Dans la Culture du narcissisme, n’importe quelle promesse de survie ou de moindre morbidité suffit à déclencher l’enthousiasme des foules : ce serait une tâche herculéenne de rectifier la désinformation alimentée par les médias dès qu’il s’agit d’offres médico-pharmaceutiques1. Cela n’empêche pas de s’appliquer à de telles rectifications au moins de temps en temps, surtout à l’heure actuelle où tout se passe comme si les responsables politiques et sanitaires s’attachaient à détourner l’attention des vraies menaces que, cette fois, ils font peser sur la santé des citoyens – par exemple, celles liées aux nouvelles obligations vaccinales auxquelles vont forcément s’ajouter bien d’autres obligations (vaccinales et non-vaccinales: dépistages incongrus tels que la mammographie ou les PSA, taux de cholestérol, échographies et autres tests obstétricaux…) avec leur immanquable cortège d’effets iatrogéniques parfois sévères, voire tragiquement invalidants. Je ne parle pas des herbicides ou pesticides (dans l’ordre des risques sanitaires parfaitement évitables moyennant un minimum d’intégrité politique…).
Sans aucune prétention à l’exhaustivité, les rectifications de ce jour concerneront deux thématiques dont on nous a abreuvé ces jours derniers : i) les perturbateurs endocriniens « affecteraient le comportement des petits garçons » (Le Figaro, 02/10/17) – et pas des filles, curieusement ; ii) « La majorité des nouveaux médicaments contre le cancer n’apporte que des bénéfices mineurs par rapport à ce qui est déjà prescrit » (Le Figaro, 06/10/17).
Table des matières
Perturbateurs endocriniens et troubles du comportement
Les titres de la presse
Du 29/09/17 au 03/10/17 et sans le moindre effort de recherche documentaire ciblée, je retrouve sur Google Actualités pas moins de 34 titres (soit une moyenne de sept par jour…) faisant état d’un risque de trouble comportemental lié à une exposition à des perturbateurs endocriniens lors de la grossesse. Une minorité de ces titres s’en tient à une forme conditionnelle ou interrogative (« Un lien inquiétant avec les troubles du comportement ? », Québec Science, 29/09/17), mais la plupart sont indistinctement affirmatifs, voire carrément alarmistes. Ainsi, et à en croire Le Monde du 30/09/17 dont les intransigeants « décodeurs » devaient cuver leur récente surcharge de travail au service de la propagande néo-capitaliste, « Les phtalates interfèrent sur le comportement des petits garçons » – carrément –, tandis que les titres que leurs promoteurs visent à imposer sur la Toile comme référence médicale ou sanitaire n’ont pas l’ombre d’un doute cartésien ou simplement méthodologique : « Le bébé à risque même à faible dose » (Pourquoi docteur ?, 29/09/17), « Grossesse : un lien entre perturbateurs endocriniens et troubles du comportement » (Santé Magazine, 30/09/17), etc.
