La "chasse" aux conflits d’intérêts.
Ils nous l’avaient promis, la presse "indépendante" (pléonasme) les avait relayés : Plus jamais ça !
On allait voir ce qu’on allait voir : "Bertrand chasse les conflits d’intérêts" (Europe 1.fr, 25/01/11), "Bertrand anticipe" (L’Union, 27/01/11), "Aucun conseiller de Bertrand et Berra en situation de conflit d’intérêts" (AFP, 24/01/11), "Xavier Bertrand annonce une réforme de la pharmacovigilance" (Le Monde, 17/01/11). J’en passe et des meilleures.
Tout cela, on le sait, pour épargner aux populations un "troisième" scandale pharmaceutique [1].
Certes, les mauvais esprits pouvaient se demander si, en matière de conflits d’intérêts, le ministre et sa secrétaire d’Etat ne seraient pas mieux inspirés de commencer par balayer devant leur propre porte, compte tenu de tout ce qu’on croit savoir sur l’un comme sur l’autre [2].
Certes encore, les mauvaises langues pouvaient ironiser sur la blancheur Persil des conseillers de choc appelés en renfort par le ministre pour faire la révolution, pas nécessairement réputés pour s’être toujours pliés aux rigueurs de l’evidence-based medicine, ni pour avoir géré implacablement leurs relations avec le monde du business : les tentations sont grandes quand on est chef de Service à l’hôpital, grandes également quand on est parlementaire - et il peut y avoir synergie quand on est les deux...
Certes enfin, les plus excités pouvaient mettre en doute la volonté affichée des responsables relativement aux nécessaires réformes du monde pharmaceutique, en remarquant que si ces derniers n’avaient pu qu’humilier la démocratie à propos d’une exigence aussi élémentairement politique que la constitution européenne, on voyait mal comment les mêmes pourraient résister aux diktats des "experts" européens sur des questions aussi éminemment technico-scientifiques que le développement ou la surveillance des médicaments.
Plus documentablement, les bons experts (suivez mon regard) pouvaient s’interroger sur la crédibilité de toutes ces promesses, attendu que tant sur les conflits d’intérêts que sur la pharmacovigilance, des réglementations parfois fort contraignantes existaient depuis des décennies : avant de tout reprendre à zéro, il eût peut-être été mieux inspiré de commencer par se demander pourquoi les lois et réglementations en vigueur avaient été aussi régulièrement mises en échec. Ce pourrait être le rôle des commissions d’enquête parlementaires, mais en l’espèce, on croit comprendre que les nouvelles réglementations seront prêtes bien avant - effet d’annonce oblige. Ce pourrait être aussi le rôle du Parquet, mais en l’espèce, on a bien entendu qu’il avait d’autres chats à fouetter - pardon : d’autres ambulances sur quoi tirer...
De toute façon, cette phase de soupçon quant à la bonne foi des autorités vient de s’achever avec la nomination du nouveau directeur de l’AFSSAPS. S’il faut en croire Les Echos (08/02/11)," Dominique Maraninchi va diriger l’agence du médicament. Né en 1949, Dominique Maraninchi est professeur de cancérologie à la faculté de médecine de Marseille. Il préside l’INCa [Institut National du Cancer] depuis 2006 et présente le grand avantage, dans le contexte actuel, de ne pas avoir de liens financiers avec l’industrie pharmaceutique."
On croit rêver...
Si l’heureux élu présente ce "grand avantage", il faut considérer du même coup qu’il présente le "grand inconvénient" de ne pas avoir de liens avec l’institut qu’il était réputé présider… Car il suffit de se reporter au site de l’Institut National du Cancer (INCa) pour constater que l’industrie pharmaceutique participe bel et bien à son budget.
Quant aux conflits d’intérêts non financiers, les pages du même site consacrées au dépistage du cancer du sein (« 14 freins, 14 arguments ») illustrent cet autre type de liens que l’on peut qualifier « d’affiliation » ou « idéologiques ».
