Au sortir de mon récent exposé à Tenon, une auditrice responsable d’un site consacré aux problèmes de santé m’a demandé s’il me serait possible de rédiger un article plus simple, à la portée du “grand public”.
Au lieu de me vexer, j’ai écrit le document qui suit – dont j’espère qu’il sera utile au plus grand nombre.
Table des matières
Une guerre de religion
C’est un peu comme la poule et l’œuf – on ne sait pas qui a commencé : des anti-vaccinalistes existent depuis que les vaccins existent, et réciproquement… Si, par leur violence et, souvent, par leur simplisme, les arguments échangés entre les deux camps ont plus l’allure d’une guerre de religion que d’un débat scientifique, il n’est pas facile d’écrire l’histoire de cette guerre. Clamant – évidemment sans la moindre preuve sérieuse – qu’aucune intervention médicale « n’a eu autant d’impact sur la réduction de la mortalité et la croissance de la population » (Avis du Haut Conseil de santé publique, mars 2014), les pro-vaccins aiment à présenter leurs adversaires comme scientifiquement rétrogrades et franchement sectaires ; réciproquement, les anti-vaccinalistes se plaisent à brouiller les cartes en se définissant parfois comme principalement concernés par les « libertés » (alors que leurs critiques dépassent largement les seuls vaccins obligatoires), tout en promouvant avec foi et ardeur des médecines « alternatives » ou « parallèles » dont le rapport avec l’immunisation ne va pas toujours de soi.
L’impact de la grippe H1N1
Pour traditionnel que soit ce conflit, ses lignes allaient significativement bouger en 2009, lors de la fausse alerte autour de la pseudo-pandémie H1N1. L’incompétence des autorités sanitaires, la grossièreté de leur alarmisme, le ridicule de leurs incohérences et, bientôt, le démenti des faits allaient conduire nombre de personnes – incluant des professionnels de santé naturellement peu portés sur la contestation – à s’interroger pour la première fois sur les enjeux cachés des campagnes vaccinales ; inversement, tout à leur opposition réflexe concernant les vaccinations en général, les antis allaient pour l’essentiel passer à côté des problèmes pourtant fort inquiétants qui concernaient cette vaccination en particulier, et il serait facile de documenter qu’ils n’ont joué aucun rôle significatif dans le rejet massif de la population à l’endroit d’une promotion dont des enquêtes ultérieures (notamment celle menée par le British Medical Journal) allaient montrer qu’elle avait été manigancée de toutes pièces par les fabricants, avec la complicité intéressée de l’Organisation Mondiale de la santé. Pour la première fois, les gens avaient clairement compris qu’au-delà des articles de foi pour ou contre « LA » vaccination, chaque vaccin était un médicament parmi d’autres, justiciable à ce titre de l’analyse rationnelle normalement requise pour un tel produit : quel bénéfice attendu, quels risques envisageables, quelles preuves d’efficacité, quelles garanties de bonne tolérance, quel coût ? En éclairant le débat public par les contraintes de ce qu’on appelle classiquement « le technico-réglementaire pharmaceutique » (essais cliniques, modalités d’autorisation de mise sur la marché, de fixation du prix et de décision de remboursement, surveillance après commercialisation, promotion commerciale, indemnisation en cas d’accident…), on était sorti du religieux : pour la première fois… Mais en posant que les problèmes de l’espèce relevaient d’une grille d’analyse précise et spécialisée, on avait aussi fait apparaître le risque lié aux potentiels conflits d’intérêts des experts en charge de l’appliquer : pour la première fois aussi, on allait découvrir sans la moindre ambiguïté que les conseils de l’administration sanitaire qui avaient recommandé la vaccination contre le H1N1 comme une urgence de santé publique étaient tous liés financièrement aux fabricants de cette vaccination…
La prévention au service des lobbies
Si, faute d’une culture médico-pharmaceutique suffisante pour apercevoir les véritables enjeux du débat, les anti-vaccinalistes – avec leur argumentaire traditionnel – n’ont joué, on l’a dit, aucun rôle significatif dans le rejet massif d’une propagande vaccinale justement sans précédent, il avait fallu, pour contrer efficacement la collusion des marchands et des gouvernements, un minimum de conscientisation relative aux graves dérives d’une industrie pharmaceutique soudain débarrassée de tout souci authentiquement sanitaire et passée, via des fusions récentes et gigantesques, sous la coupe des lobbies financiers les plus impitoyables. Car le premier constat des escrocs désormais aux commandes avait été d’une aveuglante simplicité : pourquoi limiter le marché pharmaceutique aux malades, alors qu’à l’évidence, il y avait bien plus de bien-portants ? Mais aussi, et par voie de conséquence : comment ouvrir le marché des médicaments à des gens qui n’en avaient nul besoin ? Élémentaire, mon cher Watson : il suffit de leur promettre une prévention. Ce n’était pas vraiment l’argumentaire du Dr Knock (« Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent »), mais quelque chose d’un peu plus contourné : attendu que, par la faute du Bon Dieu (ou d’Adam et Ève, c’est selon), vous allez tous mourir un jour et, le plus généralement, tomber malades pour ce faire, nous avons les moyens de prévenir la maladie. Or, quelle « prévention » plus naturelle que celle promise par « LA » vaccination – surtout quand elle était posée comme article de foi ? On en revient au religieux : c’est normal, puisqu’on parlait du Bon Dieu…
Un précédent magistral
On peut dater de 1988 cette redirection de la pharmacie vers les vaccins considérés comme le mode opératoire idéal d’une prévention visant à élargir aux bien-portants un marché jusqu’alors limité aux seuls malades. Selon un responsable travaillant à la promotion du vaccin contre l’hépatite B :
« Dès 1988, nous avons commencé à sensibiliser les experts européens de l’OMS à la question de l’hépatite B. De 1988 à 1991, nous avons financé des études épidémiologiques pour créer un consensus scientifique sur le fait que cette hépatite était un problème majeur de santé publique. (…) En France, nous avons eu la chance de tomber sur Philippe Douste-Blazy, un ministre de la Santé dynamique. Nous sommes allés le voir et il a compris du premier coup qu’il y avait un problème de santé publique. (…) En 1994, en France, nous avons décroché le marché de la vaccination en milieu scolaire. Quand un enfant se fait vacciner en sixième, sa mère pense à faire vacciner ses autres enfants par son médecin traitant et puis se dit pourquoi pas moi et mon mari ? » (Sciences et Avenir, janv. 1997, p. 27).