À y regarder de plus près et dans le contexte d’une telle alerte médiatique, les moins affirmatifs des titres sont loin de diluer cet océan d’assertivité irresponsable dans une goutte de réflexivité bienvenue, car ils miment un prérequis de scepticisme sourcilleux qui, au lieu de semer le doute dans le public relativement à des résultats expérimentaux plus que problématiques (cf. ci-après), en impose au contraire pour un surcroît de crédibilité scientifique – tant il est avéré dans l’imaginaire du bon peuple que le Chercheur est forcément « ouvert au doute ». Il suffit de se reporter, sur Europe 1, au Vrai-faux de l’info daté du 04/10/17 où, après avoir posé que « cette étude ne prouve rien scientifiquement » (on aimerait connaître les critères alternatifs de la preuve « non scientifique »), la journaliste mandatée par l’inénarrable Patrick Cohen2 s’empresse d’ajouter que l’investigation en question « met en lumière des signaux d’alertes faibles, mais intéressants, qu’il sera [notez l’usage du futur…] indispensable d’approfondir », avant d’affirmer que ce que les auteurs « mettent en évidence, c’est un léger sur-risque », sans nous dire, toutefois, quel genre « d’évidence » peut émerger d’une étude qui « ne prouve rien ». Le mot de la fin aurait pu être que « on ne sait pas précisément ce dont on parle » – ce qui est le moins que l’on puisse dire en l’espèce – mais, après avoir posé que l’étude en question « est une base pour de futures recherches » (sans nous expliquer comment un « rien » en matière de preuve peut fournir la base de quoi que ce soit), la même journaliste embraye de nouveau sur « les recherches en cours » en évoquant d’emblée « les politiques publiques » qui en découleront [au futur…] nonobstant des « groupes d’intérêt » qu’elle se garde bien de caractériser et en boycottant complètement la question – centrale en période de restriction budgétaire – du financement (à partir de quel seuil une étude qui « ne prouve rien » légitime-t-elle une allocation de ressources pour de « futures recherches » ?). Pour résumer, il est urgent d’attendre pour savoir « précisément ce dont on parle » (quoiqu’on puisse se demander si on le saura un jour compte tenu de la propension dûment éprouvée des médias à stopper d’un jour à l’autre leur couverture même d’une catastrophe terrible, voire d’une guerre atroce…).
En titrant sans rire « Une étude prouve les dangers réels sur les petits garçons », Doctissimo (29/09/17) fait aussi nul, mais en plus ramassé encore : c’est de nouveau moi qui souligne, car on n’ose imaginer ce que serait « prouver » des dangers imaginaires – et l’on ne sait même plus, cette fois, s’il s’agit de preuve « scientifique » ou non-scientifique…
Cette nullité de la couverture médiatique autour d’une alerte sanitaire présentée comme éminemment digne d’intérêt illustre la néantise de l’information médico-scientifique telle que propagée par les médias, où l’on reconnaît pêle-mêle quelques stigmates d’une consternante inculture (nonobstant la « hausse de niveau » célébrée par Philippe Meirieu et ses amis d’EELV 3…) : méconnaissance de la notion de démonstration et de preuve (le tourment désormais permanent des enseignants de mathématiques), ignorance des concepts basiques de la statistique (significativité statistique/ clinique), incapacité de conceptualiser la séparation pourtant fondamentale entre l’évaluation et la décision (marasme conceptuel où s’enracine la dépolitisation contemporaine fondée sur l’autorité présumée des « experts »4), indifférence irresponsable relativement aux limites de l’allocation de ressources5…
Pareil constat de nullité s’aggrave de deux circonstances.
- S’il est établi que même les titres les plus éminents n’ont désormais aucun scrupule à confier leurs informations spécialisées à des « déconneurs » qui ne connaissent rien à rien (et qui sont, notamment, dépourvus de toute formation médicale), il reste qu’un certain nombre des âneries sus-citées ont été rédigées par des professionnels de santé – dont il est évident, par conséquent, qu’ils n’ont aucune maîtrise des concepts nécessaires à l’appréhension des vrais problèmes sanitaires.
- Dans la médecine qui prévalait encore voici quelques décennies à peine, où les professionnels s’attachaient au soin des personnes malades, il n’était pas besoin d’une grande culture statistique pour constater que l’utilisation de certains médicaments bouleversait le pronostic de pathologies systématiquement mortelles jusqu’alors (méningite tuberculeuse) ; il n’en va pas de même aujourd’hui où les médecins, prédisposés à se représenter en héros d’une prévention de complications qu’ils ne verront jamais (hépatite B grave, encéphalopathie rougeoleuse) n’ont plus aucun retour d’expérience6 alors qu’ils sont de plus en plus à la peine pour poser des diagnostics simples de rougeole, d’appendicite ou de méningite – conditionnés qu’ils se trouvent dès lors à occulter les conséquences d’une incompétence programmée derrière une prétendue reviviscence d’agents infectieux parfaitement banals.
Analyse de l’article princeps
L’article (en anglais) qui a déclenché cette flambée médiatique étant en accès libre, il est facile de se le procurer pour en faire la critique.
