Les "droits de l’homme" : un idéal à géométrie variable.
Aux USA, on trouve des avocats très riches qui doivent leur fortune à une implacable défense des victimes [1] : comme illustré par l’actualité, ils n’ont peur de personne et ne craignent pas de tancer sans ménagement les magistrats.
La situation est bien différente ici. Marqué par notre héritage romain, par une nostalgie monarchique [2] et par une fascination moderne pour les pires séries américaines, notre imaginaire juridique produit les défenseurs de "droits de l’homme" que nous méritons : hystériquement médiatisés et souvent pas mal fortunés eux aussi, ils sont comme par hasard presque toujours aux côtés des puissants dans les litiges impliquant des faibles - parfois prêts à tous les coups de salaud ou ne craignant même pas d’exploiter les responsabilités éminentes où les a conduits leur réputation pour faire amnistier les plus fortunés de leurs clients... Relativement au(x) victime(s), ils ont une propension pour les histoires - type Outreau - où le risque est minime de se heurter aux Grands qu’ils fréquentent si assidûment par ailleurs.
Encore récemment, on les a vus dressés sur leurs ergots vernis en l’honneur de "la présomption d’innocence" entendue dans une conception extrêmement sélective : que ne les avait-on vus faire preuve de la même énergie superbe pour défendre l’assassin présumé de la petite Laetitia - unanimement médiatisé comme coupable alors qu’il n’a encore jamais reconnu la moindre culpabilité et qui, faute de pouvoir se payer des steaks-salade à 250 dollars pièce, s’est retrouvé contraint de mettre en scène une tentative de suicide pour protester contre la qualité de la nourriture faisant l’ordinaire du détenu moyen, fût-il présumé innocent... Dans une affaire opposant pour l’instant deux paroles - dont celle de leur "ami" -, on les retrouve tout réjouis de voir entamée la crédibilité de l’adversaire la plus misérable, sans jamais s’être déclarés heurtés des sommes extravagantes mises en oeuvre pour aboutir à ce résultat - et alors même qu’il n’est nul besoin d’investigations privées onéreuses pour entretenir les plus grands doutes quant à la crédibilité morale réciproque du mis en examen [3].
Dans le procès en appel sur l’hormone de croissance, il y avait aussi une belle brochette d’avocats tout dévoués aux "droits de l’homme" - mais comme par hasard tous du côté des prévenus [4]. Ces éminents juristes ayant annoncé leur intention d’exploiter à mon encontre, comme en première instance, mon exclusion de la liste des experts judiciaires, le président (à contre-coeur, il faut le dire) finit accéder à ma demande (soutenue par un - un seul... - avocats de victimes) que la Cour entende mes explications sur cette situation : contradictoire oblige...
Le texte qui suit a été reconstitué de mémoire, mais à partir de mes notes : il est très proche de ce qui s’est dit effectivement. A la couleur de ceux qu’elle visait, j’ai su que ma présentation avait atteint sa cible...
Lorsque, au début de l’année 2005, j’ai remis mon expertise générale sur l’affaire hormone de croissance (qui critiquait sévèrement une instruction interminable et pour rien), j’avais parfaitement conscience qu’elle était accablante pour le juge qui l’avait ordonnée. J’ai donc considéré comme un élément de confirmation parmi d’autres d’apprendre, quelques semaines plus tard, que certains avocats des mis en examen avaient résolu de s’en prévaloir pour demander ma radiation de la liste des experts judiciaires : il y avait quelque ironie à voir ainsi des prévenus aussi indisposés par les critiques de l’instruction pourtant à l’origine de leur renvoi en correctionnelle [5]…
Quoi qu’il en soit et nonobstant la personnalité des demandeurs à la radiation, il en fallait plus pour m’impressionner - car je ne manquais pas d’arguments pour me défendre [6]. Or et bizarrement, je n’entendis bientôt plus parler de rien. Quelle ne fut pas ma surprise, à quelques mois de là, d’apprendre qu’en revanche, ma réinscription quinquénnale - normalement simple formalité - posait problème : elle en posait tellement que j’allais bientôt être informé d’un refus.
Ce refus allait alors fournir l’occasion d’une bien troublante observation. Compte tenu du flou des textes concernant la réinscription, j’allais me contenter d’un simple recours devant la Cour de cassation - purement privé et sans passer le moins du monde par un avocat au Conseil. Or, quelle ne fut pas derechef ma surprise de constater que, dans les conditions d’une telle confidentialité, le rejet de mon recours avait été immédiatement porté à la connaissance de tous les défenseurs de l’industrie pharmaceutique qui, notamment dans l’affaire du Distilbène, s’acharnaient en vain depuis des années à obtenir ma récusation : avec une telle efficacité d’alerte au niveau des magistrats qui avaient l’habitude de me désigner en ce type d’affaires que j’en ai été sincèrement amené à me demander si j’avais bien été le premier informé par la cour suprême...