Il y a l’essentiel de l’histoire dans cet aveu d’une sidérante ingénuité : les études trafiquées (on savait d’avance qu’elles devaient accréditer que cette maladie « était un problème majeur de santé publique » – ce qui était évidemment faux dans les pays comme le nôtre), la collusion obtuse de l’OMS, le recrutement de politiques incompétents, l’instrumentalisation de l’enfance pour manipuler les parents (vieux truc connu des tous les publicitaires). Il suffit d’avoir vécu l’époque pour reconstituer la suite : des chiffres grossièrement trafiqués par les autorités et encore amplifiés au-delà du raisonnable par une presse irresponsable, des experts corrompus, des médecins mettant leur traditionnelle servilité au service d’une propagande scientifiquement indigente, l’école laïque investie par les marchands via une médecine scolaire fanatisée et des manuels de SVT trafiqués, la justice se complaisant dans une impuissance téléguidée, des associations de victimes noyautées par des prédateurs du malheur collectif…
Quid du rapport bénéfice/risque ?
Hormis le coup de génie commercial consistant à avoir organisé l’indisponibilité des vaccins obligatoires pour forcer les gens à exposer leurs enfants à des vaccins non obligatoires et nettement plus chers, le mode opératoire des financiers n’a pas beaucoup varié depuis : en 2009, on a vu des gamines la goutte au nez transportées par le SAMU, sirènes hurlantes et sous protection de la police… Quelques années auparavant et sous prétexte de grippe cette fois « aviaire » dont personne ici n’a jamais vu la couleur, cette même police en était à surveiller les plans d’eau par hélicoptère…
Déjà évidemment catastrophique pour les finances publiques, cette promotion vaccinale hystérique pose au moins deux graves problèmes de santé publique.
- Le premier, c’est que par rapport aux médicaments classiques, les vaccins sont d’une extrême complexité : ils sont supposés exercer leurs effets durant des années, voire des décennies (et pas sur la seule durée de traitement), ils sont associés à des adjuvants qui sont eux-mêmes dotés de propriétés pharmacologiques non négligeables, etc. En même temps et comme illustré par la précipitation avec laquelle les vaccins anti-H1N1 ont pu être mis sur le marché en 2009, leurs évaluations cliniques avant commercialisation sont extrêmement sommaires, tandis qu’en pratique courante (c’est une expérience à la portée de tout un chacun), les professionnels de santé se montrent d’une indifférence qui confine au refus agressif à l’endroit des effets indésirables potentiellement imputables aux vaccins. De telle sorte que pour résumer la situation par une image, on peut dire que relativement aux médicaments classiques, les vaccins sont, par leur complexité, comme des Formules 1 par comparaison avec des véhicules de tourisme, alors qu’il suffit d’un permis simplifié (le processus de développement, d’autorisation ou de pharmacovigilance) pour avoir le droit de les piloter…
- Le second problème, c’est qu’en dramatisant des complications infectieuses exceptionnelles pour justifier un élargissement constant des vaccinations, les autorités promeuvent un bénéfice individuel de plus en plus infime : qui a vu une grippe, une hépatite B ou une rougeole mortelle chez un enfant ? Or, tandis que le bénéfice attendu tend ainsi vers l’infimité, le risque, lui, ne rétrécit pas en proportion, au contraire : il suffit de se reporter aux documents réglementaires disponibles pour constater que les essais de sécurité d’un vaccin ne savent pas identifier les effets indésirables survenant chez moins de 1 à 2% des patients exposés. À raison d’environ 800 000 naissances par an en France, vacciner toute une classe d’âge – selon les recommandations en vigueur – laisse ainsi une zone d’ombre concernant potentiellement 8 000 à 16 000 personnes chaque année (et pour chaque vaccination administrée) : qui croit sérieusement que les hépatites B graves (ou les rougeoles, ou le cancer du col) concernent un tel effectif annuel ?
Ainsi, à mesure qu’on élargit la cible des vaccinations sans autre objectif que la maximisation des profits, on expose les populations (et surtout celles des enfants) à un risque iatrogène sans commune mesure avec le bénéfice prévisible, lequel ne peut être au mieux qu’exceptionnel – en supposant, de plus, que les vaccins en question soient efficaces, ce qui est loin d’être toujours le cas.