de médicaments insuffisamment évalués lors du développement clinique : c’est-à-dire, soyons précis, à légitimer l’introduction accélérée de médicaments qui, à l’échelle de la seule Europe, rapporteraient des milliards d’euros à leurs fabricants tout en pouvant se solder, toujours à la même échelle, par des centaines de milliers d’accidents potentiellement graves. Or, relativement à des textes d’une telle portée économique et sanitaire, les citoyens apprennent - par hasard en passant - que pas un des parlementaires européens n’a la moindre compétence pour comprendre le texte que, n’en doutons pas, ils n’auront aucune réticence à voter !...
Au terme de quelle dérive a-t-on pu aboutir une telle démission du politique, quand il suffit d’une culture historique minimum pour savoir que de tout temps - et avec les moyens du bord - les gouvernements, fussent-ils antiques ou médiévaux, ont toujours eu une conscience aiguë des risques encourus par les populations si on laissait libre cours à la fantaisie des charlatans ?...
On ne manquera pas de relever au passage que l’exploitation par la commission du désastre de la grippe porcine en une réhabilitation du risque de grippe aviaire (p. 65 du Rapport) devrait mettre bien mal à l’aise les Diafoirus d’internet et autres experts autoproclamés (il y en a eu, ô combien !) : lesquels, incapables d’évaluer sérieusement la situation épidémiologique et, encore moins, de fournir le moindre argument approprié sur le coup de force technico-réglementaire ayant permis la mise sur le marché de vaccins trop évidemment bâclés, se sont contentés de contester la campagne vaccinale de Madame Bachelot en opposant la grippe porcine dans sa bénignité à ce que pourrait être une grippe aviaire dans sa malignité présumée ; en lui reprochant d’opposer au H1N1 les armes qui se fussent indubitablement imposées contre le H5N1... Formidable retour des choses, en vérité, quand la supercherie de cette grippe aviaire brandie depuis des années par nos meilleurs-experts a tout de même été l’ancrage de la résistance citoyenne à cette nouvelle supercherie de la grippe porcine. De la sorte, se trouve réactualisée l’analyse de mon livre (p. 41) relativement aux "Malgré nous de l’alarmisme" qui, faute d’une compétence idoine, n’ont rien trouvé de mieux, pour éteindre des braises qui n’inquiétaient personne, que ranimer le prochain incendie par lequel les ridiculisés de la grippe porcine vont se repositionner en prophètes de la prochaine pandémie à venir. Cela renvoie, bien sûr, à une éthique de la prise de parole sur internet, laquelle fera peut-être l’objet d’un article ultérieur. Dans l’entre temps et puisque les écrits restent, qu’il me soit permis de rappeler qu’à l’heure où s’écrivent ces lignes (20/07/10), les preuves d’une menace significative liée à une grippe "aviaire" sont aussi pauvres et fantaisistes que celles qui ont conduit à la mystification de la grippe porcine : certains opposants à la campagne vaccinale de Madame Bachelot auraient fini par nous le faire oublier...
Pour conclure, qu’il me soit permis de dire que je tiens la nullité de cette enquête pour un échec personnel : quitte à affronter l’ironie blasée de mes correspondants, je n’ai cessé - et depuis le début - de soutenir que le délabrement technico-réglementaire du monde pharmaceutique et la collusion massive des autorités sanitaires avec les lobbies appelaient, et de toute urgence, l’intervention du politique [10]. Cependant, on a vu ce qu’on vient de voir... Mais qu’y faire ? Descendre dans la rue ? Leur couper la tête ? Même si elle s’achève en queue de poisson trop prévisible, cette commission est une première car malgré toutes les petites manoeuvres de dissimulation et de magouille, elle s’est déroulée au su et au vu de millions de citoyens reliés par la toile. Ce qui a fondamentalement changé par rapport à un passé pas si lointain, c’est que, désormais, les gens n’en sont plus réduits à ravaler leur indignation - après l’avoir diluée dans l’irrésolution à laquelle les acculait leur solipsisme obligé [11] : ils se comptent, recoupent leurs informations et échangent leurs analyses. Ils s’encouragent dans la révolte - et ce n’est pas un hasard si ceux sur lesquels se focalise cette révolte désormais durable n’ont pas de mots assez durs pour condamner ce réseau informatique qui met à nu leurs scrofules. Certes, le risque existe que dans un sursaut désespéré, les responsables de toute cette corruption parviennent à juguler le formidable instrument de résistance citoyenne qu’est devenu Internet. Mais j’ai confiance dans la capacité de rébellion de mes concitoyens. Je veux croire que, par la pression de leur esprit critique, de leur colère et de leur dévotion au Bien Public, ils vont forcément ramener les politiques à un peu plus de respect pour la démocratie - et un peu plus de considération pour la santé publique...
Plus que jamais, s’impose à nous l’exhortation fondatrice de notre Nation : "Aux armes, citoyens !"...
[1] "On trémule d’excitation anxieuse dans l’attente de leurs conclusions"
[2] "Ces aveux ajoutés au spectacle des commissions d’enquête parlementaires nous font apercevoir les racines de l’impunité dans l’Etat prédateur"
[3] J’ai toujours soutenu que la question de la grippe porcine n’était qu’un exemple parmi bien d’autres et qu’il importait de ne pas s’y noyer
[4] Le jour même où cet article est posté, Le Monde.fr (20/07/10) qualifie de "décision absurde et contradictoire avec l’esprit même de la réforme constitutionnelle de 2008" celle consistant à imposer le huis clos pour l’examen en commission du projet de loi sur les retraites. De nouveau et comme par hasard, le problème ici posé (en l’espèce : la transparence du débat politique) dépasse largement la seule question de la grippe porcine.
[5] Je note rêveusement que dans les 742 pages du rapport, le mot "mensonge" (ou "mensonger") n’est employé que six fois, dont deux fois à mon égard (33% des occurrences...) et pour le reste jamais à l’encontre de quelque personne auditionnée que ce soit... Quant à "caviardé", le terme n’est repris que trois fois dans le rapport, chaque fois à mon propos (100% des occurrences)
[6] Le sérieux de la proposition se mesurant également à l’incongruité de la méthode recommandée ("par un suivi statistique ou de cohortes") par quoi le rapporteur - pourtant médecin de son état - justifie à son corps défendant sa recommandation d’"améliorer les modalités d’information des professionnels de santé" (p. 119) - surtout quand ils opèrent comme rapporteurs d’une commission parlementaire...
[7] "Experts auto-proclamés", "Diafoirus d’internet"...
[8] European Commission. Volume 9A of the rules governing medicinal products in the European Union, section 4.3.3.
[9] L’actualité fournit un autre exemple, non moins éloquent, du processus où, confrontés aux démentis les plus impitoyables du réel, les politiques n’ont d’autre défense que de s’obstiner ad nauseam dans leurs mensonges pourtant démasqués, assurés qu’ils se trouvent qu’une presse à la botte ne craindra pas d’en repasser en boucle même les plus inconcevables...
[10] Et ils sont quelques-uns, dans le monde politique, à avoir fait l’expérience de ma disponibilité et de mon respect dès lors qu’ils sollicitaient l’éclairage de mon expertise
[11] On peut parier, par exemple, que le pourcentage désormais considérable des Français qui jugent leurs politiques corrompus, tel que révélé par un récent sondage, n’est pas près d’évoluer à la baisse
Marc Girard
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