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M - « Une expertise pour rien »
« Je soussigné, François M., déclare être entièrement satisfait du sérieux avec lequel le docteur GIRARD a pratiqué l’expertise que je lui ai demandée.
M’estimant victime du vaccin contre l’Hépatite B, j’ai engagé une procédure contre le laboratoire ***. J’ai fait appel au docteur GIRARD (membre d’une association agréée et expert auprès des Tribunaux) pour pratiquer une expertise concernant mon cas lors de l’appel du jugement par ce laboratoire.
Lors de cette expertise, le docteur GIRARD a examiné consciencieusement mon dossier médical, mettant en relief des concordances de temps et de faits, qui n’avait pas encore été révélées par la première expertise demandée par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre. Ces faits concernent en particulier le rappel de vaccination en 1994.
J’ajoute que le docteur GIRARD a non seulement examiné avec soin les pièces de mon dossier médical et qu’il l’a fait avec beaucoup d’humanité.
Fait ce jour pour faire valoir ce que de droit. »
Le 7 janvier 2006
François M.
Quinquagénaire d’un admirable courage dans l’adversité, ancien cadre d’une entreprise nationale naguère vaillant sportif et musicien talentueux, François M. a vu sa vie brisée par une sclérose en plaques très invalidante qui l’a rapidement confiné en fauteuil électrique dans un état de dépendance presque totale : les premiers symptômes de cette maladie foudroyante se révélant alors que son épouse était enceinte de leur dernière fille…
Malgré la rapidité et la fermeté de sa réponse à ma demande de témoignage, François semble plutôt en retrait sur les plus véhémentes des attestations précédentes. En fait, il est l’une des rares victimes qui n’ait pas été déboutée en première instance, sur la base d’une expertise où, pour une fois, les experts n’avaient pas absolument réfuté un rôle causal de la vaccination – mais comme d’habitude sans la moindre motivation et dans un mépris constant de l’abondante bibliographie disponible. C’est l’avocat de François M., préoccupé par la faiblesse de cette expertise, qui s’était tourné vers moi en prévision de l’appel interjeté par le fabricant.
A dire vrai, François M. lui-même avait conscience du problème posé par sa première expertise, et il m’avait spontanément confié qu’il la considérait comme « une expertise pour rien » [1]. Il voulait dire par là que, selon une pente d’ailleurs entretenue par les tribunaux qui s’obstinent à désigner des neurologues en ce type d’affaire, les précédents experts s’étaient concentrés sur le diagnostic de sclérose en plaques – lequel était acquis depuis longtemps et ne posait, malheureusement, aucune difficulté – alors que le problème judiciaire soulevé par la procédure engagée tournait autour de la défectuosité d’une part, de la causalité d’autre part, toutes problématiques sur lesquelles les membres du premier collège expertal n’avaient manifestement pas la moindre lumière : comme l’immense majorité de leurs collègues, n’avaient-ils pas négligé même les fameux « rapports périodiques de tolérance » sur lesquels nous reviendrons et qui représentent le document technico-réglementaire de base en matière de iatrogénie médicamenteuse ? Lui-même dépourvu de toute formation médicale, François (qui, avec sa femme, s’est en parallèle donné beaucoup de mal pour médiatiser mon rapport sous le titre L’expertise qui dérange) a immédiatement relevé mon souci des « concordances de fait et de temps » – frappants en l’espèce et arguments majeurs en matière de causalité iatrogène en général, mais qui n’avaient pas eu l’heur de retenir l’attention des premiers experts.
L’expérience de François M. pose donc un double problème.
- D’une part, la situation schizophrénisante des victimes qui, « bénéficiant » d’une expertise de mauvaise qualité qui leur est néanmoins favorable, n’ont pas vraiment les moyens de la contester alors qu’ils sentent très bien que ses faiblesses pavent le boulevard du succès pour l’appelant [2].