Critères d’évaluation
Sans entrer dans un détail exorbitant concernant, par exemple, la sélection des sujets (qui s’est clairement faite à la bonne franquette : acceptation/refus des mères sollicitées), on ne manque pas d’être frappé par le constat que le critère crucial de l’étude – le comportement des enfants – s’est trouvé validé sur la base d’un simple questionnaire rempli par les mères7. Il suffit de jeter un œil sur le questionnaire en question pour apprécier le sérieux de l’entreprise, les mères étant supposées répondre « pas vrai/ un peu vrai/ très vrai » à des questions aussi standardisées et objectives que :
- « Attentif aux autres, tient compte de ce qu’ils ressentent » (sans que le questionnaire indique la moindre méthode pour évaluer justement « ce que les autres ressentent » : quel parent ne s’est jamais retenu pour dissimuler à son gamin le « ressenti » consistant à avoir une envie grave de le foutre par la fenêtre quand il a hurlé sans discontinuer trois nuits durant ?) ;
- « Fait souvent des crises de colère ou s’emporte facilement » (d’expérience, on croit savoir que la notion de « souvent » ou de « facilement » varie énormément selon l’évaluateur)8 ;
- « Ment ou triche souvent » (ma belle-mère dit souvent que c’est juste un fils de pute) ;
- « Généralement aimé(e) des autres enfants » (la mère assez intuitive pour répondre sans ciller à une question aussi nuancée a toutes les qualités pour ouvrir une agence matrimoniale) ;
- « A de nombreuses peurs, facilement effrayé » (l’analyse statistique, apparemment, n’a pas prévu de stratification selon que le parent dispose ou non d’un martinet à la maison et, plus encore, qu’il s’en sert 9) ;
- « Réfléchit avant d’agir » (le docteur dit qu’il est surdoué…) ;
- « En général obéissant » (sans que les mères aient été soumises à un training préalable pour homogénéiser leur perception de « l’obéissance » ; avec certains parents, il n’y a pas besoin qu’un enfant soit un génie du mal pour alimenter leurs doléances sur sa « désobéissance »…) ;
- « Vole à la maison, à l’école ou ailleurs » (c’est pas le fils de son père pour rien).
Il y en a plein d’autres de la même eau, mais mon lecteur risque – lui aussi – de « se tortiller constamment » et de ne pas « maintenir bien son attention » si je continue sur la lancée. Outre l’évidente stupidité dudit questionnaire, c’est une question d’élémentaire observation que la façon dont un parent juge « l’agitation » ou « l’hyperactivité » d’un gamin dépend grandement et du parent en question, et des circonstances : on n’a pas la même tolérance à l’agitation des mômes selon qu’on se prélasse à la plage sans rien faire ou bien que l’on rentre à la maison après être resté(e) en rade sur les voies pendant trois heures suite à une panne de train, au terme d’une journée où on s’est engueulé(e) avec son patron… Trente-quatre titres de la presse en cinq jours pour faire tout un cake autour d’investigations aussi ineptes !10
Analyse statistique
L’analyse statistique comporte près de 400 tests au total, dont on s’attend donc à ce qu’ils conduisent mécaniquement à une signification statistique, dépourvue de toute signification clinique, pour environ 20 d’entre eux (au seuil retenu de 5%) : sauf erreur de pointage, on en trouve exactement 17, c’est-à-dire, à trois poils, le créneau attendu de résultats « anormaux » si tout est normal.
Quant à la signification même simplement statistique, on sait que concernant les risques relatifs, elle peut se lire selon que la valeur 1 est contenue ou non dans l’intervalle de confiance. Il s’avère que dans l’étude en question, il faut le plus souvent aller jusqu’à la deuxième décimale (1,00-1,12 ou 1,01-1,13) pour exclure cette valeur de l’unité – les auteurs, tout en admettant vaguement que la reproductibilité des dosages urinaires était faible, restant muets sur la question pourtant cruciale de savoir si cette absence de reproductibilité de leurs dosages est compatible avec une précision aussi inconcevable (c’est l’histoire des gamins tout fiers de se chronométrer au centième de seconde près grâce à leurs montres électroniques, quand la latence de leurs réflexes pour appuyer sur le bouton est probablement très supérieure au dixième de seconde).
