Vive les traditionalistes
Une fois n’est pas coutume : voici quelques semaines, j’ai assisté à une messe. Et pas n’importe laquelle : avec la participation de l’évêque du lieu en personne, d’une quarantaine de prêtres concélébrants, etc. Le motif de cette célébration était d’honorer la mémoire de l’ancien aumônier de mon lycée, que j’ai rencontré quand j’avais cinq ans, qui a eu sur moi une influence morale considérable, qui est parti en 1968 en mission pour une régions les plus pauvres du Brésil, qu’il a adoptée au point de s’y établir et de s’y faire enterrer après son décès survenu en décembre 2021. Des circonstances aussi exceptionnelles que ce prêtre justifient le retard de cette cérémonie : la PANdémie…
J’aurais pu me méfier : la cathédrale du XII e siècle (où j’ai été baptisé le 17/01/55 – on ne perdait pas de temps à l’époque (j’avais deux jours)…) est un lieu assez impressionnant pour célébrer un saint moderne. L’évêque en a décidé autrement et a fixé le lieu de la messe dans la « Maison Diocésaine », endroit hideux comme seuls peuvent en inventer les curés aujourd’hui.
Arrivé un peu en avance (vieille pratique de discrétion : on n’interrompt pas un office en cours), j’ai pu entendre un des curés répéter les chants, aussi hideux que la « Maison Diocésaine » : du temps de mon aumônier, du moins la musique était-elle rythmée par l’orgue et les partitions de Bach… Mais les ersatz choisis en complicité avec l’évêque étaient caractérisés par des paroles franchement débiles, une musique qui ne valait pas mieux, un maître de chœur qui chantait faux – et, hélas, fort – et une propension à répéter les mêmes paroles débiles ad libitum sans la moindre honte décelable.
Parmi les prêtres concélébrants, il y avait un autre aumônier du lieu que je connaissais fort bien également, mais dont je savais qu’il était atteint d’une démence sénile avancée (au point de l’enfermer dans un EHPAD du voisinage pour contrôler ses déambulations). À mon immense surprise, je vis les autres prêtres l’aider à revêtir son aube de célébrant. Pis : ils le conduisirent à l’autel pour diriger la célébration. Il proféra alors les paroles rituelles auxquelles, je l’ai dit, il ne comprenait forcément rien (avant la messe, j’avais été invité à aller le saluer en me présentant, et avais pu constater qu’il ne se souvenait de rien ni de personne).
Et là, le souvenir m’est revenu du basculement après Vatican II, quand – au grand dam pas forcément immotivé des intégristes – on s’est mis à dire la messe en français, justement parce qu’avant, les paroissiens étaient supposés ne rien comprendre au « latin de messe » (qui se trouve d’ailleurs avoir été un latin parfaitement classique au début de notre premier millénaire).
Quoique ne disposant pas d’une culture musicale démesurée, j’ai entendu pas mal de spécimens de musique religieuse : aucun ne m’a laissé cette impression que les chanteurs ne comprenaient pas qu’ils étaient en train d’interpréter quelque chose de sacré. C’est donc un constat particulièrement préoccupant que les catholiques contemporains soient les seuls à se satisfaire d’une musique dont ils ne perçoivent pas le caractère sacré. Les seuls à ne pas avoir le sens du sacré.
Comment notre monde a cessé d’être chrétien1 ? Tout simplement parce que les catholiques modernes n’ont plus le sens du sacré – càd, pour dire les choses simplement, le sens de l’inconnaissable agissant.