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Qualité des génériques : une histoire indienne et édifiante
Via un commentaire (doi:10.1016/S0140-6736(13)60845-4) doublé d’un éditorial (p. 2186), tous deux consacrés à l’industrie pharmaceutique indienne, la dernière livraison du Lancet (No 9936, 28/06/14) m’informe d’une affaire assez récente dont j’avoue qu’elle m’avait échappé : l’interdiction aux USA des produits fabriqués par Ranbaxy, l’un des leaders mondiaux du générique, après la condamnation judiciaire de ce dernier pour un montant de 500 millions de dollars (plus de 366 millions d’euros).
Pour autant qu’on puisse le reconstituer et quoiqu’elle ait fait l’objet d’au moins un article français dans la presse grand public (qui m’avait également échappé), cette sanction pourtant exemplaire ne semble pas avoir suscité beaucoup d’écho sous nos latitudes…
Pour prendre la mesure de l’entreprise mise en cause, il suffit de se reporter à Internet : classé parmi les dix premières firmes pharmaceutiques indiennes (dans une nation en passe de devenir l’un des acteurs majeurs de la pharmacie mondiale), Ranbaxy est à l’échelle internationale l’un des principaux fabricants de génériques. En France, en 2004, Ranbaxy avait racheté le département générique d’Aventis – excusez du peu. Strictement muet sur les ennuis judiciaires pourtant exceptionnellement graves de ce fabricant, le site français de celui-ci présente une centaine de produits, qui concernent un éventail aussi varié que (liste non exhaustive) : acébutolol, aciclovir, allopurinol, amiloride, amiodarone, amoxicilline-acide clavunalique, aténolol, azithromycine, bisoprolol, candésartan, céfixime, cefpodoxime, ceftriaxone, céfuroxime, cétirizine, ciprofloxacine, citalopramn, clarithromycine, diclofénac, éconazole, finastéride, flécaïnide, fluvastatine, fosfomycine, gliclazide, ibuprofène, indapamide, irbésartan, kétoprofène, lamotrigine, lévofloxacine, lisinopril, lopéramide, losartant, metformine, métoprolol, miansérine, mirtazapine, montélukast, naftidrofuryl, nifédiine, norfloxacine, ofloxacine, olanzapine, oméprazole, pantoprazole, paracétamol, paroxétine, périndopril, pravastatine, prednisolone, roxithromycine, sertraline, sildénafil, simvasatine, sotalol, spironolactone, terbinafine, tramadol, valaciclovir, valproate de sodium, valsartan, zolpidem, zopiclone… De quoi faire chaud au coeur des confrères qui prescrivent ces produits tous les jours, en faisant confiance au pharmacien pour la substitution...
Nonobstant cette exhibition complaisante de belle santé (que les autorités françaises se gardent bien de contrarier comme elles en auraient pourtant le droit - on ne parle pas du devoir), Les Échos (07/04/14) qualifient de « désastreux » l’investissement du groupe japonais Daiichi Sankyo concrétisé par le rachat, en 2008, d’une entreprise apparemment aussi florissante que Ranbaxy. Il faut dire que, en mai 2013, cette firme indienne a plaidé coupable devant la justice américaine, acceptant de payer une amende de 500 millions de dollars [1]. Depuis, et suite à la foultitudes d’infractions révélées par diverses inspections américaines, quatre des cinq sites sont aujourd’hui interdits d’exportation aux États-Unis, qui absorbaient jusqu’alors 40% de la production du groupe. C’est toujours ça de pris pour ravitailler les officines françaises ou européennes : en période de pénurie pharmaceutique organisée – quand on en vient à manquer des mois durant de médicaments aussi essentiels que la doxycycline –, on aurait tort de cracher sur une source aussi providentielle… Sachant, de plus, que si Ranbaxy pèse déjà d’un poids déterminant comme fabricant titulaire, l’histoire ne dit pas le nombre d’autres acteurs du secteur qui s’approvisionnent directement chez ce fabricant ; elle ne dit pas non plus ceux qui ont recours aux mêmes fournisseurs de matières premières plus que douteuses…
Le site du département de la Justice américaine permet de reconstituer l’essentiel du contentieux : matières premières ou composants non conformes, risques majeurs de contamination, études bidon, procédures foireuses, obligations déclaratives ignorées, obstination et récidive dans l’irrégularité… Un article du New York Times (14/02/14) ajoute à cet inventaire accablant quelques détails piquants – si j’ose dire –, comme les mouches sur un site « critique » de fabrication « trop nombreuses pour être comptées » : on n’imaginait pas des inspecteurs américains faire preuve d’un sens aussi british de l’understatement…