Retour au réel expérimental
Quoique le repérage de toutes ces anomalies soit à la portée de n’importe quelle personne dotée d’un minimum de culture en recherche clinique (voire d’élémentaire bon sens), j’ai néanmoins éprouvé le besoin – sur ces questions relevant, fondamentalement, d’une compétence en chimie et en toxicologie qui n’est pas la mienne – de consulter une collègue qui dispose, elle, de cette compétence. Provocation, sans doute, dans un contexte où, comme on l’a rappelé plus haut, des journalistes dépourvus de la moindre compétence d’espèce se sont simplement complus à amplifier une rumeur sans jamais chercher à vérifier si elle avait le moindre fondement sérieux. En fait, l’expérience des médias français atteste que l’exigence de vérification, même élémentaire, y est quasiment absente et que, même ceux qui se targuent de faire du journalisme « d’investigation » tendent le plus souvent à se tourner vers des « informateurs » soit qui n’ont aucun titre sérieux à parler du problème en question, soit dont ils savent d’avance qu’ils vont les conforter dans leurs présupposés11.
Ainsi sollicitée à propos d’une analyse relevant d’abord d’une élémentaire culture générale12, ma correspondante m’a d’abord conforté dans les objections basiques qui viennent d’être énumérées. Elle s’est interrogée, ensuite, sur les données animales suggérant que dans certaines espèces, il pourrait exister une barrière hémato-encéphalique chez le fœtus qui rendrait compte que les taux dans le cerveau de certains de ces perturbateurs soient sans commune mesure avec les taux sériques.
Plus fondamentalement, encore, ma correspondante souligne que le bisphenol est présent dans de nombreux plastiques de dispositifs médicaux, de telle sorte qu’il pourrait y avoir eu contamination des échantillons par les outils de la collecte : bref, dit-elle, « c’est un dosage très délicat surtout quand on est dans les limites de détection ». Dommage que les déconneurs du Monde et des autres médias aient oublié ce petit détail avant de claironner qu’on savait, désormais, pourquoi certains gamins sont plus insupportables que d’autres…
Et de conclure sans ambages sous forme synthétique : « Donc, on voit comment on peut faire de la M… avec de la M… et faire dire ce qu’on veut à partir de n’importe quoi » (je cite textuellement).
Bénéfices des nouveaux anticancéreux
J’ai un peu hésité à évoquer cet article (BMJ 2017;359:j4530 doi: 10.1136/bmj.j4530 : également en accès libre) qui renvoie à une problématique que Nicole Delépine a déjà largement abordée13, en l’éclairant de sa compétence en cancérologie, laquelle n’est pas la mienne non plus.
Je me contenterai, pour commencer, de quelques remarques générales.
- Pour scandaleuse qu’elle soit, la discordance entre les bénéfices prouvés des nouveaux anticancéreux et leur coût exorbitant n’est pas une information nouvelle : parmi bien d’autres, elle avait déjà fait l’objet d’une dénonciation virulente en 2002, dont l’impact se renforçait de l’autorité morale et scientifique du premier auteur14.
- Si tout professionnel de santé est supposé savoir (et faire savoir) que, dans l’immense majorité des cas, les pseudo-bénéfices des nouveaux anticancéreux se limitent tout au plus à quelques semaines de survie (dans les cas heureux où ces agents ne se contentent pas de raccourcir l’espérance de vie des malades), un minimum de familiarité avec la recherche clinique autorise même à un certain scepticisme quant à la réalité pratique ces micro-bénéfices facturés à des prix défiant toute concurrence.
- Les conditions de cet allongement de survie sont rarement explicitées : à quoi bon vivre 30 jours de plus si c’est pour que ce soit dans un Service de réanimation, moyennant d’invraisemblables thérapeutiques visant à compenser les effets indésirables du médicament miracle en question ?
