La fine fleur de l’administration sanitaire française confrontée au baclofène
Trois post-scriptum ont été ajoutés (le 22/01/19, puis le 24/01/19, et le 03/03/19) à cet article initialement mis en ligne le 15/01/19.
RÉSUMÉ – On revient sur l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du baclofène dans le traitement de l’alcoolo-dépendance telle qu’accordée en octobre 2018 par l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM). On montre que, de l’aveu officiel, les problèmes d’efficacité et de tolérance évoqués dès l’origine avec ce médicament (dont aucun autre pays ne semble vouloir dans cette indication) ont été largement confirmés, qu’aucun d’entre eux n’a été résolu et que l’autorisation n’a pu être arrachée qu’au terme d’un désordre procédural qui fait fi des nombreuses recommandations nationales ou internationales disponibles en pareille matière. On s’interroge sur le contraste saisissant entre l’habituelle veulerie de l’ANSM à l’endroit des lobbies industriels (absents du débat en l’espèce) et la complaisance dont elle peut faire preuve – mais parfois seulement – pour les associations de patients ou d’utilisateurs. On en vient tout naturellement à s’intéresser au rôle des prescripteurs dans cette anarchie.
Table des matières
- Introduction – Quand l’ANSM bafoue les experts qu’elle a pourtant mandatés
- Bref historique
- Essai d’interprétation
- L’expertise comme prétexte
- L’ANSM entre l’enclume de Big Pharma et le marteau des associations
- Le baclofène selon ses prescripteurs
- Conclusion – Baclofène à l’aune de Diafoirus
Introduction – Quand l’ANSM bafoue les experts qu’elle a pourtant mandatés
En octobre 2018, l’administration sanitaire française (ANSM) accordé au baclofène (Baclocur®, commercialisé par le Laboratoire Etypharm) une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement des patients alcoolo-dépendants, à la dose maximale de 80 mg/j. Cette autorisation s’inscrit en faux contre l’analyse du Comité Scientifique Spécialisé Temporaire chargé, par cette même ANSM, « d’émettre un avis d’expertise scientifique, à partir de l’ensemble des données disponibles, sur l’évaluation du rapport bénéfice/risque du BACLOFEN » et qui, aussi récemment qu’en avril 2018, avait rendu un avis négatif, lequel se concluait de la façon suivante :
« En résumé, l’efficacité du baclofène dans la réduction de la consommation d’alcool chez les patients adultes présentant une dépendance à l’alcool et une consommation d’alcool à risque élevé, telle que présentée dans le dossier de demande d’AMM, a été jugée cliniquement insuffisante. Ceci, ajouté à un risque potentiellement accru de développer des événements indésirables graves (y compris des décès) en particulier à des doses élevées, conduit à considérer que le rapport bénéfice/risque est négatif. »
Insuffisance d’efficacité d’une part, risque d’événement indésirable grave d’autre part : il est difficile d’être plus clairement motivé – pour un refus d’AMM, s’entend…
Dans le présent article, on se propose de comprendre au terme de quel processus la plus haute instance française d’évaluation médicamenteuse peut rendre une décision aussi contradictoire avec l’avis des « experts » qu’elle avait elle-même sollicités.
Il va de soi que par-delà ce médicament dont personne n’a l’air de vouloir ailleurs qu’en France, c’est le fonctionnement désastreux de notre administration sanitaire qu’on entend examiner.
Bref historique
C’est dès la médiatisation (fin juillet 2011) du baclofène comme traitement miracle de l’alcoolisme – pardon : de l’alcoolo-dépendance – que n’importe quelle personne dotée d’un vernis de culture en recherche clinique pouvait s’interroger sur la réalité du prodige thérapeutique. Bien que le traitement de l’alcoolo-dépendance fût très loin de mes préoccupations du moment et tout en posant à titre liminaire que je n’avais « aucune idée définitive » [1] sur la place que pourrait occuper ce produit en pratique réelle, j’éprouvais le besoin d’y consacrer un article car la disproportion entre, d’une part, les preuves disponibles et, d’autre part, les allégations imposant l’idée d’une innovation thérapeutique majeure me paraissait, cette fois, parfaitement dans la thématique de mon site, à savoir la prodigieuse inculture qui règne en France sur de tels sujets, que ce soit dans les médias, dans les associations, chez les médecins, dans l’administration sanitaire française ou dans les milieux judicaires…
Dans cet article inaugural, en bon blaireau de base ayant d’emblée tenu à poser les limites de son maigre savoir sur l’addiction alcoolique, j’avais présenté l’argumentation qui, néanmoins, restera encore 7 ans plus tard, le cœur de l’avis des « experts » mandatés par l’ANSM : efficacité non démontrée, sécurité non prouvée et même plutôt problématique. En blaireau au grand cœur pas pingre pour deux sous, j’y ajoutais quelques considérations dont la pertinence allait également se confirmer ultérieurement, portant sur les conflits d’intérêts d’une part, sur les exigences des essais cliniques d’autre part.
Trois ans plus tard, la belle indifférence des autorités françaises aux très sérieuses questions posées par l’utilisation du baclofène dans le traitement de l’alcoolisme allait me conduire à un nouvel article où, au-delà des objections de simple bon sens qui avaient justifié ma première contribution, je prenais la peine d’entrer un peu plus dans le détail : quels critères de réponse, quelle posologie efficace, quelle durée d’action, quel risque de dépendance, quels effets indésirables, quels risques d’intoxication, quels enjeux politico-financiers, quelles promesses des études annoncées ? Toutes questions relevant effectivement d’un « vernis de culture en recherche clinique » bien qu’ignorées aussi splendidement que continûment par les promoteurs du baclofène.
Encore deux ans, et j’allais revenir au baclofène pour dénoncer – ce n’était pas une découverte – les manipulations rhétoriques de l’administration sanitaire, incapable d’éclairer par quelque élément nouveau que ce soit les questions qui s’étaient imposées d’emblée, mais exploitant le temps considérable passé à ne rien faire pour accréditer qu’on y verrait désormais plus clair alors que pas le moindre élément de réponse n’avait encore été apporté [2].
Pour médiatiquement ignoré qu’il fût, mon scepticisme critique n’était pas isolé : il était même plutôt majoritaire dans le cercle finalement assez étroit des gens supposés avoir un minimum de pratique en recherche clinique.
