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F - « J’en suis ressorti abasourdi, incompris, vexé »
"J’ai passé une 1ère expertise avec les professeurs S. et Z., j’ai été assailli de questions, un vrai interrogatoire, une pression telle qu’on a préféré me faire remarquer que je faisais une faute de français en m’exprimant plutôt que d’aller au vif du sujet. J’en suis ressorti abasourdi, incompris et vexé.
J’ai passé ma 2ème expertise avec le Docteur Girard, ce dernier m’a posé des questions précises, il était très attentionné, courtois, il a tenu compte de mon handicap et m’a laissé m’exprimer à mon rythme sans me mettre la pression ni me couper la parole, il était à mon écoute. L’expertise a duré à peu près 2h 30 mn, je suis ressorti détendu, compris et admiratif devant tant de sérieux et de professionnalisme ; enfin quelqu’un qui faisait un vrai travail.
Fait à P***, le 8 janvier 2006
Jean-Pierre F."
Ayant passé sa vie professionnelle à vendre des textiles, Jean-Pierre F. s’était, dès réception de ma demande, tourné vers son avocat pour lui faire part de son angoisse quant à son incapacité de rédiger. Pourtant, en dépit du malheureux défaut d’élocution (dysarthrie) qui, comme il le souligne, ralentit péniblement son expression, il n’a manifestement pas la langue dans sa poche…
Comme Mme E., Jean-Pierre F. s’applique à justifier sa colère dans des évaluations objectives : la seconde expertise « a duré à peu près 2h 30 min ». Peu coutumier, comme il l’a confessé, de l’expression écrite, il entre sans précaution oratoire dans le vif du sujet selon une rhétorique d’opposition simple, mais terriblement efficace. La première expertise – « un vrai interrogatoire, une pression (…) » – comme repoussoir de la seconde : « il a tenu compte de mon handicap et m’a laissé m’exprimer à mon rythme » – « sans me mettre la pression » justement…
La première expertise à laquelle M. F fait allusion s’inscrivait dans le cadre d’une action civile. Précisément le type de situation qui porte à son sommet l’inégalité des armes entre, d’une part, un laboratoire pharmaceutique qui peut honorer sans compter le nombre d’avocats et d’experts privés qu’il veut, multiplier les incidents de procédure, allonger par des dires multipliés les opérations d’expertise dont le coût est normalement à la charge du demandeur et, d’autre part, une victime, généralement en situation de grande détresse physique, psychique et financière (M. F précise dans son attestation qu’il se trouve « en invalidité 2e catégorie ») et où, par conséquent, il revient - il devrait revenir - aux experts missionnés par le Tribunal de veiller avec un soin obsessionnel à ne pas aggraver, par leurs manquements, leurs maladresses ou partis pris ce déséquilibre immensément tragique [1]. Or, directement mis en cause une fois encore (comme dans 67% des attestations examinées jusqu’à présent), le Prof. Z ne s’est-il pas trouvé accusé par Mme E d’avoir « déjà une opinion sur le sujet » – avant les opérations d’expertise et alors même que comme je l’ai souligné à l’occasion des deux premières attestations, il saute aux yeux du professionnel qu’il n’a aucune des compétences requises en pareille espèce ? Après tout, dans les centaines d’expertises dont j’ai été informé d’une façon ou d’une autre sur la vaccination contre l’hépatite B, je n’ai encore jamais entendu que l’un des deux fabricants fût ressorti « abasourdi, incompris, vexé »…
Il y a quelque chose de presque féminin dans le souvenir que M. F a gardé des faits : « [l’expert] était très attentionné, courtois ». Pourtant, ce grand quinquagénaire d’origine pied-noir qui s’impose chaque jour plusieurs séances de musculation pour limiter la progression de sa sclérose en plaques, qui parle avec une crudité clinique des troubles sexuels que lui cause sa maladie – alors que sa femme « est aussi belle que Brigitte Bardot » – en a manifestement vu d’autres et ne semble pas le genre d’homme à se laisser impressionner. La bouleversante sincérité avec laquelle il ose formuler l’humiliation que lui a causée sa première expertise (« abasourdi, incompris et vexé ») est crédibilisée par l’antagonisme exact du sentiment que lui a inspiré la seconde : « j’en suis ressorti détendu, compris et admiratif ».
Au fait, pourquoi tant d’admiration à l’endroit du contre-expert ? Pour rien, à dire vrai, ou presque rien :
"(…) enfin quelqu’un qui faisait un vrai travail…"
Que faisaient donc les autres ?
[1] Parallèlement, il devrait revenir aux magistrats de sanctionner les abus de procédure qui permettent à la partie la plus riche d’aggraver cette inégalité des armes : dans leur immense majorité, ils s’en gardent bien, quand ils ne s’acharnent pas à l’aggraver.
Marc Girard
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