- Les fabricants sont passés maîtres dans l’art de nettoyer les données grâce à des amendements protocolaires permettant de ne garder dans l’analyse que les plus valides des malades, d’exclure a posteriori ceux qui vont très mal, et d’occulter, sous prétexte de « pathologie concomitante » ou autres billevesées opportunistes, les effets indésirables même désastreux de leurs coûteuses innovations : de telle sorte qu’une fois sortis des conditions ultra-artificielles d’un essai réalisé chez quelques dizaines de patients pris en charge par quelques investigateurs d’autant moins critiques qu’ils sont excellemment payés, rien ne prouve qu’en pratique réelle, sur une population tout-venant, le nouveau médicament offre le moindre avantage – quand il ne se solde pas par un excès de toxicité.
- Globalement, savoir si les médicaments dits « innovants » le sont tant que ça est une question ancienne, qui a sans doute échappé à la plupart des « lanceurs d’alerte » bien qu’elle dépasse largement le seul domaine des anticancéreux15, et qui renvoie forcément à la crédibilité plus que problématique des évaluations opérées par les agences sanitaires nationales ou internationales 16. Juste pour rire un peu, et rafraîchir la mémoire des médias dont la fonction la plus naturelle devrait être d’entretenir la nôtre 17, rappelons que lorsqu’en septembre 1993, l’éminent professeur Poggiolini (qui présidait aux destinées du CPMP, « commission d’AMM » de l’agence européenne du médicament) est sorti de chez lui en compagnie de son épouse les menottes aux mains et entre deux carabiniers (après une perquisition ayant notamment mis au jour le fabuleux trésor rassemblé en son domicile18 en sus du non moins fabuleux montant des sommes placées sur le compte suisse de son épouse, soit 15 milliards de lires), il a suffi d’une petite journée de travail audit CPMP, sous l’énergique influence de son successeur (le non moins éminent professeur Alexandre), pour « vérifier » que les évaluations précédentes de la commission n’avaient en rien été corrompues par les liens de son ancien président : cette absolution express du CPMP européen laissant ouverte la question de savoir au nom de quoi l’intéressé a finalement été condamné à sept ans et demi de prison ferme (quatre pour son épouse) adjoints d’une amende de 5 164 569 € – après confiscation de sa fortune, cela va de soi19. Malgré sa relative ancienneté, j’ai gardé un souvenir assez vif de cette histoire et me rappelle, notamment, mon incrédulité stupéfaite devant l’empressement quasi unanime du milieu à agréer une absolution de l’administration européenne aussi invraisemblable dans ses modalités que dans ses conclusions : il fallait admettre, en effet, que les leaders de Big Pharma avaient été assez cons pour couvrir d’or et de bijoux le numéro un de l’évaluation européenne sans que celui-ci ne leur accorde le moindre avantage en retour…
Cela dit (à la portée de tout professionnel compétent), si je tenais à revenir sur cette actualité, c’est aussi pour réfuter l’objection (que l’on ne m’a encore jamais faite, mais ça peut venir) que ce secteur anticancéreux, par sa lucrativité indécente, contredirait ma thèse que la médecine contemporaine aurait basculé du curatif au préventif et que, en conséquence et au contraire de ce que je clame depuis un certain temps, les vaccins ne seraient pas forcément le mode opératoire préférentiel de la criminalité médico-pharmaceutique contemporaine. En effet, pourraient soutenir les opposants à ma thèse : i) alors qu’à l’évidence, ils font l’objet d’un fort lobbying inspiré par les fabricants, les anticancéreux ne sont pas des agents à visée préventive ; ii) pourquoi Big Pharma se déchaînerait-il sur les vaccins alors qu’il a déjà les anticancéreux pour se remplir les poches ?