- De l’aveu même de l’ANSM, la France est le seul pays d’Europe (et, plus probablement du monde) à envisager une autorisation du baclofène dans cette indication. Cela n’est pas rassurant, compte tenu des exploits antérieurs de notre administration sanitaire dès qu’elle s’avise de faire cavalier seul dans le monde de la pharmacie industrielle où sa créativité de nain n’a pu prospérer que grâce à la complicité des administrations sanitaire et judiciaire indigènes. Pensons au Levothyrox, pour lequel l’ANSM, puissamment aidée par des avocats ou des juristes qui ne valent pas mieux, continue, par sa jobardise et son incompétence, à entretenir des doléances qui semblent inconnues dans tous les autres pays européens ayant enregistré la même formule qu’ici. Pensons à la façon dont la même clique a fait de la France un pays de Cocagne pour les promoteurs (experts judiciaires inclus) d’Androcur en mésusage… Pensons aux « prédispositions » supposées exposer au risque de complication neurologique après vaccination contre l’hépatite B, dont il faudrait comprendre aujourd’hui qu’elles n’ont jamais existé, quand l’administration sanitaire française a soutenu durant des années qu’elle était la seule à avoir l’intrépidité de les apercevoir. Pensons au nœud d’incompétences et de compromissions abominables qui a permis à la France de cumuler, à elle seule, un nombre de victimes de l’hormone de croissance sans commune mesure avec l’effectif minuscule répertorié dans tout le reste du monde…
- Auditionné par l’ANSM, Jean-François Bergmann – ancien président de la commission d’AMM et, à ce titre, supposé avoir une certaine pratique de l’évaluation médicamenteuse [3], devait souligner, non sans une certaine subtilité tirée de la pratique, « que les résultats des études sont davantage négatifs à mesure que leur méthodologie s’améliore et se rapproche des standards de l’essai contrôlé randomisé en double aveugle » (c’est moi qui souligne) ajoutant que « les discussions sur la pertinence des critères d’évaluation constituent en outre un indice du caractère peu efficace du médicament ». Fort de son expérience réglementaire, il concluait « qu’il est toujours possible de réaliser une étude prouvant l’efficacité d’un bon médicament afin qu’il obtienne l’AMM. En revanche, une fois l’AMM accordée à un mauvais médicament, il devient très difficile de revenir en arrière » – ce qui est tristement exact.
- En revanche, on peinerait à trouver des intervenants dotés d’une pratique réelle et documentable des essais cliniques [4] qui auraient réfuté par autre chose que de vagues dénégations ou des bouffées d’espérance autistique les objections pourtant fort précises qu’on a égrenées depuis le tout début du présent article.
Si bref qu’il soit, l’historique qui précède confirme que, en despote oriental pachydermique, l’ANSM a lourdement assis son gros cul sur le peuple d’innocentes souris qu’elle avait dûment mandatées comme « experts »…
Couiiiiic !
Essai d’interprétation
L’expertise comme prétexte
J’en avais fait le constat voici longtemps déjà, tout en assortissant depuis la démonstration d’exemples tirés de l’actualité :
« L’expert n’a jamais que le pouvoir que lui donnent les décideurs – même si ceux-ci préfèrent se dissimuler derrière l’expertise pour ne pas assumer leurs responsabilités. »
En l’espèce, il est frappant que l’ANSM n’a même eu besoin d’aucune contre-expertise pour justifier son revirement. À moins de crédibiliser comme « expertise » la Cour des miracles présentée comme « Commission mixte ad hoc » et qui mêlait indistinctement, outre des gens possiblement dotés d’une expertise utile, d’autres dont on peut se demander ce qu’ils venaient faire là [5].
- Ainsi, alors que s’agissant du « Comité Scientifique Spécialisé Temporaire », l’ANSM avaient éprouvé le besoin de justifier (tant bien que mal : cf. plus bas) à quel titre ses membres avaient été consultés [6], aucune explicitation n’est plus requise dès qu’il s’agirait de comprendre les critères ayant conduit à l’audition de gens dont les l’activisme d’espèce (tel que reconstituable à partir des forums où ils sont intervenus, ou encore des lettres d’insultes que certains ont cru bon de m’envoyer) correspond au degré zéro de la recherche clinique, à savoir :
Baclofène a marché chez moi (variante : chez mon copain), donc ça marche.
Or, et curieusement, c’est sur cette argumentation archinulle que les responsables de l’ANSM ont cru bon d’inaugurer leur compte rendu.
Cette conviction inébranlable, justiciable d’une priorité dans l’ordre des dépositions, est assortie d’une adulation typiquement sectaire à l’endroit d’Olivier Ameisen (l’instigateur du culte baclofène), caractérisée, de nouveau, par une intolérance à l’endroit de tout scepticisme concernant l’œuvre du héros et qui frise la haine devant toute allusion reprenant la rumeur que l’intéressé (qui reconnaissait déjà avoir troqué sa dépendance à l’alcool contre une dépendance au baclofène) ait pu replonger dans l’alcool [7].
- Or, et curieusement, loin de s’en remettre à la Miviludes (comme elle le fait couramment en d’autres circonstances dont la dimension sectaire ne saute pas aux yeux), l’ANSM titille cette adulation en prétendant faire intervenir, et à deux reprises, le dénommé Ameisen, pourtant décédé depuis plus de cinq ans au moment où la Commission s’est réunie… Comprenne qui pourra : mais ce n’est pas en prétendant faire revenir les morts pour une commission « ad hoc » que l’ANSM optimise les chances que son travail soit pris au sérieux par ceux qui attendent un minimum de rationalité dans la gestion technico-réglementaire du problème posé. Pas plus qu’elle ne les optimise en citant comme témoin le frère d’Ameisen, scientifique d’un certain renom, apparemment, mais dont on ne sache pas qu’il ait jamais travaillé ni sur l’alcoolisme, ni sur le baclofène. Grâce à l’Écriture sainte, on avait déjà Saint Jacques, « le frère du Christ » ; grâce à l’ANSM, on aura maintenant Jean-Claude, le frère d’Ameisen…
- Or et curieusement, on attend également de connaître le modèle de délibération sur lequel l’ANSM s’est alignée pour promouvoir une telle incongruité de débat. Que ce soit en France ou à l’étranger, en effet, il existe des dizaines de « référentiels » censées gouverner méthodiquement l’organisation et le déroulement de discussions telles que celle à laquelle « la commission mixte ad hoc » a été conviée par l’ANSM, qui toutes insistent sur la nécessaire transparence dans le choix des intervenants et dans les modalités de la discussion (constitution d’une bibliographie, ordre et durée des interventions, etc.) : clairement, on en est loin…
- In fine, l’ANSM croit utile de justifier son gymkhana procédural par l’impératif de « prendre en compte (…) les positions exprimées lors d’auditions des parties prenantes », dont « les associations de patients ». Or et curieusement, si, grâce – entre autres – au REVAHB, à la mission Hurel ou à la concertation Fischer, on a effectivement l’expérience des gesticulations démagogiques officielles justifiées sous le prétexte de la « démocratie sanitaire », on attend encore la preuve que les positions exprimées « par les parties prenantes » en de telles occasions aient été jamais « prises en compte » par l’administration : qu’on se rappelle l’impayable désappointement du président de l’association E3M découvrant soudain que malgré sa conviction d’avoir durablement « joué le jeu » avec les responsables sanitaires, ses interlocuteurs n’avait strictement rien à cirer de ses divagations sur les risques présumés de l’aluminium et sur les « myofasciites à macrophages »… Pourtant, dans les référentiels susmentionnés, il doit bien exister quelques indications sur les critères justifiant que l’opinion des « parties prenantes » soit, ou non, « prise en compte » : on aimerait que l’ANSM rappelle ceux auxquels elle se tient.
