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R - « Je me sentais inutile, sotte, sale et méprisable »
« Le **/**/1991, de retour d’une disponibilité, je réintègre mon poste d’infirmière de secteur psychiatrique au CHS de N*** qui m’avait employée depuis 1982. Au vu de l’art. L. 10 du code de la santé publique, j’accepte, confiante, avec un certain devoir civique le vaccin contre l’hépatite B.
Dès juin 1991, hospitalisée en urgence, je développe un diabète insulino-dépendant. Toujours en service, je m’étonne, consulte, ressens diverses sensations et douleurs qui seront diagnostiquées plus tard comme une sclérose en plaques : après IRM, ponction lombaire, potentiels évoqués, urodynamique... Malgré ces maladies chroniques, inconnues dans ma famille, je tente de continuer ma vie professionnelle. A cause de ces deux maladies « antagonistes » et les traitements pour y survivre (immuno-suppresseurs, cortisone, insuline) je dois me résoudre à renoncer à mon emploi en pédo-psychiatrie.
Je commence alors le cycle des expertises à L*** où je résidais, et connue du service de Neurologie, je suis en retraite pour invalidité. De retour à B***, ma ville natale, où je me sens plus protégée du fait de manque de forces et moyens, la DASS me propose une liste de médecins afin d’évaluer mon handicap.
En 2000, il n’apparaissait dans mon département aucun spécialiste des deux maladies dont je souffre, et j’ai été reçue par le Dr D***, de médecine interne. Alors, je pensais avoir une expertise, construite autour de dossiers médicaux, comptes-rendus d’hospitalisation, auscultation et questions diverses... Mr le Dr D*** m’a dit, en guise d’introduction, qu’il était obligé de s’astreindre à ce genre d’expertise et que cela ne l’enchantait guère... Mise tout de suite en situation, j’ai subi les questions, les remises en question des diagnostics posés, la précipitation, les insinuations, les humeurs, les humiliations de ce médecin.
En sortant, j’avais reçu le message et n’aspirais plus à vivre [1], tant je me sentais inutile, sotte, sale et méprisable.
Il m’a fallu du temps pour oser me faire entendre à nouveau. En 2001, j’ai choisi un médecin dont la spécialité me faisait penser « qu’il saurait de quoi il parlait ». Spécialiste en pharmacovigilance et pharmacoépidémiologie, je me suis rendue le **/**/2001 auprès du Dr M. Girard, pour une contre-expertise, accompagnée cette fois par un avocat, pour me protéger d’éventuelles humiliations que j’avais déjà subies. Comme chaque fois, et encore plus depuis la dernière expertise, j’avais peur et étais intimidée.
Le Dr Girard avait mon dossier devant lui, qu’il avait préalablement déjà étudié. Il s’est penché sur l’histoire de mes maladies, insistant sur les périodes de survenue des symptômes, me questionnant sur mes antécédents familiaux... Il était disponible pour m’écouter. Bien que je sentais qu’il évaluait mes réponses, mon dossier, je pouvais et osais m’exprimer, même sur des sujets très intimes, tels les symptômes de la S.E.P [2]. Ensuite, il m’a auscultée dans son cabinet avoisinant et a pratiqué un examen neurologique. De retour dans son bureau, où m’attendait mon avocat, l’expertise a continué et j’ai pu exprimer mes souffrances, mes craintes pour l’avenir, mon histoire et cela, naturellement, sans pression, ni jugement. En repartant, je ne savais pas quelles étaient ses conclusions, mais j’avais été entendue et avais pu exister malgré ces maladies.
Depuis 5 ans, je suis la presse et l’évolution (ou plutôt la non-évolution) de l’Administration Française à ce sujet. Des commissions se réunissent pour traiter et re-traiter du problème. A chaque fois, les mêmes experts sont nommés, et statuent la non-reconnaissance d’effets irréversibles de ce vaccin. Pourtant, les lois ont changé, il y a plus d’obligation vaccinale systématique sur les enfants et adolescents. Ce choix reste au médecin traitant...