Sur la seconde question (qu’est-ce qui rapporte le plus ?), j’avoue que je n’ai pas la compétence pharmaco-économique pour comparer, même approximativement, la rentabilité des anticancéreux et celle des vaccins (et je remercie d’avance le ou les lecteurs qui voudraient bien me communiquer les données permettant de se faire une idée). Cependant, la question n’est pas l’état actuel de la fortune pharmaceutique, mais ses perspectives d’évolution20: je maintiens que le nouvel élargissement des obligations vaccinales n’est qu’une première étape dans l’intimidation épidémiologique des populations21 et que la comparaison pertinente n’est pas tant dans la répartition actuelle des coûts que dans leur évolution trop facilement prévisible. Malgré les abus du dépistage, en effet, on ne peut pas multiplier à volonté le nombre de cancéreux ; on ne peut pas non plus multiplier à volonté le nombre de cancers potentiellement curables. La situation est exactement inverse avec les vaccins, et l’excitation évidente de Madame Buzyn à annoncer déjà de nouvelles obligations (en sus de celles décidées en juin 2017) en est l’illustration : on peut, en effet, élargir à volonté la cible des vaccinations disponibles d’une part22, et il suffit de feuilleter la presse pour voir constamment annoncés des nouveaux vaccins (ou de nouvelles présentations 23) contre tout et n’importe quoi, incluant l’acné et l’obésité.
Les considérations qui ont introduit la présente section sont donc fondamentales pour invalider la première objection. Car si, sur la base des données récentes dont la presse s’est fait l’écho (sans en mesurer la portée), il est aisé de reconstituer que les nouveaux anti-cancéreux sont plus ou moins inefficaces, voire carrément nuisibles, il devient impossible d’accréditer que la pharmacopée anticancéreuse actuelle relèverait d’une médecine curative. Pour florissant qu’il soit, le marché des anticancéreux (en y adjoignant les produits dérivés tels que le « dépistage ») ne relève pas d’une médecine curative, mais d’une propagande prédatrice visant à justifier le rançonnement des pauvres au profit des riches sous prétexte de solidarité nationale : exactement comme avec les vaccins, quoi…
Et, exactement comme avec les vaccins, le succès d’une telle propagande ne repose pas sur des faits technico-scientifiques objectifs, mais sur des fantasmes téléguidés : valorisation égocentrique de parents trop faciles à convaincre que pour se voir en bons, ils doivent « tout » faire au bénéfice de leurs chers-Petits24, illusion d’immortalité occultant, notamment, le fait qu’un cancer est quand même l’une des façons les plus naturelles pour mourir de vieillesse… En d’autres termes, qu’elle cautionne les obligations vaccinales ou le miracle des nouveaux anticancéreux, le succès d’une telle propagande repose une fois encore sur la culture du narcissisme…
Conclusion
Les défaillances de l’enregistrement évoquées par l’article du British Medical Journal ne sont pas nouvelles et ne concernent pas que les anticancéreux : elles renvoient à une carence des autorités de contrôle où il est difficile de faire la part de l’incompétence et de la corruption – sachant que l’une n’est pas incompatible avec l’autre (c’est toujours une forme de corruption que de prétendre assurer une fonction pour laquelle on n’a pas les compétences requises).
Ce qui a évolué ces dernières décennies, c’est l’ampleur du phénomène : confortés dans leur avidité par cette carence d’une part, par l’impunité dont ils sont assurés d’autre part25, les prédateurs du complexe médico-pharmaceutique n’ont plus aucune raison de brider leurs exigences les plus folles. Ils en ont d’autant moins que notre ministre de la santé a clamé sans la moindre vergogne que si vous n’étiez pas acheté, vous étiez peu ou prou un nul : pas très motivant pour le jeune taré qui s’imaginerait qu’il a encore de la marge pour défendre un minimum d’éthique dans le milieu. International et non limité à la France, le grand mouvement actuel d’élargissement des obligations vaccinales promeut déjà des spécialités défectueuses brillamment passées par les mailles du filet troué de l’enregistrement : la tragédie Pandemrix permet d’anticiper ce que ça va être quand les obligations vont être étendues à des spécialités qui auront bénéficié, cette fois, de procédures accélérées. Pour le résumer par une métaphore automobile, jusque voici peu, les permis étaient délivrés par des examinateurs qui ne savaient pas tous faire la différence entre un tricycle et une Ferrari : désormais, ils le seront par des examinateurs sélectionnés sur une liste d’aveugles ou de mafieux spécialisés dans la fabrication de faux papiers…
Pour effrayante qu’elle soit objectivement, la menace sanitaire sous-jacente à l’article du British Medical Journal n’a pas fait l’objet d’une couverture médiatique aussi démentielle que celle alimentée par la récente étude consacrée aux perturbateurs endocriniens, pourtant dépourvue du moindre intérêt. En plein scandale sur les obligations vaccinales, cette discordance n’est pas sans rappeler la fonction de diversion occupée par l’affaire Médiator après le scandale H1N1 : ce ne peut être un hasard que dans les deux cas, pour détourner l’attention des véritables menaces qui pèsent sur la santé publique, on retrouve aux commandes de la médiatisation peu ou prou les mêmes idiots utiles 26.