Au total, l’indigeste bouillie théologico-scientiste concoctée par l’ANSM pour justifier l’octroi d’une AMM au baclofène dans le traitement de l’alcoolodépendance, malgré une absence d’efficacité démontrée et des risques parfois graves qui ne sont même pas hypothétiques, illustre une fois encore le préoccupant amateurisme de nos autorités sanitaires. Il nous reste à comprendre l’apparent contraste entre leur pusillanimité à l’endroit d’associations dont l’indigence intellectuelle saute aux yeux et l’intransigeance criminelle – pesons nos mots – dont les responsables de l’ANSM peuvent faire la preuve en d’autres circonstances qui mettent effectivement en jeu la santé publique [8].
L’ANSM entre l’enclume de Big Pharma et le marteau des associations
Pour gagner du temps, allons à l’essentiel sans godiller.
La complaisance criminelle des autorités sanitaires à l’endroit des lobbies pharmaceutique n’est plus à démontrer : d’autres, bien plus éminents que moi, l’ont déjà dit avec des mots aussi crus, et il suffit de parcourir le présent site, même en diagonale, pour le documenter [9].
Sur ce tableau de fond, l’étrange sensibilité de l’administration à des revendications nettement minoritaires (comme illustré par l’affaire baclofène qui voit ridiculisés les principes les plus sacrés de l’évaluation pharmaceutique) peut égarer le lecteur profane en crédibilisant un souci « démocratique » chez les responsables. On n’a pas idée des situations « de crise » (avec réunions d’urgence, branle-bas de combat, décisions aberrantes) qui peuvent être provoquées à Agence du médicament par des courriers ou des situations absolument dérisoires. En fait, le paradoxe n’est apparent.
- Au contraire de ce que soutiennent contre l’évidence les braillards narcissiques qui se rengorgent de dramatiser leur engagement en s’imaginant aux avant-postes d’une lutte à mort contre « les conflits d’intérêts », il n’y a pas d’enjeu financier significatif dans l’affaire baclofène [10]. Pour des raisons probablement culturelles, la France n’est certainement pas un pays où Big Pharma conquerra un eldorado en promouvant, à l’échelle de larges populations, un médicament « miracle » contre la dépendance alcoolique. Pour se limiter à cet exemple, le Laboratoire Etypharm, heureux bénéficiaire de la complaisance de l’ANSM sur ce produit, annonce un chiffre d’affaires aux alentours de 150 millions de dollars, à comparer avec celui de Sanofi, autre Laboratoire français, proche de 38 milliards de dollars… N’en déplaise à la bonne conscience des activistes pro-baclofène, c’est prendre les gens pour des cons (ou n’avoir aucun sens du ridicule) que mimer une guerre de titans à propos de ce médicament qui, clairement, n’intéresse aucun acteur significatif du secteur pharmaceutique : comme d’ailleurs l’avoue ingénument l’ANSM, sans jamais en tirer le moindre questionnement concernant un produit dont, manifestement, personne ne veut dans cette indication.
- Il existe un lien fort direct entre la veulerie circonstancielle de l’ANSM et son incompétence.
- D’une part parce qu’on a d’autant moins la capacité à faire valoir ses vues qu’on n’est pas certain qu’elles soient justifiées [11]. Ce défaut de compétence de l’ANSM saute aux yeux, par exemple, dans la navrante maladresse avec laquelle l’agence justifie son choix d’experts pour le CSST :
« Ces membres ont été choisis en raison de leurs compétences en évaluation du rapport bénéfice/risque des médicaments, en méthodologie des essais cliniques et en épidémiologie. »
Or, c’est parce que l’on comprend « la méthodologie des essais cliniques » qu’on devient compétent dans l’évaluation des médicaments – et pas l’inverse. De plus, je n’ai jamais rencontré un spécialiste « du rapport bénéfice/risque », des médicaments en plus : dépendant de l’indication et de l’expérience personnelle, on appréhende plus ou moins le bénéfice d’un médicament (à la rigueur d’une classe thérapeutique), et non pas des médicaments en général [12]. Enfin, il est bien rare que la connaissance du bénéfice confère une connaissance équivalente des risques [13]. Ça n’a l’air de rien, mais pour quiconque a un vernis de culture en recherche clinique, le pataugeage terminologique de l’ANSM censé légitimer la sélection du CSST révèle une préoccupante absence de maîtrise relativement aux méthodes évoquées, pourtant bien classiques. - D’autre part, parce que l’incapacité de l’ANSM à discriminer entre l’anecdotique plus ou moins spectaculaire et le significatif épidémiologique est LE symptôme le plus criant de cette incompétence dont nous parlons. Rappelons qu’à l’été 1994, quelques semaines après avoir lancé une enquête nationale de pharmacovigilance sur les vaccins contre l’hépatite B (mesure à l’époque considérée comme la traduction d’un grave souci de sécurité), l’administration française a lancé, sans la moindre hésitation décelable, une campagne nationale de vaccination, créant du même coup les conditions d’un dramatique changement d’échelle : à l’évidence – et nonobstant l’admiration démentielle que le REVAHB porte à au moins l’un d’entre eux, les responsables de cette administration n’ont manifestement jamais envisagé que si un médicament de diffusion relativement confidentielle pouvait déjà poser des problèmes de tolérance détectables à l’échelle de la sous-population exposée, la situation allait forcément exploser dans la perspective d’une vaccination « universelle » [14]. Les exemples de cette tragi-comique incapacité de compter pourraient être multipliés.
- D’une part parce qu’on a d’autant moins la capacité à faire valoir ses vues qu’on n’est pas certain qu’elles soient justifiées [11]. Ce défaut de compétence de l’ANSM saute aux yeux, par exemple, dans la navrante maladresse avec laquelle l’agence justifie son choix d’experts pour le CSST :
Le baclofène selon ses prescripteurs
Les lobbies pharmaceutiques ayant été innocentés dans l’espèce dont traite la présente contribution, il serait injuste, toutefois, d’imputer aux seules associations de patients l’exceptionnelle aberration des décisions qui ont permis une autorisation non moins exceptionnelle dans le monde (« C’est la seule demande d’AMM déposée en Europe [et probablement dans le monde] », dixit l’ANSM) : car, à y regarder de plus près, la position d’un bon nombre des médecins concernés est loin de trancher sur les médiocres slogans de la secte pro-baclofène. Sans entrer dans une analyse exhaustive du compte-rendu de la « Commission mixte ad hoc », arrêtons-nous sur les propos de quelques professionnels.