Certes, on pourrait objecter que la participation financière avouée de l’industrie pharmaceutique ne dépasse pas 4% du budget de l’INCa : mais cela ne dit rien quant à la place stratégique dudit financement relativement aux projets sur lesquels l’Institut assoit son prestige. De plus, on a vu récemment les médias s’acharner sur des participations financières encore plus anecdotiques : lorsqu’un ministre se voit tancé pour avoir accepté une demi-heure de voyage dans un jet privé, personne ne croit sérieusement que l’économie ainsi réalisée (relativement à une ligne commerciale "normale") compte pour plus de 4% de son budget [3].
La presse économique atteste qu’à côté des vaccins, la cancérologie est actuellement le deuxième secteur le plus lucratif de l’industrie pharmaceutique, alors même qu’il existe des doutes importants sur l’intérêt des nouveaux anticancéreux vendus hors de prix relativement aux anciens - pourtant mieux éprouvés et bien moins chers [4]-, pour ne point parler de ces "innovations thérapeutiques" montées en épingle par la plupart des cancérologues bien qu’elles semblent surtout augmenter la mortalité des sujets traités [5]...
Lorsqu’un secteur pharmaceutique est à ce point suspect de promotion abusive (pour rester poli), ce serait bien le diable - d’expérience - qu’il soit parvenu à ainsi prospérer sans la collaboration active des meilleurs-experts en cancérologie, dont on voit mal comment tous seraient exclus de l’INCa.
Abstraction faite des insinuations malveillantes qui précèdent, force est de considérer que lorsque Marimbert - issu du Conseil d’Etat et "homme respecté dans le monde des relations du travail" - avait été nommé à la direction générale de l’AFSSAPS, on s’était empressé de souligner qu’il ne connaissait "pas grand-chose à la sécurité sanitaire" (Libération, 19/02/04). Il va falloir que Bertrand nous explique comment, relativement à la problématique actuellement brûlante des liens d’intérêts, un acteur central d’un des secteurs notoirement les plus corrompus de la recherche clinique contemporaine (la cancérologie) serait a priori plus rassurant qu’un prédécesseur issu du Conseil d’Etat et radicalement étranger au monde de la santé [6]...
..."Ô fils du roi tu es méchant !
V’la l’bon vent, v’la l’joli vent,
V’la l’bon vent, ma mie m’appelle,
V’la l’bon vent, v’la l’joli vent,
V’la l’bon vent, ma mie m’attend."
[1] Il est amusant de rappeler rétrospectivement que lorsque, en 2004, Marimbert - le Directeur de l’AFSSAPS aujourd’hui débarqué - avait succédé à son prédécesseur (débarqué encore plus brutalement), la presse avait cru bon de souligner que ce limogeage survenait "après les séries de catastrophes sanitaires" qui avaient traversé le monde de la santé "depuis maintenant près de dix ans" (Libération, 19/02/04). En matière d’arithmétique, le CHU de Brest serait donc mieux inspiré d’adopter les procédures de dénombrement qui prévalent encore dans certaines peuplades primitives : "UN - DEUX - BEAUCOUP"...
[2] En se rappelant que les conflits d’intérêts ne sont pas nécessairement ou exclusivement d’ordre financier.
[3] Les invitations des professionnels de santé au restaurant et autres menus avantages, pour regrettables qu’ils soient, ne sont pas non plus d’une valeur relative exorbitante : cela ne les empêche pas d’être sévèrement dénoncés tous ces derniers temps par une presse remontée.
[4] Garattini S, Bertele V. Efficacy, safety, and cost of new anticancer drugs. BMJ 2002 ;325:269-71.
[5] Ranpura V, Hapani S, Wu S. Treatment-Related Mortality With Bevacizumab in Cancer Patients. JAMA : The Journal of the American Medical Association 2011 ;305:487-94.
[6] Je n’ai aucune opinion personnelle quant aux vertus ou à l’éthique du nouveau directeur général de l’AFSSAPS (quoique le Web bruisse déjà de collaborations passées avec l’industrie pharmaceutique, qui semblent tout à fait constitutives de liens d’intérêts) : mais relativement aux circonstances qui viennent d’être rappelées, le moins que l’on puisse dire, en s’inspirant de la Convention Européenne des droits de l’homme, c’est que l’intéressé ne remplit pas les conditions de "l’impartialité objective"... Tel est précisément le propos du présent article.
Marc Girard
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