Comment un médecin pourrait-il mettre en péril sa déontologie, sa carrière, sa réputation et sans doute sa vie, s’il n’était pas persuadé, preuves à l’appui, et s’appuyant sur ses recherches et conclusions et sur d’autres écrits, de l’existence d’un lien de causalité entre ce vaccin et certaines maladies chroniques ?
Malgré les frustrations et l’abandon dans lequel je me trouve, je veux croire en la Justice, son équité et sa possibilité d’établir la Vérité !
L’argent et son pouvoir peuvent-ils l’influencer ? Donne-t-on à chaque partie adverse les moyens d’exposer leurs pensées pour pouvoir enfin ouvrir le débat en toute légalité ? »
Fait à B***, le 15 janvier 2006
Nelly R.
« N.B. Je remercie M. le Dr Girard pour ses sacrifices et son courage à défendre ma cause et celle d’autres personnes dans mon cas. »
Lorsque, au début de 2006, j’avais rédigé les textes de cette série avec l’idée initiale d’en faire un livre, cette attestation (la seule des quatre dernières à n’être pas dactylographiée) m’avait fourni le titre auquel je m’étais arrêté pour la publication projetée : Je me sentais inutile, sotte, sale et méprisable. À ce stade de notre série, le lecteur admettra qu’il introduisait bien à l’ambiance – et sans aucune exagération… En matière de formulations frappantes tirées du même corpus, on n’avait, en effet, que l’embarras du choix :
« En sortant [de l’expertise], j’avais reçu son message et n’aspirais plus à vivre »
.
Mais aussi :
« (…) accompagnée cette fois par un avocat pour me protéger d’éventuelles humiliations que j’avais déjà subies. »
Ou encore :
« Comme chaque fois (…), j’avais peur et étais intimidée. »
La thématique de l’expertise comme situation dangereuse et de l’avocat perçu comme garde du corps est également celle que nous avions perçue dans l’attestation de Mme P. Cette dernière, femme d’âge mûr peu encline à s’en laisser compter, était professeur, tandis que Nelly. R, âgée d’une petite quarantaine, est professionnelle de santé – à ce titre justiciable d’un minimum de confraternité de la part d’un médecin, fût-il expert : on peut s’interroger sur le sort d’un maçon portugais au français approximatif dans des circonstances similaires – et nous avons vu de toute façon celui réservé à Mme Q., française de souche et sans problème particulier ni d’expression, ni d’élocution (cf. aussi M. F.)…
A mesure que l’entretien se prolongeait avec Nelly, j’avais remarqué que cette jeune femme noire, belle et terriblement digne [3] était prise d’un tremblement croissant. Alors que rien, dans le déroulement paisible de notre conversation, ne me paraissait justifier une telle émotion, je compris soudain – parce qu’elle me le dit textuellement – qu’elle était proprement bouleversée à l’idée qu’un expert la laisse parler…
Quoique, dans son post-scriptum, Nelly fasse de nouveau basculer le Dr Girard dans le camp des victimes (« son courage à défendre ma cause »), il est impossible, encore, de rapporter l’intensité des sentiments exprimés au simple fait qu’elle ait enfin trouvé un expert qui la conforte dans sa demande. Car ce qui ressort de ce témoignage – comme de la plupart des autres (j’ai déjà noté que Mme K. nous proposait une « véritable épistémologie de l’expertise ») – c’est l’insistance des victimes non sur le résultat brut de l’expertise (« en repartant, je ne savais pas quelles étaient ses conclusions »), mais bien sur la méthode de l’expert : avec une finesse exacerbée par l’anxiété des expériences passés, Nelly scrute son interlocuteur (« je sentais qu’il évaluait mes réponses ») et affirme même que c’est en dépit de cette position d’analyse critique (« bien que je sentais […] ») qu’elle « pouvait et osait s’exprimer »…
D’où il ressort clairement que ce que les victimes reprochent aux précédents experts, ce n’est pas leur position dubitative, voire leur évaluation défavorable, mais bel et bien leur refus forcené d’écouter (« la précipitation »), leurs préjugés manifestes (« en guise d’introduction », « les insinuations »), leur grossièreté (« les humeurs »), leur inhumanité (« les humiliations »). A quoi s’oppose, en une épistémologie de cohérence indubitable et de convergence indéniable, l’inventaire rigoureux des dispositions qui crédibilisent le travail du contre-expert : il étudie le dossier, il laisse les gens parler, les écoute, les pousse dans leurs retranchements par ses questions (preuve, s’il en était besoin, qu’il n’entend pas se laisser mener en bateau [4]) – et par-dessus tout, il n’a pas d’attente décelable (« sans pression ni jugement »).