- Après d’être déclaré « bouleversé » par « l’effet du baclofène sur certaines personnes », Didier Sicard (ancien président du Comité consultatif national d’éthique : excusez du peu) répond à une objection concernant « la qualité scientifique » et « les limites méthodologiques » des études françaises sur le baclofène, en relevant que « toute étude scientifique peut être critiquée en raison de ses biais. Le baclofène a toujours fait l’objet de prises de positions idéologiques. ». Si personne ne conteste que toute étude peut être critiquée (c’était déjà la position de Hill dans son célèbre article de 1965 [15]), il a dû échapper à notre éminent intervenant que le job de la recherche clinique, c’est précisément d’évaluer la portée clinique et épidémiologique de ces biais, au lieu d’en esquiver la discussion précise et argumentée au motif vague de « l’idéologie » [16].
- Renaud de Beaurepaire (psychiatre, association Baclohelp) estime que l’exigence d’études « répondant aux standards internationaux », « répétée depuis des années, vise à retarder la reconnaissance du baclofène. L’étude Bacloville est à son sens parfaitement bien menée, et aurait été publiée si les éditeurs de journaux ne refusaient pas de prendre la responsabilité de la publication d’une étude à hautes doses de baclofène ». C’est sûr, et c’est bien ce qui a fait rager Big Pharma depuis l’apparition d’une réglementation sur les essais cliniques, qu’évaluer un produit pharmaceutique retarde sa mise sur le marché (et donc le retour sur investissement) ; mais de là à prétendre que ces essais retardent « la reconnaissance » d’un nouveau médicament, c’est tenir pour acquis par avance que ce dernier est précieux et ne pas voir qu’au lieu de la retarder, le travail de recherche clinique conditionne la reconnaissance du médicament en question. Est-il utile de souligner que le risque priver les gens d’un nouveau médicament forcément génial (« forcément », puisqu’il n’a pas été évalué) est le leitmotiv par lequel l’industrie pharmaceutique, dont on connaît le désintéressement et la philanthropie, a réussi, en quelques décennies, à saper tout l’édifice technico-réglementaire laborieusement mis au point pour contrôler le charlatanisme des faiseurs de miracles médicamenteux : la procédure du fast track, qui a tellement bénéficié au fabricant de Gardasil, est une excellente illustration de cette dérive. Est-il utile, d’autre part, de rappeler que ne pas communiquer sur un médicament avant que les études n’aient été publiées dans des revues de bonne qualité est une exigence éthique tout autant que réglementaire ? Surtout pour un psychiatre supposé intéressé par le côté latent des choses, c’est une excellente hygiène mentale que de s’interroger sur une unanimité de refus éditorial à l’encontre d’une publication [17].
- Pour Bernard Granger (Conseil national professionnel de psychiatrie), « le baclofène s’impose de façon ascendante, à partir de l’expérience des patients, contrairement au processus habituel selon lequel un laboratoire présente un dossier calibré, répondant à des procédures réglementaires clairement définies, mais présentant des failles ». Il faut donc croire qu’en principe réalisé par des professionnels du médicament sous le contrôle censément pointilleux de la réglementation en vigueur, la constitution d’un dossier d’AMM présente forcément « des failles » tandis que sans qu’on sache trop pourquoi, « les patients » – dont le mode de pensée nous est apparu plus relever davantage de la secte (cf. plus haut) que de la science, auraient naturellement le secret d’une évaluation parfaite : la génération spontanée d’une recherche clinique optimale, quoi [18].
La démonstration ne pourrait que se renforcer d’autres citations des autres professionnels cités. Il suffit, une fois encore, d’un vernis de culture en recherche clinique pour constater que, dans leur convergence objective, les propos qui viennent d’être cités (pourquoi s’emmerder avec des essais cliniques puisque on a un super médicament ?) sont superposables à ceux des pires commerciaux de Big Pharma clamant que les essais cliniques ne sont rien de plus qu’une nuisance : situation étrange, en vérité, pour des intervenants qui tirent leur prestige auprès des associations de se présenter comme indépendants et libres de tout conflit d’intérêts.
Ce qui ressort des dépositions précédentes, c’est qu’en dépit des rodomontades à l’usage des blaireaux facilement impressionnables, la France n’a toujours pas fait le saut de la recherche clinique : comment interpréter sinon la désolante compulsion des « experts » parmi les plus éminents à seriner que les essais ne sont pas le dernier mot et qu’ils ne sauraient remplacer l’expérience clinique ? C’est possiblement vrai [19], mais force est de constater que cette compulsion à remettre en cause la méthodologie des essais a, de toujours, résumé le refus forcené des médecins français, dans leur immense majorité, à aller plus loin que leur petite expérience : « croyez-en mon expérience » clamait sans rire mon professeur de thérapeutique dans l’une des facultés de médecine les plus prestigieuses de notre pays [20]. Or, c’est précisément à ce diktat de l’impression personnelle (« à mon sens ») grimée en don de double vue que s’est attaquée la méthodologie de la recherche clinique – partant, l’épistémologie de l’evidence-based medicine.
Quand on a fait, méthodiquement, l’inventaire des propriétés d’un médicament tant au regard du bénéfice que du risque, on peut toujours soutenir que la vérité clinique ne se limite pas à celle des essais – et inventer, dès lors, des méthodologies pour faire ressortir l’effloraison des variations individuelles sur le tronc commun des propriétés objectivement repérables. Mais c’est se foutre du monde de soutenir qu’on peut procéder à l’envers et s’en tenir à l’impression personnelle pour se dispenser d’évaluer ce qui s’impose statistiquement. Sachant néanmoins qu’à procéder de façon aussi archaïque, on s’assure paradoxalement de la gratitude du public tant est forte l’aversion des Narcisses contemporains pour l’idée que leur abyssale originalité puisse être, pour l’essentiel, réductible à d’humiliantes statistiques : « à mon sens », moi-je vaut plus de considération…
J’appartiens à la génération de médecins qui a vu, avec un retard significatif par rapport à d’autres pays développés, la France vaguement s’initier à la recherche clinique, dans un climat de formalisme gesticulatoire qui visait plus à renouveler le prestige d’une profession soudain invitée au concert des « sciences » qu’à stimuler l’imagination scientifique confrontée aux « données molles » de l’humain. Flattés finalement de se voir hériter d’une réputation « scientifique », nos maîtres faisaient mine de se désoler que la médecine se soit écartée des « humanités » pour se rapprocher des « mathématiques », en oubliant opportunément que, dans son ensemble, la médecine n’a jamais plus sacrifié aux humanités qu’elle ne s’est convertie aujourd’hui aux mathématiques.
- À une époque où le latin était comme la seconde langue maternelle des intellectuels, celui des médecins faisait ricaner toute personne dotée d’une élémentaire culture humaniste – et je n’ai pas connaissance, au cours des siècles qui ont suivi, d’une réforme des études ou de la formation qui ait remis les humanités au centre.
