Réactions paradoxales sous benzodiazépines : une interview du Dr Girard
Dans son édition du 26/01/12, le magazine Paris Match a repris un bref extrait d’une assez longue interview consacrée aux "réactions paradoxales" sous benzodiazépines, renvoyant au site de la revue pour la publication d’extraits plus larges.
Mes lecteurs trouveront ci-après l’intégralité des réponses que j’avais adressées au journal.
Avant toute chose et conformément à la loi (Art. L.4113-13 du Code de la santé publique), il importe que vos lecteurs soient informés de mes conflits d’intérêts, à savoir que comme consultant, j’ai travaillé avec des fabricants de psychotropes, et tout particulièrement sur les « réactions paradoxales » ; la conséquence bénéfique de cet état de fait, c’est que j’ai pu consacrer beaucoup de temps à ces problèmes, avec un accès quasi illimité à la documentation disponible, incluant de nombreuses pièces d’accès non public (données internes de pharmacovigilance, par exemple).
Quelques mots de définition, d’abord : est « paradoxale » une réaction qui, comme son nom l’indique, va en sens inverse de l’effet qu’on recherchait en prescrivant le médicament. De très nombreux parents ont ainsi l’expérience d’enfants qui se transforment en pile électrique une fois qu’on leur a prescrit un sirop « pour dormir »… Relativement à des psychotropes qui visent, selon les molécules et les indications, à dompter un délire, à calmer une agitation ou une anxiété, ou encore à adoucir une dépression, on appellera « paradoxale » toute réaction qui va en sens inverse : en pratique, les plus spectaculaires et celles qui retiennent le plus l’attention des médias, ce sont les actes de violence criminelle, les comportements suicidaires, les phénomènes somnambuliques. Il est classique aussi de classer comme « paradoxales » les réactions de désinhibition sexuelle, de soumission chimique ou d’amnésie, même si je ne suis pas certain qu’elles correspondent exactement à la définition qui vient d’être donnée.
A dire vrai, il n’y a rien de très mystérieux dans l’existence même de telles réactions : le cerveau humain est un organe compliqué, le déterminisme des réactions psychologiques est extraordinairement complexe, et lorsqu’on commence à vouloir jouer pharmacologiquement avec tout ça, c’est un peu l’image de l’éléphant dans un magasin de porcelaine. Mais il n’y a pas que les médicaments, et toute substance d’action centrale peut en provoquer de semblables ; ainsi, tout un chacun a eu l’occasion d’observer de telles réactions à l’alcool, qui se déclinent selon deux modèles principaux : « l’intolérance fondamentale », laquelle s’exprime chez ces gens qui se mettent à débloquer dès qu’ils boivent même une très faible dose (« la moindre goutte d’alcool le rendait fou », écrit Zola dans La Bête humaine), et « l’alcool mauvais », à savoir cette tendance qu’ont certaines personnes à devenir méchantes ou agressives quand elles ont beaucoup bu, au lieu de rigoler bêtement ou d’aller dormir.
Sur ce seul exemple, on comprend tout de suite que le problème n’est pas seulement une question de dose, et on aperçoit du même coup la question du « terrain » – ou, plus spécifiquement en l’espèce, de la personnalité. Il n’y a pas besoin d’avoir lu tout son Freud pour savoir que, chez certaines personnes, le contrôle du moi sur les pulsions est extrêmement précaire et qu’il suffit parfois de bien peu pour faire sauter les barrières : ce n’est pas tout le monde qui, sous l’empire d’un psychotrope, va exterminer sa partenaire à coup de tournevis… La presse médicale a également publié le cas [1] de cette jeune femme excessivement pieuse qui se destinait à une vie religieuse fort ascétique et qui, sous l’influence d’un traitement par une benzodiazépine, s’est retrouvée strip-teaseuse dans un night club – apparemment très excitée par cette (re)conversion (« enthusiastically » disait le texte anglais)… du moins jusqu’à ce qu’elle arrête son médicament [2] (de façon moins spectaculaire, certains honnêtes pères de famille confient non sans satisfaction que leur épouse est bien plus disponible sexuellement dès lors qu’elle a pris son somnifère…). Il arrive cependant qu’une fragilité psychologique préexistante ait été plus ou moins dissimulée et méconnue, d’où l’impression – qui tend à attirer l’attention des médias – d’un « coup de tonnerre dans un ciel serein ». J’ai ainsi connu le cas d’une jeune femme qui, se présentant comme absolument « normale », avait développé un délire chez son dentiste, après l’administration d’un banal antalgique d’action centrale : en insistant un peu, j’ai quand même fini par apprendre qu’elle avait un lourd passé de toxicomanie…