Au terme de quoi, cette disposition à l’enquête qui conduit le contre-expert à poser des questions auxquelles personne ne s’attend, jointe à la capacité de débusquer jusqu’à l’intime (« je pouvais et osais m’exprimer, même sur des sujets très intimes »), loin d’être vécue comme torture neuro-cognitive (cf. Mme Q.) ou comme « humiliation » parmi d’autres, opère comme une maïeusis – l’art d’accoucher les âmes souffrantes – et débouche, une fois encore, sur un sentiment renouvelé d’intégration :
« En repartant, je ne savais pas quelles étaient ses conclusions, mais j’avais été entendue et avais pu exister malgré ces maladies. »
Et si l’art de l’expertise, c’était de donner aux victimes le sentiment d’avoir pu exister malgré leur souffrance et malgré le doute judiciaire – éventuellement légitime [5] – sur la causalité de cette souffrance ?
Dans l’affaire concernant Nelly, j’avais consacré pas moins de trois pages denses (police proportionnelle, simple interligne…) à pointer les innombrables défaillances de la précédente expertise (opacité du raisonnement, bibliographie fautive et grossièrement incomplète, arguments d’autorité, méconnaissance de la réglementation, mépris du contradictoire) [6], avant d’introduire sans précaution oratoire excessive mes dernières remarques :
« En outre, le raisonnement du précédent expert frappe par son illogisme… »
Ce devrait être un problème de nature à mobiliser tous nos Parlementaires que, dans un grand pays comme la France, une expertise marquée au coin de l’incompétence et de « l’illogisme » suffise à faire basculer un justiciable dans un désir de mort :
« En ressortant, j’avais reçu son message et n’aspirais plus à vivre. »
Dans l’affaire d’Outreau, on croit savoir que ce même type d’expertise – visant en l’espèce à confirmer la crédibilité des enfants accusateurs – a malheureusement conduit l’une des personnes visées jusqu’à concrétiser ce désir de mort…
[1] C’est bien Nelly qui souligne.
[2] Sclérose en plaques.
[3] Nelly fait partie de ces professionnels de santé qui, frappés trop tôt et trop durement dans leur chair, vivent la maladie comme une sorte d’humiliation, une épreuve qui les fait basculer du camp des soignants à celui des soignés.
[4] Dans l’ensemble de mes expertises judiciaires, j’ai dû être le seul technicien à réfuter des diagnostics par excès de sclérose en plaques : quoique mes prédécesseurs, contrairement à moi, fussent neurologues (et donc, a priori, bien plus compétents que moi sur le sujet), ils étaient tellement pressés d’écrire que la vaccination était évidemment dépourvue de tout potentiel neurotoxique qu’ils n’avaient même pas pris la peine d’examiner la victime pour caractériser cliniquement ses troubles, puisque de toute façon, ce n’était pas la faute du vaccin.
[5] Sachant qu’en matière de causalité iatrogène, les plus incongrus pour évaluer quelque « légitimité » que ce soit sont… les magistrats. Dans une autre affaire, la Cour d’appel d’Orléans m’avait récusé sans aménité (pour mon manque d’impartialité) au motif que dans un article dûment publié dans la presse spécialisée et selon les règles académiques, j’avais osé critiquer la qualité de certains essais réalisés par les fabricants : d’où il ressortait nécessairement que seuls méritaient d’être considérés comme « impartiaux » ceux des « experts » qui tenaient comme allant de soi que les essais cliniques réalisés par les fabricants étaient parfaits dans leur méthode, dans leur analyse, dans leur présentation des résultats et dans leurs conclusions…
[6] On notera qu’en cette espèce, la situation était compliquée par la survenue simultanée d’un diabète, vaste problème avec cette vaccination, pourtant regrettablement négligé (malgré d’exceptionnelles publications).
Marc Girard
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