- À l’heure actuelle, je n’ai pas la notion que les médecins aient fait beaucoup de progrès en ce qui concerne tant la démonstration de la preuve que la rigueur dans leurs dénombrements – toutes dispositions qui découleraient naturellement d’une formation même minimum aux mathématiques. Je laisse en PJ un dire récent rédigé par mes soins (et qui a eu l’heur de faire sourire les juges auxquels il était destiné), dans le cadre d’un procès concernant une malheureuse patiente qui, par suite d’une anticoagulation insuffisante, avait développé une thrombose cérébrale la laissant dans un état de grande invalidité. Mon dire répond aux « experts » judiciaires qui, sans nier la réalité de l’erreur thérapeutique commise par l’équipe soignante, s’excusaient avec une componction pleine de condescendance de nous infliger la rigueur des mathématiques pour démontrer, chiffres en mains, que, compte tenu des facteurs de risque de la victime, l’affaire se réduisait à une simple « perte de chances » qui ne saurait excéder 10%, soit des clopinettes en matière d’indemnisation par comparaison avec une faute qui avait rendu grabataire une personne jusqu’à preuve du contraire en bonne santé avant l’erreur médicale de l’espèce. Comme le lecteur même profane peut s’en rendre compte [21], il est évident que nonobstant la prétention « mathématique » sous laquelle ils comptaient écraser tant les conseils de la victime (dont moi-même) que les magistrats, lesdits « experts » sont clairement incapables de raisonner et, encore moins, de quantifier [22].
Conclusion – Baclofène à l’aune de Diafoirus
Entre deux quintes de rire, une lectrice m’adresse cette contribution parue sur le site de Michel de Lorgeril et rédigée par un médecin : j’en reproduis fidèlement la typographie, en précisant simplement que MG n’est autre que le bon Dr Girard (le dénommé E*** étant un fidèle parfaitement profane, mais qui s’est donné la peine de me lire avec attention – et intelligence.).
« je ne vois pas le rapport avec ce que vous appelez la théorie psychiatro freudienne surtout que Freud était avant tout neurologue et convaincu qu’il y avait une origine anatomique à ce qu’il décrivait.
Je ne vais pas ou très rarement chez MG trop long trop tarabiscoté et surtout trop narcissique (Freud ???
Mais je suis allé lire son truc sur le BACLOFENE et là c’est vraiment pitoyable il ne connait visiblement pas la question .
je suis prescripteur depuis 6 ans et demi et je lui expliquerai peut-être un jour !!
Enfin E*** dire que MG est bienveillant foufoufou il faut que tu m”expliques ta définition du mot bienveillant parce que le Girard il d&zingue plutôt !! »
Passons sur l’indécence consistant à prendre publiquement la parole quand on ne connaît ni les règles de la syntaxe, ni les celles de la typographie, et qu’on n’a pas une maîtrise même minimale du traitement texte (j’espère que ce type ne se hasarde pas à utiliser son ordinateur pour rédiger ses dossiers ou ses ordonnances…) [23]. Passons également sur Freud « neurologue avant tout » : grosse récompense à qui retrouvera le nom du pékin qui a inventé la psychanalyse… Quant à « la définition du mot bienveillant », il suffit de posséder un dictionnaire, même élémentaire, pour la trouver. En posséder un – et savoir s’en servir (savoir, par exemple, que « B » succède à « A » et précède immédiatement « C ») : c’est pas ma faute si mon censeur perd tous ses repères et qu’une phrase lui paraît « tarabiscotée » dès qu’elle s’écarte du schéma sujet/verbe/complément, dont il n’est déjà pas certain qu’il le maîtrise. Bref : avec la complaisance typique du con irrécupérable, le gars-là affiche simultanément son incompétence multidimensionnelle et la fierté qu’il en tire…
Mais le plus splendide de cet extrait, c’est que ce type ose écrire (« écrire » étant ici un euphémisme) qu’il « connaît » le médicament… puisqu’il le prescrit ! Pas un moment ne l’a traversé l’idée qu’avant de prescrire un médicament, il vaudrait mieux le connaître… Voilà qui nous renvoie brut de fonderie au triomphe de l’externe borné dans sa blouse blanc crasseux, et qui ne se sent plus pisser de pouvoir signer toutes les prescriptions qu’il veut sur papier à en-tête de l’hôpital : je prescris, donc je suis (« humanités » obligent : on doit même pouvoir dire ça en latin) [24].
La France continuera de promouvoir des médicaments dont personne ne veut tant que ses facultés de médecine formeront des Diafoirus qui s’imaginent que prescrire, c’est connaître [25].
Au fait, c’est mon anniversaire aujourd’hui (sérieusement) : fallait bien fêter ça…
P.S. du 22/01/19
Un lecteur me transmet ce tweet daté du 17/01/19, signé par une association pro-baclofène et qui se concentre sur un court extrait de mon article.
"avec la complaisance typique du con irrécupérable, le gars-là affiche simultanément son incompétence multidimensionnelle et la fierté qu’il en tire" Pauvre Girard, c’est triste d’être à ce point imbu de sa personne, mais ça explique son acharnement à écrire de tels torchons
Comme les rares fois où je suis intervenu dans un débat sur les réseaux sociaux (que je ne fréquente pas spontanément), il me semble possible de transcender la nullité de la critique ad hominem qui précède pour en faire matière à une réflexion d’intérêt général concernant la dynamique et les modalités des polémiques dont bruit la Toile, au détriment de la réflexion.
Constatons d’abord que l’on peine à apercevoir le lien logique entre « être imbu de sa personne » et écrire des « torchons » (« avec acharnement », s’il-vous-plaît) : « ça explique » rien du tout. Il est des gens tellement imbus de leur personne qu’ils ne s’abaisseraient pour rien au monde à critiquer le vulgum pecus, tandis qu’inversement, il n’est nul besoin de se sentir tant soit peu supérieur (« imbu ») pour critiquer quelqu’un ou une position. Pour ne prendre que ce contre-exemple, je ne crois pas que, humbles parmi les exclus du système, les « gilets jaunes » qui défraient la chronique au moment où s’écrivent ces lignes soient « imbus de leur personne » : pourtant, ils n’y vont pas avec le dos de la cuiller dans leurs critiques d’autrui, fût-il président de la République…
Mais le plus effronté de ce tweet, c’est de reproduire – avec guillemets pour renforcer l’impression d’authenticité – mon attaque d’un confrère sans la moindre information pertinente sur le contexte : quand vous envoyez votre poing dans la gueule de quelqu’un, on admettra que la situation change du tout au tout si vous faites ça spontanément sur un malheureux passant qui n’en peut mais, ou si vous répondez à un agresseur qui a pris l’initiative de l’attaque (il doit même y avoir une jurisprudence sur le sujet)… Il y a bel et bien falsification à présenter comme agression spontanée une réaction qui n’était rien d’autre qu’une défense à une agression nominative, particulièrement bête et vulgaire (dont le verbatim est reproduit textuellement dans mon article ci-dessus). La médiocre crédibilité de l’association se confirme au constat qu’en déportant aussi fallacieusement l’attention des lecteurs, ce type de falsification lui évite tout simplement de répondre aux critiques très précises et fort argumentées qui justifiaient mon article sur le baclofène et sur le lobbying douteux de certaines associations, dont celle qui prétend me critiquer sans même reconnaître qu’elle a dû se sentir salement morveuse.