Ces considérations introduisent au difficile problème de la causalité. Dans les centaines de cas que j’ai étudiés, je n’ai pas souvenir d’en avoir vu beaucoup sans « facteurs associés » : antécédents psychiatriques souvent en proportion de la réaction paradoxale rapportée, prise concomitante d’autres toxiques (alcool, drogue), association à d’autres psychotropes. Il faut bien comprendre, d’autre part, que la plupart des sujets avec une pathologie mentale reçoivent des psychotropes, et qu’il est parfois bien difficile de distinguer entre l’effet du traitement ou de l’état qui a conduit à un tel traitement : c’est un grand classique des avocats spécialistes du dommage médical de recevoir des personnes voulant porter plainte contre le fabricant ou le prescripteur de tel ou tel médicament en raison des effets psychiques censément induits chez elles, et dont il apparaît qu’il s’agit de psychotiques qui, le plus souvent sur un article de presse, se sont mis à prendre en grippe tel ou tel des nombreux médicaments qu’ils ont reçu depuis des décennies. C’est un autre grand classique médico-légal, quand on a commis un délit ou un crime, d’incriminer les médicaments qu’on était supposé prendre au moment des faits – même s’il n’est pas toujours certain qu’on les avait pris.
Implicitement, j’ai répondu à la question sur la fréquence de telles réactions paradoxales : on ne la connaît tout simplement pas, en raison de toutes ces difficultés à établir la causalité au cas par cas. Il va de soi, également, qu’organiser des essais cliniques contre placebo pour évaluer ladite fréquence poserait de grandes difficultés. Il existe certes des études épidémiologiques rétrospectives qui prétendent cerner les facteurs de risque, mais ne permettent pas de mesurer une fréquence précise.
Quant à la question de l’âge, je ne suis pas informé de risques spécifiques à l’enfance – sachant que, personnellement, l’idée de prescrire des psychotropes à des sujets dont la constitution neurologique n’est pas achevée me paraît assez criminelle, sauf cas particulier (intervention chirurgicale, stress extrême, pathologie neuro-psychiatrique grave…). A l’autre extrémité de la vie, en revanche, le grand âge est clairement une cause de sensibilité exagérée aux effets toxiques de tous ces agents et la surprescription psychotrope chez le sujet âgé est un odieux scandale : il est certain, par exemple, que les chiffres d’Alzheimer sont gonflés par tous ces vieillards qui sont artificiellement rendus déments à cause de ces médicaments dont ils n’ont nul besoin réel.
J’en arrive maintenant à la question de savoir si certains médicaments sont plus impliqués que d’autres. En fait, tous les médicaments (pas seulement à visée psychotrope) susceptibles d’avoir une action, même secondaire, sur le système nerveux central peuvent déclencher de telles réactions : j’ai évoqué tout à l’heure certains antalgiques, on pourrait également parler de certains sirops contre la toux (qui ont la même structure chimique que les « sirops pour dormir » dont j’ai déjà parlé, laquelle est peu ou prou celle d’un neuroleptique : c’est bon de le savoir…). On parle aussi, en ce moment, de certains médicaments du sevrage tabagique. Soigneusement manipulé par qui y a intérêt, l’acharnement déjà ancien sur la classe des benzodiazépines n’est pas neutre : il s’agit de produits déjà très anciens, à ce titre pas mal étudiés, remarquablement efficaces et extrêmement bien tolérés toutes choses égales par ailleurs, mais qui, à cause de leur ancienneté, ne rapportent plus assez, par comparaison avec des médicaments plus récents, pas nécessairement bien connus, d’efficacité et de tolérance plus problématiques, mais bien plus rentables pour leurs fabricants – et du même coup plus coûteux pour « la solidarité nationale ». Certains de vos lecteurs ont peut-être assisté à une récente altercation télévisée, lors d’une émission où un autre intervenant s’est permis de me reprendre quand j’ai dit qu’il fallait arrêter de diaboliser les vieilles dames qui ne pouvaient se passer de leur quart de Lexomil le soir, au coucher : si le problème de la surprescription gériatrique se limitait à la petite sous-population de gens âgés qui prennent un quart de Lexomil le soir, il n’y aurait pas de problème du tout – et ce devrait être, parmi d’autres, une honte pour nos autorités sanitaires d’avoir consacré tant d’énergie (d’ailleurs en vain) à cette pauvre question eu égard aux véritables problèmes qui menacent la santé publique. A ce sujet, je tiens également et de nouveau à m’inscrire en faux contre l’idée reçue que les Français seraient « les plus gros consommateurs de psychotropes » au monde : ils sont peut-être les plus gros acheteurs grâce à une assurance-maladie qui les a encouragés à l’irresponsabilité (je ne parle pas de celle des prescripteurs…), mais je ne connais pas d’étude qui mesure la consommation réelle des médicaments – et j’invite qui veut à aller voir ceux qui restent inutilisés dans l’armoire à pharmacie du voisin.