De cette expérience, je tire deux premières remarques :
- par quel mystérieux réseau les plus acharnés à obtenir mon élimination ont-ils pu ainsi se trouver si rapidement informés d’une démarche aussi privée ?
- par quel étrange déterminisme le souhait massif et non dissimulé des demandeurs relativement à une mise à l’écart de l’expert a-t-il à ce point été exaucé, moyennant une décision ultra petita qui leur a même évité les risques d’un procès équitable ? Simple mesure administrative ne relevant d’aucun "droit" personnel, le refus de réinscription a dispensé l’Institution de m’entendre - et mes adversaires de m’affronter...
Force, cependant, m’est de constater - ils viennent de le confirmer - que les défenseurs des prévenus entendent exploiter cette simple mesure administrative pour en faire la démonstration d’une sanction : il y a quelque chose d’assez impressionnant dans cette volonté avouée des plus éminents défenseurs des "droits de l’homme" et de la "liberté d’expression" de détourner à mon détriment cette mesure qui a fait fi de mes droits les plus fondamentaux, notamment celui de défendre ma réputation [7].
L’examen des motifs qui ont conduit la Cour d’appel de Versailles à décider ma non-réinscription appelle une troisième remarque. Dans cette salle, il y a des avocats qui sont notoirement parmi les plus chers de la ville de Paris : à l’évidence, cette prétention financière est supposée signer une excellence juridique. Or, lorsque je me reporte aux motivations de la Cour d’appel de Versailles pour refuser ma réinscription, je constate qu’il y est fait grand cas d’un contexte judiciaire profus marqué par d’innombrables demandes de récusation me visant et qui ont conduit la Cour de cassation à se ridiculiser, puisque dans des situations exactement superposables, voire jugées "connexes", la Cour n’a pas craint de proférer que tout en n’étant ni "tiers", ni "partie", l’expert pouvait néanmoins être condamné aux dépens dans une procédure de récusation !...
On peut donc s’interroger sur l’exploitation de telles inepties juridiques par les plus éminents - et les plus coûteux - juristes de la place, au motif même pas dissimulé de traîner un homme dans la boue.
Je vous le dis, Monsieur le Président : la honte n’est pas pour moi...
[1] A. Audi, "Etats-Unis, la république des avocats", Le Monde Diplomatique, sept.2010.
[2] Cette nostalgie s’enracinant surtout dans le fantasme du clientélisme que génère forcément le gouvernement d’un seul. Tirant leur réputation "démocratique" usurpée de leur propension à descendre dans la rue et - parfois - à couper des têtes, les Français ne conçoivent leur participation aux affaires publiques que comme source de pouvoir ou de privilège. Le dévoiement actuel du politique en est l’illustration la plus frappante, mais sur ce point - comme sur celui des conflits d’intérêts - chacun peut balayer devant sa porte : qui, faisant état de ses liens d’amitié avec un fonctionnaire de la police ou de l’administration fiscale, ne s’est pas attiré un clin d’oeil entendu assorti d’un "ça peut toujours servir" ?
[3] E. Decouty, Un fiasco français - Histoire secrète du pôle financier, Paris, Denoël, 2006, chap. 7. Cf. aussi "Les conseils en or de DSK", L’Express, 16/12/1999.
[4] Dont aucun, apparemment, n’émargeait à l’aide juridictionnelle, même si le vent du scandale est parfois passé sur le financement de leur défense.
[5] Lors des plaidoiries, sans susciter le moindre démenti ou la moindre indignation des parties civiles, un avocat des prévenus s’est apparemment vanté d’avoir coopéré avec le juge d’instruction pour obtenir la "radiation" de "l’expert fou".
[6] Depuis lors, la relaxe - confirmée en appel - a achevé de valider, et jusqu’à la caricature, mes critiques d’une instruction à décharge.
[7] Rappelons que, parmi les motifs invoqués par la Cour d’appel de Versailles pour justifier son refus de réinscription, il y avait des décisions des plus éminentes juridictions françaises me reprochant explicitement d’avoir émis des doutes sur la crédibilité des "preuves épidémiologiques" justifiant une vaccination "universelle" contre l’hépatite B, ainsi que sur la qualité de l’information distillée aux victimes. Outre que ces reproches sont objectivement validés tant par le communiqué du Secrétariat d’Etat à la santé daté du 01/10/98 que par un arrêt de cassation de juillet 2009, il y a quelque chose d’étrange, notamment à la lumière de l’affaire Médiator, à voir un expert tancé par des magistrats pour son "manque d’objectivité" au seul motif qu’il aurait émis des doutes sur la crédibilité d’investigations menées par l’industrie pharmaceutique. Aux dernières nouvelles, aucune commission d’enquête ni aucun "lanceur d’alerte" ne se sont encore saisis d’un tel scandale.
Marc Girard
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