De plus et même en s’en tenant au minuscule extrait abusivement mis en avant par l’association tweetante, force est de constater que mon attaque s’inscrivait dans une réfutation en bonne et due forme de l’intervention qu’elle visait – et dans son style (« foufoufou ») et dans son fond (« je connais le médicament puisque je le prescris »). C’est justement parce qu’il y avait un contenu dans ma critique que celle-ci pouvait esquiver la bête querelle de personnes et se dispenser de nommer le « con irrécupérable » qu’elle visait – et dont je n’ai, personnellement, rien à cirer : comme je l’ai souvent dit, s’il fallait croiser le fer avec tous les cons, il n’y aurait pas de crise de la sidérurgie. À l’inverse, si vous faites sauter « Girard » du tweet de l’association tweetante, que reste-t-il, à part un prout insignifiant ?
Je suis actuellement à relire un texte déjà ancien (1994) de Ch. Lasch – L’art perdu de la controverse – où l’historien américain fait de la controverse, qui vise à « clarifier les problèmes », une vertu civique fondamentale. Mais les Narcisses qui animent les associations telles que celle dont nous parlons ont d’autres soucis que le débat d’idées : dépassés en tout et sur tout à force d’égocentrisme étriqué, il leur suffit d’entendre et de faire entendre le bruit de leurs flatulences pour se convaincre qu’ils existent.
Si « imbu » que je sois de ma personne, il me faut donc faire amende honorable et corriger humblement un passage de mon article. Les quasi-sectes qui se sont présentées à l’ANSM en promoteurs acharnés du baclofène coûte que coûte ne correspondent pas, contrairement à ce que j’ai dit, au « degré zéro de le recherche clinique ».
Elles se situent plus précisément au degré zéro de l’intelligence…
P.S. du 24/01/19
Apparentement étrange ? Twitter, c’est comme la connerie : ça donne une idée de l’infini...
Je ne compte pas y passer ma vie, mais me remontent aujourd’hui, d’un médecin de la même association qu’hier, les tweets suivants dont, une fois encore, je respecte (enfin, si l’on peut dire…) la forme…
« L’histoire du baclofène est ancienne et très particulière. M. Girard n’est pas vraiment objectif sur ce sujet, il arrange les choses à sa sauce en agressant/insultant ceux qui ne partagent pas son opinion. J’ai lu l’ensemble du texte ...
La conclusion : "La France continuera de promouvoir des médicaments dont personne ne veut" est un poil erronée ... les malades veulent ce traitement dont ils connaissent l’efficacité. L’ANSM en a restreint l’usage. M. Girard y crache dessus pour des motifs étrange ... »
Pour quiconque ayant lu « l’ensemble » de mon article, il devrait aller de soi que, dans le contexte, je parlais des administrations étrangères quand je disais que « personne » ne voulait du baclofène dans le traitement de la dépendance alcoolique : ce en quoi, je ne faisais d’ailleurs que reprendre quasi textuellement le propos officiel de l’ANSM. Mais outre la falsification – une de plus – de mon propos, il y a quelque chose de très fort à entendre quelqu’un qui se présente comme « addictologue » tirer argument que ce sont « les malades qui veulent » ce traitement ! Le gars-là a-t-il déjà entendu parler de la morphine, d’Halcion, de Rohypnol, du fentanyl – toutes substances dont, sauf erreur, les malades « veulent » – cette volonté caractérisant justement leur addiction ?… J’avais d’ailleurs bien indiqué dans mes textes précédents qu’on pouvait se demander si c’était un progrès de remplacer une addiction à l’alcool par une addiction au baclofène. Je n’ai aucune prétention - moi - à être "addictologue", mais en matière de dépendance, il me paraît aller de soi que le suffrage des patients ne saurait être le critère principal d’efficacité : avec mon nouveau contradicteur, ce n’est plus le degré zéro de la recherche clinique, mais le degré zéro de l’addictologie [26]... Concernant l’intelligence (cf. le PS précédent), on n’a pas monté d’un cran.
« M. Girard y crache dessus pour des motifs étrange (sic) ». Il est assez consternant d’entendre des médecins, qui se présentent comme scientifiques sourcilleux, adopter des allures de concierge insinuant qu’elle en sait beaucoup plus qu’il ne serait décent de l’expliciter : elle a une voiture neuve et un appartement confortable – et toujours du rouge à lèvres –, alors qu’elle prétend vivre seule. Vous voyez ce que je veux dire… Hmmm ! Au début de mon dernier article consacré au baclofène, j’ai récapitulé mes arguments contre ce médicament dans l’addiction alcoolique : 1/ ils sont explicites et faciles à récapituler ; 2/ ils ressemblent étrangement à ceux qu’ont retenus les experts nommés par l’ANSM [27] ; 3/ s’ils sont critiquables en quoi que ce soit (mes arguments, pas les experts de l’administration évidemment…), pourquoi ne pas les réfuter à la loyale, plutôt que d’insinuer quelque motif « étrange » – et d’autant plus "étrange" qu’au contraire de mes arguments, il n’est nullement explicité (qu’une visiteuse médicale travaillant pour Etypharm m’aurait collé une chaudepisse ? que je serais rémunéré subrepticement par la concurrence pour casser baclofène ? que je serais un échec du baclofène dans le traitement de mon addiction à l’alcool ? Hmmm !).
Quant à mon dernier article sur le sujet, il est centré sur une question fondamentale, parfaitement explicite également, mais qui dépasse manifestement l’addictologue moyen : « comment se fait-il que l’ANSM ait arrêté une décision exactement contradictoire avec les conclusions des experts mandatés par l’ANSM ? » Quitte à s’intéresser aux « motifs étranges »…
Pas plus tard que ce matin, j’écrivais au salaud d’agent double qui me relaie les bruits de chiottes (« prout ») de Twitter : « le vrai problème, voyez-vous, c’est pourquoi les médecins sont tellement nuls pour penser ».
On arrête là ?