Si j’en crois mes lectures de la presse, la critique actuelle à l’égard des psychotropes mélange plusieurs choses, dont le risque de réaction paradoxale d’une part, le risque de dépendance d’autre part.
- En ce qui concerne la violence retournée contre soi, le risque de suicide concerne surtout les antidépresseurs et était connu depuis quasiment toujours : pour des raisons probablement promotionnelles, on a voulu l’oublier avec les nouveaux antidépresseurs (type fluoxétine et apparentés), mais il a fallu se rendre à l’évidence et se rendre compte qu’ils n’étaient pas ces médicaments « miracles » que l’on avait célébrés depuis la fin des années 1980.
- Pour ce qui concerne la violence à l’égard des autres, l’une des plus récentes études disponibles [3] identifie plusieurs de dizaines de médicaments hautement suspects, dans lesquels on retrouve certes des benzodiazépines : mais le risque de loin le plus net semble lié aux médicaments qui augmentent la disponibilité de la sérotonine ou de la dopamine au niveau du cerveau, à savoir et comme par hasard les nouveaux antidépresseurs (fluoxétine et apparentés) et, plus encore, la varénicline (sevrage tabagique). On peut donc se demander si tout le tapage fait aujourd’hui autour des benzodiazépines ne vise pas à détourner l’attention des questions plus graves que peuvent poser des molécules plus récentes et bien plus rentables pour leurs fabricants.
- Quant au risque de dépendance, enfin, il est indéniable avec les benzodiazépines, mais également avec les nouveaux antidépresseurs : et il est même possible, à mon avis, que le premier soit plus facile à gérer que le second, car on voit de plus en plus de gens mis sous antidépresseurs à l’occasion d’une vague difficulté existentielle et qui éprouvent ensuite les plus grandes peines du monde à arrêter leur traitement.
Sur la base de ce qu’on peut savoir en un domaine aussi incertain que les réactions paradoxales aux psychotropes, la meilleure prévention me paraît passer par : 1/ une minimisation de la prescription (on ne prescrit pas un psychotrope à chaque stress ou à chaque crise de larmes) ; 2/ une minimisation de la durée de la prescription (si cruel soit-il, il y a forcément un moment où il faut affronter l’épreuve du deuil) ; 3/ un minimisation du nombre de médicaments prescrits simultanément (il faut vraiment avoir l’esprit simple – beaucoup de psychiatres l’ont – pour croire que tous les effets bénéfiques ciblés de chaque molécule prescrite vont se combiner en une parfaite harmonie…) ; 4/ l’étude soigneuse des antécédents ; 5/ l’observation attentive des réactions du patient dès le début du traitement (les sujets enclins aux réactions paradoxales montrent généralement leur hypersensibilité dès l’introduction du médicament).
