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L’égalité des sexes selon Le Monde diplomatique
RÉSUMÉ - La publication dans Le Monde diplomatique (avril 2016) d’un article de J. Fleuri intitulé "Les Japonaises indésirables au travail" m’a inspiré le commentaire ci-après, qui a été envoyé au Rédacteur en chef.
Dans la perspective de « l’égalité des sexes » (qu’on sait chère au Diplo même si elle attend toujours un minimum de clarification idéologique), on apprend, grâce à votre collaborateur J. Fleuri (avril 2016), que les femmes japonaises seraient majoritairement « cantonnées aux basses tâches », indicateur évident « de mépris et de manque de respect envers les femmes ». Le seul problème, c’est que les exemples illustratifs de cette bassesse concernent… « l’éducation des enfants » ainsi que « les soins prodigués aux personnes âgées ». On se réjouit pour Carol Gilligan [1] qu’elle ne soit pas encore décédée, car elle se serait immanquablement retournée dans sa tombe ; en revanche, dans un journal tellement enclin à dénoncer l’irresponsabilité politique des autres médias, on s’étonne de voir exprimés sans la moindre distance critique des préjugés aussi vulgaires, qui tiennent plus de l’acte manqué au sens freudien que d’un travail journalistique imprégné d’un minimum de conscience quant à la gluance du politiquement correct.
Ce, d’autant plus que le modèle de réussite féminine mis en exergue par l’article (« femme active et bien dans sa peau ») n’est autre que celui d’une salariée qui vient d’obtenir une promotion dans « un grand groupe hôtelier américain » moyennant une augmentation « considérable » de ses horaires de travail dont elle se dit « contente », et qui se réjouit que son entreprise lui fasse « confiance ». Ça laisse songeur que, par rapport aux tâches fondamentales de la transmission d’une part, de la protection des plus faibles d’autre part, Le Monde diplomatique privilégie aussi naturellement (j’allais écrire : aussi compulsivement) la soumission empressée à un méga-groupe américain anonyme, via une dévotion sans faille des individus à ce scrofule du capitalisme contemporain que constitue le tourisme international [2]
Pour les raisons susdites, Carol s’en tire bien – jusqu’à nouvel ordre ; mais j’entends d’ici le vrombissement furieux de Karl-la-toupie…
« Partout où elle a conquis le pouvoir, [la bourgeoisie] a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. (…) Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange (…). En un mot, à la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale. » [3]
C’est bien une telle exploitation « éhontée » que promeut le Diplo, sans la moindre vergogne décelable…
PS - Dans la rubrique "Correspondance" de son numéro de mai, Le Monde diplomatique publie un extrait de ma lettre, que l’on trouvera en PJ. Comme lors d’une précédente correspondance, mes visiteurs pourront apprécier si l’extrait publié reflète fidèlement l’essentiel de ma lettre initiale...
[1] Gilligan C. Une voix différente : Pour une éthique du care. Champs essais, 2008
[2] Dès 1826, ce précurseur du socialisme que fut Pierre Leroux dénonçait "un cosmopolitisme funeste [qui] attiédit par degré toutes les âmes", au titre des stigmates du "profond ennui" qui travaillait la société de son temps. Manifestation parmi d’autres de ce que Marx et Engels allaient dénoncer vingt ans plus tard comme "Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles [qui] distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes." Il est assez sidérant que près de deux siècles plus tard, l’un des organes les plus éminents de la gauche intransigeante n’ait toujours pas la moindre défense contre les manifestations pourtant patentes de cette fureur capitaliste à l’encontre de la stabilité et de l’enracinement.
[3] Marx K., Engels F. Manifeste du parti communiste, 1848.
Marc Girard
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