P.S. du 03/03/19
Remise dans l’actualité après une demande de libération conditionnelle de l’intéressé (cf. la presse, 08/02/19), l’affaire Jean-Claude Romand ne semble pas avoir suscité les questions épistémologiques que méritait pourtant l’exceptionnelle aventure d’un escroc s’étant durablement présenté comme un médecin expert de réputation internationale, alors qu’il n’avait jamais réussi sa seconde année de médecine et qu’il passait des heures à traîner sur des parkings d’autoroute [28]. On a vu des gens qui ont usurpé des diplômes [29], ou qui se prévalent de succès thérapeutiques plus ou moins imaginaires, ou encore qui vivent sur une réputation passée depuis longtemps arrivée à obsolescence. Mais dans le cas présent, l’intéressé n’avait jamais eu aucune activité ni insertion professionnelle, ni aucune reconnaissance tirée de publications inexistantes : RIEN. Il suffit cependant de lire ses notices biographiques pour constater qu’en dépit de ce vide sidéral, il s’était trouvé des médecins pour le porter aux nues et contribuer à entretenir sa réputation jusqu’à la catastrophe finale.
On a connu des gens bien mieux insérés professionnellement et dont la nullité sautait pourtant aux yeux (on me dispensera de citer des noms, mais on trouve pas mal d’exemples sur le présent site...). On sait aussi qu’il existe des faussaires de génie dans le domaine des arts plastique, par exemple, qui disposent d’un authentique talent pour imiter : mais quoi de transposable, en l’espèce ? Je n’ai pas grand doute, en vérité, sur la nécessaire vacuité du discours émanant d’un individu professionnellement aussi désinséré et objectivement aussi creux. Des témoignages disponibles, on voit bien que l’aura de ce « consultant » tenait au clinquant des relations qu’il était supposé entretenir [30].
D’où la question, déjà posée par Molière et qui me paraît d’une immense portée dans la ligne de pensée qui est celle de mes récentes contributions : quels peuvent être les fondements épistémologiques d’une activité – la médecine – aussi caricaturalement vulnérable à la pacotille [31] ?
[1] Comment aurais-je pu en avoir ? L’absence de données objectives était justement le fondement des critiques qui aurait dû détourner les médias de l’hystérie suscitée par ce médicament.
[2] Ce n’était pas la première fois que l’administration sanitaire s’autorisait du temps passé à ne RIEN faire (voire à mentir) pour soutenir que l’eau avait coulé sous les ponts et que les problèmes qui avaient motivé l’alerte s’étaient dissous dans sa procrastination.
[3] Je n’ignore pas que, dans le contexte de l’enquête Médiator, l’intéressé a été légèrement malmené par le sénateur Autain quant à ses liens d’intérêts. Il n’empêche qu’on ne saurait lui contester une certaine familiarité avec les procédures d’évaluation des médicaments (sachant qu’en aucun cas, de toute façon, on ne saurait considérer le travail de son censeur dans le cadre de cette enquête comme le nec plus ultra de la lucidité critique).
[4] Dans les intervenants de compétence problématique pour l’espèce, j’inclus les nombreux psys ou « alcoologues » confirmés, en réitérant, à propos du baclofène, le type d’objection que j’ai déjà émise à l’endroit des gynécologues qui se targuent d’une expérience clinique (que nul ne leur conteste) pour promouvoir les mammographies de dépistage : n’en déplaise aux Diafoirus de l’époque que ne comprennent rien ni à la recherche clinique, ni à l’épidémiologie, l’évaluation du baclofène comme traitement de la dépendance alcoolique ou de la mammographie comme dépistage ne relèvent pas de l’expérience personnelle ou du colloque singulier.
[5] Rappelons qu’en français, ad hoc signifie : « parfaitement qualifié, expert en la matière »…
[6] « Ces membres ont été choisis en raison de leurs compétences en évaluation du rapport bénéfice/risque des médicaments, en méthodologie des essais cliniques et en épidémiologie. »
[7] Sachant que, comme je l’ai rappelé dans un précédent article, Ameisen, par le contraste entre son assertivité militante et la nullité scientifique de son argumentaire, est le principal responsable du scepticisme qui peut s’emparer de certains observateurs : on peine à comprendre comment un besoin compulsif de baclofène pourrait être interprété comme une victoire sur quelque craving (besoin compulsif d’une substance addictive) que ce soit. On m’objectera que l’alcool au long terme a des effets sanitaires potentiellement délabrants, et que ce serait toujours « un plus » de parvenir à s’en débarrasser : mais, entre autres « trous » dans le gruyère qui tient lieu d’argumentaire pro-baclofène, j’attends encore l’ombre de l’embryon d’une preuve qu’au long terme, le baclofène serait, quant à lui, dépourvu d’effets délabrants.
[8] La dernière fois que j’ai rencontré le directeur général de l’AFSSAPS, de mémoire en décembre 2004 (à la différence des responsables d’associations et des antivaccinalistes, je ne cours pas après ce type de contact), il m’a confié que son principal souci avec la sécurité des vaccins contre l’hépatite B concernait les enfants : avec l’obligation vaccinale pour tous, on a bien avancé depuis…
[9] Cette complaisance serait documentée de façon encore plus croustillante si les associations qui, à la différence de moi, ont un libre usage de mes expertises judiciaires s’avisaient de faire preuve d’une intelligence minimale pour les exploiter à bon escient… Une fois, une seule, à l’initiative d’une association, j’ai vu publiée sur Internet l’intégralité d’une de mes expertises (concernant la cérivastatine), et qui a disparu corps et biens en un rien de temps : on se demande bien pourquoi car, presque 15 ans après, je n’aurais pas à en changer le moindre mot
[10] Hormis, évidemment, ceux qui concerneraient éventuellement certains des leaders d’opinion poussant à la consommation de baclofène, mais qui ne dépassent pas les limites de rémunérations individuelles somme toute modestes, toutes choses égales par ailleurs.
[11] Soit dit en passant (et parce que je n’ai jamais caché être fort concerné par les questions de transmission du savoir et donc d’enseignement), je n’ai pas souvenir d’avoir vu ce mécanisme invoqué à l’origine du séisme qui s’est abattu sur l’École de la République pour en faire, en moins de deux générations, une authentique « fabrique du crétin » (Brighelli). Il s’avère que, dans les années 60-70, les exigences de recrutement des professeurs imposées par la « démocratisation » de l’école ont permis l’enrôlement généreux de jeunes adultes plus à l’affût d’un métier encore assez confortable à l’époque (et qui évitait de se salir les mains) que soucieux d’enseigner et d’asseoir leur autorité sur une véritable supériorité de savoir : d’où, comme seule issue pour maintenir un minimum de tranquillité dans les classes, le parti-pris de séduire les élèves en organisant mille « activités » plus ou moins débiles et en célébrant leurs « compétences » en lieu et place du savoir dont la transmission avait été jusqu’alors la raison d’être de l’école.
[12] Ça rejoint la rhétorique des mêmes concernant LES vaccinations (ou LA vaccination) considérées comme un tout, et qui signe l’incompétence crasse des Buzyn & Co sur le sujet.