Pour conclure, j’ai sur ce sujet la même position qu’avec les vaccins : il faut sortir des guerres de religion. Comme spécialiste du médicament pratiquant la psychothérapie d’inspiration freudienne, je n’ai aucun état d’âme à considérer l’alternative thérapeutique. Je ne crois pas du tout que les grands problèmes de l’âme humaine soient solubles dans la pharmacologie – et reste effaré, par exemple, de voir des gens prendre des antidépresseurs durant des années, voire des décennies (je ne pense pas que les vieilles dames qui prennent leur quart de Lexomil tous les soirs fassent bien, mais je me contente de soutenir qu’il y a plus grave) ; je ne crois pas non plus que ces vrais problèmes soient solubles dans les médicaments homéopathiques ou « alternatifs ». A l’inverse, je me défie de ce qu’un confrère étranger appelait « le calvinisme pharmacologique », c’est-à-dire l’horreur de principe à l’égard de tous les psychotropes et en toute circonstance : il me semble que de tout temps et dans toutes les cultures, toutes les médecines ont eu l’usage de substances psychotropes – de l’opium aux plantes hallucinogènes en passant par l’alcool. Lorsqu’un sujet ne dort plus depuis des jours, qu’il menace – sérieusement – de se jeter par la fenêtre tellement il panique, qu’il veut tuer son conjoint dont il vient de découvrir l’adultère, ou encore qu’il reste à sangloter au lieu d’aller au travail, c’est une escroquerie de faire accroire qu’une psychothérapie va régler tout ça en temps réel (sachant de plus que tout le monde n’a pas la disponibilité financière, affective ou intellectuelle pour aborder une psychothérapie). Certes, en prescrivant un médicament, on aura peut-être des accidents sous forme de réactions « paradoxales », mais qui peut savoir le nombre de ceux qui auront été évités grâce à ces mêmes psychotropes ? On est bien là – comme avec tous les médicaments (vaccins inclus…) – dans une problématique de rapport bénéfice/risque.
Questions
PM - Le sujet sur les benzodiazépines, dans le magazine de cette semaine, met l’accent sur deux risques. Le risque de réaction paradoxale et le risque de dépendance. La survenue d’un syndrome paradoxal est rare mais potentiellement grave quand il pousse le sujet à commettre un acte agressif envers lui ou envers autrui. Quel est votre avis d’expert sur la question ?
MG - On ne connaît pas trop la fréquence exacte des réactions paradoxales et, comme je le dis souvent, les qualificatifs « rares » ou « fréquents » ne veulent pas dire grand-chose en recherche clinique ou en épidémiologie. Quoi qu’il en soit, dans les centaines de cas qu’il m’a été donné d’étudier, je n’en ai pas vu beaucoup où les responsabilités étaient faciles à trancher : il s’agit le plus souvent de sujets psychiquement très fragiles, voire franchement psychotiques, et il est exceptionnel de ne pas trouver des facteurs associés (alcool, drogues, autres médicaments…) Enfin, il est important de souligner que les benzodiazépines ne sont certainement pas les psychotropes le plus souvent impliqués dans ce type de réaction – ce qui amène forcément à s’interroger sur les motifs qui peuvent pousser les autorités sanitaires françaises à focaliser l’attention du public sur cette classe thérapeutique.
Il en va d’ailleurs de même avec le risque de dépendance : les benzodiazépines ne sont certainement pas les seuls médicaments concernés par un tel risque.
PM - Vous dites que l’alcool peut déclencher des réactions similaires, à la différence qu’on n’absorbe pas d’alcool dans le but de se soigner…
MG - Si des consommations aussi courantes (du moins dans un pays comme le nôtre) que celle d’un Ricard, d’un demi ou d’un muscadet peuvent entraîner des réactions psychiques dommageables et spectaculaires, raison de plus pour ne pas jouer avec le feu en prétendant « soigner » des émotions banales avec des agents pharmacologiques extrêmement actifs sur le système nerveux.
PM - L’Afssaps, dans le rapport qu’elle publie ce mois-ci, fait état de la trop longue durée des traitements de benzodiazépines (en moyenne 7 mois au lieu de 3). L’anxiété ou l’insomnie qui s’aggrave, l’apparition de peurs ou de phobies, sont autant de troubles psychiques qui peuvent apparaître à mesure que le traitement se prolonge. Peut-on parler dans ces cas de réactions paradoxales ?