Des noms ! Des noms !
- Le lecteur attentif aura tout de suite remarqué que je me suis abstenu du terme « biens de santé », pour la raison simple que, jusqu’à preuve du contraire (que l’on attend avec intérêt), les inconvénients sanitaires de ces offres outrepassent largement leurs bénéfices. Raison simple à laquelle s’ajoute la difficulté que l’on rencontre à définir “la santé” de façon tant soit peu opérationnelle: n’est-ce pas Madame OMS?…
- Inénarrable parce que tellement porté à propager les pires idées reçues tout en se posant comme dédaigneux contempteur de qui n’y adhère point.
- Incluant Michèle Rivasi, omniprésente pourfendeuse des foutages de gueule pour autant qu’ils soient ceux des autres.
- Dont on voit tous les jours les inconvénients dans les affaires médico-légales.
- Le lecteur ne manquera pas de noter que, dans les présentes références internes ici citées pour actualiser la présente déploration sur la nullité de la presse, certaines remontent à mai 2009 (c’est-à-dire, comme je l’ai déjà rappelé, à la véritable date de naissance du présent site)…
- M. Girard. Médicaments dangereux, p. 20.
- On a déjà vu les déconneurs du Monde faire grand cas d’une étude fondée sur un interrogatoire des mères supposées estimer si leurs enfants allaient mieux une fois vaccinés : l’intuition maternelle, vous savez…
- Le jour même où je rédige ce passage, je tombe sur un article (Paris Match, 07/10/17) faisant état du procès pour homicide accompagné de « torture ou acte de barbarie sur mineur de moins de 15 ans » d’une petite fille de quatre ans. La justification parentale (« turbulence et désobéissances multiples ») de leurs sévices meurtriers (incluant des douches brûlantes) passerait comme une lettre à la Poste avec un questionnaire aussi discriminatif que celui utilisé dans cette étude au service de la Science.
- J’ai vu de mes propres yeux un gamin amené par son père à sa mère pour que celle-ci le morde solennellement – et sans aménité – en représailles d’un coup de dent donné à son frère : le gamin était manifestement « effrayé » – terrorisé, même –, mais il eût fallu des investigations complémentaires pour affirmer que ce faisant, il faisait dans la « facilité ».
- Soit dit en passant, mais avec un minimum de suite dans les idées, cette incapacité de caractériser avec précision et reproductibilité les phénomènes qu’on prétend évaluer est exactement ce qu’on peut reprocher aux inventeurs du génial concept de myofasciite à macrophages, lesquels et en fonction de la vitesse du vent, se concentrent tour à tour sur une symptomatologie décidément insaisissable, sur une « anomalie » biopsique chez les malades dont on n’a jamais eu l’idée de vérifier si elle ne survenait pas chez des bien-portants, ou sur de vagues « troubles du comportement » chez la souris dont on attend la moindre démonstration et de leur signification pathologique, et de leur extrapolabilité chez l’homme…
- Le pseudo-scandale Médiator, dont je reparlerai avant longtemps, s’éclaire de cette culture journalistique assez typiquement française. L’honnêteté m’oblige cependant à admettre que je n’ai pas une grande pratique des médias russes, chinois ou saoudiens.
