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Pharmacies en ligne : une interview du Dr Girard

samedi 10 août 2013 par Marc Girard

Début août 2013, alors que l’Ordre des pharmaciens portait déjà plainte contre onze site non autorisés de pharmacie en ligne, une consoeur m’a transmis pour avis les questions qui venaient de lui être posées par un journaliste.

Tout en déplorant, une fois de plus, la propension des médias français à se tourner vers des médecins pour des questions qui relèvent de la pharmacie (alors que les deux professions sont séparées depuis des siècles et qu’elles n’ont aujourd’hui pas grand chose de commun), j’espère utile de rendre publiques les réponses qu’a suscitées cette interview par procuration.

Q. Quelques jours à peine après l’autorisation de la vente de médicaments en ligne, onze sites sont déjà soupçonnés de vente sans autorisation, en s’étant fait passer pour des sites de pharmacies françaises. A-t-on bien évalué les risques sanitaires ? Est-il réellement possible de contrôler la vente en ligne ?

Comme vous le remarquez d’emblée, l’actualité s’est rapidement chargée de répondre, et par la négative : à partir du moment où l’administration sanitaire soutient sans rire que le petit Servier aurait été assez malin pour, à lui tout seul, mettre en échec l’ensemble du système, qui croit sérieusement qu’elle aurait les moyens de contrôler l’ensemble de la Toile (surtout quand on connaît le niveau informatique lamentable de l’ANSM [1]…) ?

Q. Dans l’éventualité où elle sera autorisée à vendre des médicaments, la grande distribution proposait de mettre des pharmaciens à disposition. Les clients seraient donc à même de poser des questions à un spécialiste, ce qui est loin d’être garanti dans le cadre de la vente en ligne. La grande distribution ne serait-elle pas plus sûre d’un point de vue sanitaire ?

Qui croit sérieusement que la grande distribution, qui ne peut déjà garantir qu’elle vend du bœuf au lieu de cheval (et je ne parle pas des produits manufacturés en Chine !), aurait les moyens et, plus encore, la compétence pour exercer quelque contrôle que ce soit dans un domaine aussi spécialisé que la pharmacie ?

Q. Les risques sanitaires pointés du doigt par le lobby des pharmaciens contre la vente en grandes surfaces ne sont-ils pas un prétexte ?

On a déjà l’expérience de ce « prétexte » avec les génériques…

Q. Internet ayant ouvert la boite de Pandore, les pharmaciens semblent particulièrement inquiets à l’idée d’une autorisation de la vente en grandes surfaces, susceptibles de provoquer une baisse des prix. Pourquoi ? Quelle serait la raison mécanique d’une telle baisse de prix ?

Même réponse : avec les génériques, on a déjà l’expérience de ce qu’on obtient lorsqu’on privilégie la concurrence des prix comme force motrice. Plus globalement, on a l’expérience du néocapitalisme qui fantasme la libre concurrence comme seule régulation : il y avait encore quelques poches de résistance – la santé, le médicament –, mais les responsables du système ont apparemment décidé qu’il était temps de les anéantir.

Q. Quand on sait que les médicaments français sont parmi les plus chers d’Europe, une baisse de prix serait-elle vraiment une mauvaise chose ?

Je ne suis pas certain que les médicaments français soient les plus chers d’Europe ; en tout cas, ils ne sont pas les plus chers du monde. De plus, je vous rappelle que, dans notre pays, ce sont les décideurs politiques qui fixent le prix des médicaments ; il y a donc quelque chose d’angoissant à crédibiliser que « la main invisible » du marché concurrentiel ferait nécessairement mieux que les politiques : quel triste aveu !

Q. Les grandes surfaces pourraient-elles représenter une concurrence déloyale pour les pharmaciens ?

Une concurrence ne peut être « déloyale » si elle est conforme à la loi ! Mais la question est justement de savoir si cette nouvelle loi – qui fait la part belle aux mécanismes du marché – est compatible avec les exigences de la santé publique : la réponse est évidemment non.

Q. En juillet, Marisol Touraine a écarté cette hypothèse d’une vente en grandes surfaces. Cette position pourrait-elle évoluer en fonction de l’avis de l’Autorité de la concurrence, qui devrait être rendu « avant la fin de l’année » ?

Je ne suis pas certain que Marisol Touraine ait donné assez de gages de son intelligence, de sa compétence, de sa cohérence et de son courage pour qu’une personne raisonnable puisse s’aventurer à prédire ses prochaines décisions…

[1En 2002, la médiatisation d’une de mes expertises avait popularisé mon ironie sur "l’âge de pierre informatique" qui prévalait à l’Agence du médicament.


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