[13] C’est d’ailleurs l’un des drames historiques de la pharmacovigilance française : outre que recrutés essentiellement, surtout en 1980-90, dans des départements de pharmacologie et à ce titre dépourvus de la moindre intelligence épidémiologique, les pharmacovigilants français, dans leur majorité, n’ont aucune pratique des essais cliniques.
[14] Cette jobardise des responsables français expliquant l’essentiel de leurs manœuvres et falsifications ultérieures pour dissimuler les conséquences du drame qu’elles avaient provoqué par leur incompétence – et, en tout cas (car elles sont plus que visibles, avec au moins le triplement du nombre cas de scléroses en plaques dans notre pays), ne jamais les avouer – selon l’adage connu de tous les malandrins.
[15] Hill, A. B. (1965). "The environment and disease : association or causation ?" Proc R Soc Med 58 : 295-300.
[16] Sans compter que, des pilules contraceptives au Viagra, en passant par les « traitements » de la ménopause ou ceux de la prostate (voire aux hypocholestérolémiants), on n’en finirait pas de décompter les produits pharmaceutiques qui charrient leur comptant « d’idéologie » : est-ce une raison pour boycotter leur évaluation ?
[17] Une fois encore, je ne veux pas insinuer que les travaux qui accèdent à une reconnaissance éditoriale seraient nécessairement de bonne qualité, et j’ai suffisamment déploré que ce ne soit pas le cas. Mais de là à poser comme naturel qu’un rejet réitéré signerait nécessairement la veulerie des éditeurs, il y a un abîme (et d’autant plus profond que, même en cherchant bien, on peine à apercevoir les enjeux lucratifs qui parasitent le processus de publication pour ce médicament dont on répète qu’il n’intéresse personne d’autre que les activistes cérémonieusement invités par l’ANSM.)
[18] Je ne le cède à personne en critique de la façon dont Big Pharma pervertit les principes les plus sacrés de la recherche clinique ; mais de là à en déduire que le premier blaireau venu, sous prétexte qu’il est ou a été dépendant à l’alcool, fait nécessairement mieux… Plus démago, t’as le droit d’emporter les oreilles et la queue de Mélenchon…
[19] N’étant pas moi-même clinicien, j’ai [toujours-275] eu un profond respect pour l’expérience clinique pour autant qu’elle soit réelle... et pertinente... Mais, evidence-based medicine oblige, l’argument de "l’expérience" ne saurait suffire à contredire l’enseignement des essais cliniques (qui, en l’espèce, se sont avérés désespérément négatifs).
[20] Discours parfaitement superposable à celui de de Beaurepère (cf. ci-dessus) qui ne rougit pas d’opposer son sentiment personnel (« à mon sens ») aux « standards internationaux ».
[21] Par souci de confidentialité, je n’ai pas produit le rapport auquel répond mon dire, mais il est assez facile d’en reconstituer la texture.
[22] Selon Patrick Berche, ancien doyen de la faculté de Necker-EM, "point n’est besoin d’être un crack en mathématiques ou en biophysique pour être un bon médecin" (Le Monde, 12/03/19). Sous la démagogie d’une apparente critique, le propos accrédite que les médecins d’auujourd’hui pécheraient par excès de science dure (math, physique), ce qui est grossièrement faux. J’ai fait mes études dans cette faculté qui, à l’époque, passait pour "la plus scientifique de France" : je n’ai pas souvenir d’y avoir jamais croisé un "crack" en math ou en physique...
[23] Quand j’étais jeune – il y a longtemps (Snif !) –, j’ai connu un type affligé d’un féroce bégaiement et qui, probablement sur les conseils de son psychothérapeute, ne pouvait s’empêcher de prendre (et longuement) la parole dès qu’il était en public. J’en ai encore des sueurs froides au souvenir de ses interventions…
[24] Un correspondant me fait remonter une lettre ouverte de ce gars à Buzyn, qui commence de la façon suivante : "Permettez à un médecin généraliste, médecin de famille depuis plus de quarante ans, de vous apporter son témoignage de terrain, de médecin qui vaccine au quotidien nourrissons, enfants et adultes...". Nous sommes exactement sur la même ligne de pensée : je prescris, donc je sais. Et le gars continue sans trembler : "Je ne suis pas non plus médecin de santé publique, ni épidémiologiste, ni expert des maladies infectieuses. Je suis un médecin de famille, qui voit des patients dans ce fameux colloque singulier". Comme psychanalyste, j’ai le plus grand souci du "colloque singulier" : mais ce n’est pas ce colloque singulier qui donne les armes pour parler - et avec tant d’assertivité - de questions sanitaires (le rapport bénéfice/risque des vaccinations) qui relèvent avant tout de santé publique, d’épidémiologie, ou d’infectiologie... La médecine "scientifique", telle qu’on est censé la cultiver à l’AIMSIB (dont mon contradicteur est, apparemment, un membre fondateur), devrait commencer par délimiter les problèmes. C’est facile d’ironiser sur la psychanalyse : encore faut-il avoir la moindre notion de son domaine d’application. Pareil pour la santé publique, l’épidémiologie, l’infectiologie...
[25] Le plus déprimant, c’est qu’apparemment fidèle du site de de Lorgeril, ce gars doit se représenter en observateur critique du monde médical français : ce en quoi, il ne fait pas pire, c’est vrai, que la plupart des adeptes de l’AIMSIB… En fait (cf. ci-dessus), j’ai appris depuis lors qu’il était membre fondateur de l’AIMSIB...
[26] Rappelons qu’en matière de dépendance aux médicaments, la politique de "satisfaction client" si ingénument prônée par mon contradicteur "addictologue" est considérée, rien qu’aux USA, comme responsable de 200000 décès (je dis bien : deux cent mille) sur vingt ans (Manière de voir, fév-mars 2019, p. 10).
[27] Sachant que je ne me sens plus pisser depuis que j’ai appris que des experts « choisis pour leur compétence » disaient grosso modo la même chose que moi.
[28] Il finira par assassiner son épouse, ses deux jeunes enfants et ses deux parents.
[29] Sur un mode mineur, d’autres (on en trouve sur la Toile) enflent la valeur de diplômes extrêmement modestes, tels ces médecins qui se prétendent « statisticiens » alors qu’ils ne disposent que d’un pauvre CESAM ou l’équivalent, et qu’ils n’ont jamais réalisé le moindre travail statistique tant soit peu sérieux.
[30] Il se targuait de fréquenter B. Kouchner ou L. Schwartzenberg : il semble exister des gens que ce type de relations impressionne…
[31] Vulnérabilité dont il est à peine utile de souligner qu’elle est au cœur de la formation : il suffit de se reporter au désopilant rituel des dédicaces dans les thèses de médecine, où le moindre hiérarchiquement supérieur (l’interne pour l’externe, voire l’externe pour le stagiaire - bref : le roquet pour le basset…) vaguement croisé au cours du cursus s’y voit indécemment congratulé.
Marc Girard
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