- Précisément cette culture dont Philippe Meirieu et ses amis – promoteurs d’un savoir qu’ils ne possèdent pas mais dont ils se targuent d’enseigner les modalités – se sont attachés à décrédibiliser.
- N. Delépine. Le cancer, un fléau qui rapporte, Michalon, 2013…
- Garattini S., Bertele V. Efficacy, safety, and cost of new anticancer drugs. BMJ 2002;325(7358):269-71.
- Girard M. L’innovation thérapeutique, critère à géométrie variable. Décision Santé 1992;16:22-23
- Girard M. Évaluer les réévaluations ? Le Moniteur des Pharmacies 2000 ; n° 2343 : 12
- Amusez-vous à essayer de trouver en français quelques documents sur l’histoire pourtant invraisemblable qu’on va narrer dans les lignes qui suivent… Cette amnésie à propos d’un précédent qui relève quasiment de « l’Histoire immédiate » n’en rend que plus comiques les gesticulations d’historiens « agréés » tels que Zylberman – pardon : « le Professeur Patrick Zylberman » – en l’espèce appliqué (avec l’aide de cet impeccable journaliste nommé J.-Y. Nau) à démontrer sans rire et avec force arguments imparables que les vraies menaces sur la Santé Publique, c’est juste la faute des anti-vaccins (Slate, 11/10/17)…
- Il a fallu aux policiers pas moins de 12 heures rien que pour faire l’inventaire des bijoux, monnaies précieuses et autres objets de luxe dissimulés jusque dans les coussins du sofa…
- G. Dukes, J. Braithwaite, J.P. Moloney. Pharmaceuticals, Corporate Crime and Public Health, Business & Economics, 2014.
- Grâce, notamment, à l’escroquerie H1N1, on a pu constater la rapidité extraordinaire avec laquelle l’industrie pharmaceutique s’est emparée du secteur vaccinal qui, jusque récemment, n’intéressait personne – sauf les anti-vaccinalistes prompts à s’obséder sur des enjeux d’argent surtout révélateurs de leur incapacité à saisir les véritables problèmes du complexe médico-pharmaceutique et de la médicalisation en général.
- Il est clair, par exemple, qu’un médecin qui refuserait – à juste raison – de prescrire tel ou tel dépistage, s’exposerait à voir sa responsabilité mise en cause et, d’expérience, je ne crois pas qu’on puisse se fier aux experts judiciaires qui seraient immanquablement désignés en cas de procès pour détricoter à l’usage des magistrats la propagande pro-dépistage : je parle bien d’intimidation…
- Dans le temple de la pédiatrie française où j’ai fait mes études il n’y a quand même pas si longtemps, on se serait fait sortir avec du goudron et des plumes si l’on avait osé disserter sur les risques de la grippe chez les enfants… Aujourd’hui, on se ferait coller à l’examen si l’on osait émettre le moindre doute sur la réalité et l’ampleur du risque.
- Voici trois jours, la Haute Autorité de Santé s’est prononcée pour le remboursement de Gardasil 9, au motif que cette nouvelle forme serait « aussi efficace » que celle qui a précédé après avoir occulté qu’on attend toujours des preuves sérieuses concernant l’efficacité de cette première forme…
- Le « tout » en question étant dicté par les « experts », au détriment d’apprentissages traditionnels comme ceux de l’intelligence (la lecture, l’écriture, le calcul, la logique…) ou de la vie collective (l’interdit, l’ouverture à l’altérité…).
- Penser au prodigieux bilan répressif de notre Pôle santé…
- Comme je l’ai déjà signalé, je n’ai pas toutes les compétences requises pour prendre une position publique sur les vrais risques des perturbateurs endocriniens : mais outre les objections qui naissent déjà d’une élémentaire culture générale (les critères de crédibilité intrinsèque), on ne manque pas de relever que dans les « lanceurs d’alerte » attachés à la dénonciation surmédiatisée de ces agents chimiques, on trouve – et au premier plan – des gens qui se sont déjà signalés par leur légèreté scientifique ou politique – que ce soit à propos de Médiator ou d’autres mystifications de la même eau.