MG - Cela fait au moins 20 ans que je me bats contre le parti pris des autorités sanitaires françaises (l’AFSSAPS, son successeur [ANSM] et ses prédécesseurs [Agence du médicament, DPhM]) visant à diaboliser la classe des benzodiazépines – et elle seulement – parmi toutes celles susceptibles de provoquer des réactions similaires, voire bien plus graves ou bien plus fréquentes. Pour faire simple, les réactions que vous décrivez relèvent davantage d’un « syndrome de sevrage » chez des sujets devenus dépendants que de réactions « paradoxales » à proprement parler : on les voit bien sûr avec des benzodiazépines, avec bien d’autres médicaments (notamment, les « nouveaux » antidépresseurs – ainsi que les médicaments franco-français naguère présentés par les autorités sanitaires comme des alternatives aux benzodiazépines, tels que le zolpidem [Stilnox]).
PM - L’antidépresseur arrive, juste derrière les benzodiazépines, au 2eme rang des psychotropes consommés en France. Présente-t-il aussi un risque de réaction paradoxale et de dépendance ?
MG - N’en déplaise à mes contradicteurs, je mets quiconque au défi de fournir, en France, des statistiques fiables de consommation réelle : tout au plus peut-on avoir des chiffres concernant les ventes, mais tout un chacun sait bien qu’il s’en faut de beaucoup pour qu’un médicament acheté soit effectivement consommé. Pour ce qui concerne les antidépresseurs, il faut distinguer les antidépresseurs anciens (tricycliques, IMAO) des « nouveaux » antidépresseurs (inhibiteurs de la sérotonine) qui, dans la lignée de Prozac, ont été présentés comme des médicaments miracles, alors qu’ils exposent à des risques de dépendance et de réaction paradoxale. L’une des dernières études disponibles (op. cit.) identifie un risque de réaction agressive nettement plus important avec ces « médicaments miracles » qu’avec les bonnes vieilles benzodiazépines.
PM - Y a-t-il d’autres médicaments qui présentent le risque d’induire des troubles psychiques ?
MG - Dans l’étude susmentionnée, la spécialité qui émerge le plus nettement en tête des médicaments exposant à des actes violents n’est autre que la varénicline, médicament du sevrage tabagique.
PM - Alors que les Français font partie des plus grands consommateurs de psychotropes, seule une personne dépressive sur trois en France recevrait un traitement approprié (d’après le rapport parlementaire de 2006). Que faut-il comprendre de cet état de fait ?
MG - Je ne peux que faire état une fois encore de mon scepticisme motivé relativement aux chiffres de consommation réelle. En réalité et abstraction faite des motivations économiques sous-jacentes à ces controverses douteuses (décrédibiliser des produits anciens, bien étudiés et bon marché au profit de produits plus récents, moins bien étudiés et nettement plus onéreux), ces statistiques outrageusement biaisées dissimulent aussi des querelles extrêmement idéologiques sur « le traitement approprié » des troubles psychiques : j’offre une importante récompense à qui le connaît effectivement… On trouve exactement le même type de débat manipulé par les autorités dans la controverse actuelle sur la supériorité présumée des thérapies comportementales relativement aux psychothérapies d’inspiration psychanalytique.
PM - En tant que médecin et spécialiste du médicament, comment selon vous remédier à la souffrance psychique ?
MG - J’ai commencé de répondre à la question précédente : personne ne connaît le vrai remède à « la souffrance psychique ». Mais les dérives actuelles renvoient au problème central de la médicalisation (que l’on retrouve également avec le cancer, par exemple), c.-à-d. de l’escroquerie consistant à baliser le débat par le truchement de considérations exclusivement thérapeutiques en excluant d’une part toutes les prises en charge non médicales et, d’autre part , toute investigation sérieuse quant aux causes des pathologies en question. En l’espèce et pour ce qui concerne la souffrance psychique : l’effondrement des repères moraux les plus élémentaires (« tu ne voleras pas » quand la plupart des formations commerciales désormais distribuées visent au meilleur moyen d’escroquer les gens, « tu ne tueras point » quand les gamins d’aujourd’hui voient, chaque jour à la télé, des dizaines de meurtres ou d’actes de barbarie), la dissolution des liens sociaux et familiaux (un divorce pour deux mariages, pour ne point parler des séparations non répertoriées des couples non mariés absents des statistiques), la brutalisation des rapports de travail, la violence économique, la peur du déclassement, la précarité…
[1] International Journal of Psychiatry In Medicine 1991 ; 21:99-104
[2] On sait également que, selon les individus, il y a des sensibilités extrêmement différentes au pouvoir de l’hypnose.
[3] PLoS ONE 2010 ; 5(12) : e15337.
Marc Girard
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