- D’autre part, le choix des spécialités dans une problématique médico-juridique complexe, et la lucidité – ou le manque de lucidité – des experts désignés par les magistrats quant à leur compétence effective pour l’espèce judiciaire soulevée : il est certain que si les neurologues désignés en ce type d’affaire s’étaient massivement déportés pour incompétence – comme ils auraient dû le faire –, ils auraient contraint les magistrats à une réflexion, qui fait encore défaut aujourd’hui, sur la spécificité technico-juridique du problème posé [3].
D’où il ressort que sans le moins du monde chercher à « dire le droit », des experts consciencieux peuvent avoir une influence déterminante sur le cours judiciaire, et même juridique d’une procédure : n’est-il pas patent que des experts dotés d’un minimum de conscience quant à leur rôle effectif eussent pu influer très favorablement l’affaire d’Outreau ?
En la présente espèce, l’épilogue sera que, comme parfaitement anticipé par l’avocat, le premier arrêt de la Cour d’appel annulera le premier jugement favorable à François M. en arguant que le défaut n’avait pas été démontré, tandis qu’après renvoi de cassation, le second arrêt annulera ce premier jugement en arguant que la causalité n’avait pas été démontrée : la justice – n’ayons pas peur des mots – aime beaucoup ces jeux à somme nulle, sachant que le deuxième arrêt [4] sécurisera l’issue au bénéfice du fabricant en décrétant que, de toute façon, la sclérose en plaques devait avoir préexisté à la vaccination, chez cet homme en parfaite santé jusqu’alors [5].
Le second épilogue, c’est que le dernier arrêt (celui de la Cour de renvoi) condamnera François – tétraplégique – aux dépens, soit à plusieurs dizaines de milliers d’euros (je dis bien : plusieurs dizaines de milliers d’euros).
Le troisième épilogue, c’est qu’après avoir fait face à cette terrifiante procédure pour rien, François – comme un certain nombre de victimes ayant subi le même genre de sévices judiciaires – baissera les bras et décèdera dans un lamentable état de déchéance physique et morale.
Il laissera derrière lui, entre autres proches, la petite fille qui lui était née en même temps que sa maladie…
[1] Dans mes écritures, j’avais qualifié cette précédente expertise de « multidéfectueuse » – évidemment en documentant cette évaluation sans concession.
[2] Rappelons de plus que cette expertise, si défectueuse soit-elle, a généralement été ordonnée à leurs frais : il faut y réfléchir à deux fois avant d’en réclamer une seconde – surtout lorsqu’on est en invalidité professionnelle…
[3] Car si la réalité et la nature neurologique de la pathologie développée par François avaient été rapidement identifiées depuis le tout début, LE problème posé par procédure (sinon par la prise en charge du patient) était d’établir que le vaccin était défectueux et qu’il existait un lien de causalité entre ce défaut et la sclérose en plaques. La résolution de ce problème n’avait rien à voir avec la neurologie, mais appelait des compétences pointues en pharmacovigilance, en pharmaco-épidémiologie et en réglementation pharmaceutique. Depuis 25 ans, pas un seul magistrat ou juriste ne semblent avoir compris ce point...
[4] Exploitant effrontément la voie ouverte par la pharmacovigilance dès 1994 sans la moindre justification.
[5] Aucun des deux arrêts, faut-il le préciser, ne daignera prendre en compte ma propre expertise, qui avait consacré près d’une centaine de pages et des dizaines de référence à démontrer simultanément le défaut ET la causalité, et à ridiculiser – évidemment preuves en main – ces fantasmes de préexistence. En droit, ce genre de dégoût sélectif allant tellement de soi qu’il n’appelle aucune justification s’appelle « défaut de motivation » (c’est, en principe, une cause de cassation…). Ma contribution avait également signalé qu’aux termes mêmes d’une réglementation manifestement ignorée, les conclusions de la pharmacovigilance officielle, auxquelles s’étaient tenus les précédents experts, avaient été arrêtées « en concertation » avec le fabricant partie à l’instance : en droit, privilégier sans aucune justification la voie d’une des parties s’appelle « violation du contradictoire »…
Marc Girard
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