Peinant à dissimuler une certaine connivence avec leurs nationaux, les autorités sanitaires indiennes déplorent in petto que s’il s’agissait d’aligner leur réglementation pharmaceutique avec les standards américains [2], la plupart de leurs fabricants n’auraient plus qu’à fermer boutique. Ce en quoi, elles témoignent – pour l’instant – d’une humilité inconnue des autorités chinoises qui, elles, ne craignent pas de refuser leur visa aux inspecteurs des administrations étrangères : sachant que, comme le souligne l’article du New York Times, les ingrédients de tout un tas de médicaments essentiels – allant, entre autres, des antibiotiques aux stéroïdes – ne se trouvent plus qu’en Chine, que tout le monde s’accorde par ailleurs à considérer comme l’archétype du pays voyou en matière pharmaceutique…
Ainsi, alors que jusque voici encore pas longtemps, le contrôle « policier » des sites de fabrication et des fournisseurs de matières premières faisait part intégrante des prérequis élémentaires conditionnant une autorisation de mise sur la marché, la promotion irresponsable de la substitution générique a permis, en un temps record, l’effondrement des principes les plus sacrés de la fabrication pharmaceutique : le tout, sous les applaudissements frénétiques des revues « qui ne se trompent jamais », des vaillants « lanceurs d’alerte » qui n’ont jamais rien risqué, des "experts" discourant sur la réglementation pharmaceutique sans en rien connaître et des journalistes imbéciles prêts à toutes les crapuleries pour accréditer que la critique des génériques serait l’apanage des affidés à Big Pharma.
Napoléon disait qu’un bon schéma vaut mieux qu’un long discours ; c’est mon avis qu’une bonne anecdote vaut parfois mieux qu’une longue dénonciation. Écoutez donc celle-ci que je tiens du pharmacien responsable d’une petite firme. Celle-ci a racheté les droits pour un médicament administrable par voie locale (pommade) dont le principe actif, largement utilisé en cosmétique, est fabriqué depuis des décennies par un industriel français. Au cours des démarches administratives nécessitées par le changement de titulaire, mon informateur se rend compte que les procédures entourant la fabrication du produit dont il a besoin pour un usage pharmaceutique doivent naturellement être renforcées par rapport à celles de la cosmétique : il se heurte au refus catégorique de son fabricant qui lui fait remarquer, d’ailleurs à juste raison, qu’il ne va quand même pas alourdir ses procédures pour un client qui compte pour moins de 1% relativement au volume fabriqué. Assez emmerdé, le nouveau titulaire se rend à l’ANSM pour exposer la difficulté, à quoi son interlocuteur – fort arrangeant – lui répond d’un air entendu : « vous ne pourriez pas trouver un fabricant en Chine ? » [3].
[1] Dans ma propre expérience judiciaire, pourtant assez conséquente, je n’ai pas souvenir d’avoir vu un fabricant condamné par la justice française à plus de cent ou deux cent mille euros, grand maximum, dans des affaires pourtant scientifiquement aussi pliées que le diéthylstilboestrol (« Distilbène »). Dans les affaires vaccinales, la charité m’épargnera d’évoquer le maximum de 5000 € que j’ai vu infliger à un leader de la pharmacie mondiale au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, par suite d’un exceptionnel abus de procédure qui aurait tout aussi bien pu aller chercher une procédure pénale pour faux et usage de faux : mais le Pôle santé est tellement surmené...
[2] Lesquels, via la fameuse International Conference on Harmonisation, sont peu ou prou les mêmes qu’en Europe…
[3] N’ayant pas été témoin direct du fait, je ne peux me porter garant de cette histoire. Mais force est de constater qu’elle ressemble, en petit, à celle de bien plus grande ampleur qui a été médiatisée par mes collègues Poirier et Levieux, à savoir : l’agence française prenant l’initiative d’inciter les fabricants d’héparine à s’affranchir de la réglementation si la matière première venait à manquer…
Marc Girard
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