L’auteur de « Ceux qui restent » (La Découverte, Paris; 2019) présente sa biographie comme une garantie d’authenticité, alors qu’elle pose un évident problème de distance par rapport au sujet d’étude : typiquement, il ne dissimule pas sa fierté d’avoir « fait des études universitaires », qui le conduit à rétrograder un niveau de simple préjugé tout questionnement sur la valeur du diplôme et des études qui y ont conduit. Études qui ne préservent pas l’auteur de néologismes pénibles (« privatisme » p. 133).
Inversement, à force de vouloir « coller » à la réalité décrite sans jugement de valeur, il passe sous le silence des déterminants pourtant évidents : par exemple, n’y a-t-il rien à reconstituer du fait que la plupart des sujets étudiés sont issus de « familles monoparentales » qui font le lit d’une omnipotence maternelle ? Selon l’auteur, les conséquences d’un tel contexte familial se limitent à un « manque de capital social » qui n’a pas permis « de bénéficier des bons plans du coin pour trouver un travail » (p. 100). Il ne lui vient pas à l’idée que telle sujétion à l’omnipotence maternelle se traduise, notamment, par un « déficit éthique » (dixit JP Winter) expliquant qu’il y a un problème au niveau de la confiance qu’on peut leur faire[1].
À la façon des explorateurs d’autrefois qui ne comprenaient pas la logique des « faits » rapportés, l’auteur présente sa population comme un sorte de nid de fourmis dont les comportements sont incompréhensibles et justifient une sorte d’anomie généralisée. Nonobstant le point de vue démagogique consistant à tout excuser par de pseudo déterminismes sociologiques, l’image qui ressort est celle d’une inéluctabilité qui se traduit notamment par une compulsion de réitération de comportements suicidaires (idem avec les filles qui se vautrent dans les illusions féministes). Ce qui manque à ces gamins, c’est une voix d’homme crédible qui leur dise : si vous surmontez votre pauvre subjectivité, si vous trouvez de vrais modèles, vous pouvez vous en sortir. Mais ce discours d’avant tenait pour acquis la valeur des diplômes et du travail accompli pour les obtenir. Ce n’est pas un hasard si les livres de Guilluy se trouvent dénigrés par B. Coquart sans appel et caricaturalement (« unanimement critiquée par les chercheurs » [p. 7]).
[1] Dans « Homoparenté » (Albin Michel, 2010), Jean-Pierre Winter présente comme un fait d’observation courante que la mère omnipotente, qui n’a aucun souci du père, génère des « enfants en grande difficultés scolaires, incapables de mémoriser » (p. 208-9). Voilà qui relativise un peu le manque « de bons plans du coin pour trouver un travail »…