Manipulation visant à promouvoir la mammographie et qui mérite de rester dans l’histoire internationale de l’escroquerie, le “mois rose” revient: image effrayante de la monstruosité débile où une médecine dévoyée peut désormais conduire les gens.
C’est la responsabilité de tous les citoyens – à commencer par les internautes qui visitent ce site – de montrer qu’il n’est pas trop tard, et que même sans moyens financiers, on peut résister aux lobbies prêts à tout pour s’engraisser aux dépens de notre corps et de notre santé. Bref et pour résumer: que l’intelligence sera toujours plus forte que l’argent.
A chacun de diffuser et de relayer l’information en proportion de sa conviction.
Sur la question de la mammographie comme sur bien d’autres affaires où la voracité sordide des lobbies met la santé publique en danger, il existe un contraste entre les pays de langue anglaise et la France. Hors Hexagone, de nombreux auteurs étrangers ont mis au jour les conflits d’intérêts parfois stupéfiants qui conduisent les leaders de la malbouffe, de la cosmétique, de l’automobile, de la chimie industrielle ou des biens de santé (radiodiagnostic, chimiothérapies…) à sponsoriser le « mois rose » pour convaincre les femmes qu’en payant de leurs deniers un surcroît de consommation qui les expose aux cancérigènes les plus reconnus, elles allaient contribuer à éradiquer de la planète ce fléau nommé cancer du sein1. Nombreux, également, à dénoncer l’odieuse infantilisation suscitée par la crainte sciemment entretenue du cancer mammaire2 – qui, toutes choses égales par ailleurs, reste quand même une cause de mortalité des plus modestes. Nombreux, enfin, à repérer la grave perversion consistant à ignorer les causes des cancers en général et à détourner l’attention des mesures politiques requises pour les prévenir à l’échelon collectif3 (nonobstant le coût pour les pollueurs de l’environnement) vers la recherche de traitements – ou pseudo-traitements – censés les guérir (pour le plus grand bénéfice de ces mêmes pollueurs)4. Tout cela, moyennant la béatification du courage individuel requis pour permettre aux victimes d’affronter lesdits traitements nonobstant leur effarant potentiel de mutilation, moyennant leur abandon corps et âme au paternalisme médical (qui, surtout dès que les patients concernés sont de sexe féminin, a toujours bien mieux su que les intéressées ce qui leur convenait – fût-ce la mastectomie radicale de Halsted à une époque où il était déjà temps de s’interroger sur les bénéfices problématiques d’une intervention aussi sauvagement délabrante).
Plus techniques, de nombreux travaux5 ont également documenté pourquoi on peut entretenir les plus grands doutes quant aux bénéfices de la mammographie pourtant considérés, dans l’Hexagone, comme assez évidents pour justifier les falsifications au plus haut niveau, incluant – ô combien – celles des Autorités sanitaires réduites, en cette espèce comme en bien d’autres, au rôle de VRP au service des plus ignobles lobbies. En français, outre la contribution incendiaire de la collaboration Cochrane, on pourra se reporter au livre-phare de HG Welch – regrettablement méconnu quoique lui aussi traduit –, ainsi qu’aux travaux de mon ami Bernard Junod, probablement l’un des meilleurs connaisseurs francophones de toutes ces problématiques, notamment celle – effrayante qualitativement et quantitativement – des « faux positifs » : ces femmes en parfaite santé dont l’existence est gâchée et l’espérance de vie même menacée par un diagnostic de cancer exagéré, voire carrément erroné. Une grande question derrière ce constat serait aussi de se demander si les missionnaires du dépistage sont de toute façon suffisamment informés eux-mêmes pour transmettre le minimum de données objectives qui conditionne l’authenticité du consentement.
Par conséquent et même en se restreignant au sous-ensemble des textes publiés en français, il existe aujourd’hui assez de documents pour permettre aux citoyens de s’interroger sur le sinistre mécanisme par lequel le sein est devenu juste un organe précancéreux. Cependant, la sauvagerie médicale aurait quand même gagné si l’on se limitait à ce triste constat. Qu’il me soit donc permis, dans les lignes qui suivent, de revenir à l’essentiel qu’on finirait presque par avoir oublié : le sein comme objet de désir… Parce que c’est en comprenant ce dont on cherche à nous priver qu’on apercevra l’enjeu ultime de toute cette médicalisation.
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Ce n’est pas en se fondant sur l’actualité politico-judiciaire du moment où s’écrivent ces lignes (printemps 2011) que l’on pourra me contredire : rien ne laisse sérieusement penser que les représentations masculines de la sexualité aient fondamentalement changé par rapport à l’image connue du bonhomme préhistorique, massue sur l’épaule, qui rapporte dans sa caverne une femme en la traînant par les cheveux… Après tout – et comme illustré, entre bien d’autres, par le précédent récent d’un professeur poignardé à mort en plein collège par l’époux d’une présumée maîtresse – une histoire de femme reste encore le prétexte le plus sûr pour s’entretuer entre mecs sans antécédents judiciaires connus… Même hors banlieues, dans des milieux culturellement privilégiés – comme on dit –, il n’est pas rare d’entendre, sous une forme ou sous une autre, que « chaque homme voudrait avoir à lui toutes les femmes, même celles qu’il ne désire pas. »6. Quant aux femmes, nombre d’entre elles, apparemment, restent fascinées par le fantasme d’un rapport forcé – au grand dam des anthropologues féministes qui s’exaspèrent de cet écart entre la théorie et la réalité observable7…
Malgré cette convergence roborative du désir sauvage entre l’homme et la femme, ce n’est toutefois pas ainsi que les choses se passent en pratique : on n’a pas attendu Woodstock pour décrédibiliser l’usage de la massue dans les relations entre sexes et la pénalisation du viol remonte à perpète, même si l’histoire a connu – et connaît – des exceptions ou traitements de faveur, parfois avec le soutien actif des féministes les plus éminentes et des défenseurs les plus autoproclamés des droits de l’Homme (prononcer avec un « h » aspiré, sinon inspiré) : sachant que toute ressemblance avec des personnes connues…
La question civilisatrice fondamentale va de toute façon bien plus loin que le seul interdit : quoi faire d’humain sur la base d’une telle sauvagerie de désir ?
Si – exemple le mieux étudié d’impératif éducatif instinctuel sur le long terme – les éléphantes femelles s’en sortent apparemment très bien entre elles pour amener les bébés à l’âge adulte, il semble que le potentiel sociétal d’un Humain complet – mâle ou femelle – dépasse largement la vocation de « tromper énormément » auquel, si l’on en croit la chanson, doit se limiter notre honorable cousin pachyderme. A l’opposé de ce que lui font dire ceux qui n’en sont pas à une falsification près, Darwin a fait l’hypothèse que solidarité et compassion étaient les avantages sélectifs paradoxaux qui ont rendu possible l’émergence des sociétés humaines comme exception biologique au primat de la survie des plus forts : on peut rêver parallèlement que l’insertion du père dans le processus éducatif – la triangulation, diraient les freudiens – est passée par une « défemellisation » des mères. D’une façon ou d’une autre, la société a dû subir la pression sélective de celles qui ont privilégié la présence durable d’une figure paternelle sur l’assouvissement brut de leur rut : n’est-il d’ailleurs pas notoire que l’on manque cruellement de modèle animal pour étudier les mystères du cycle féminin ? Il n’en a probablement pas été toujours ainsi… Il doit donc y avoir un avantage pour l’espèce à ce que les femmes soient moins hormonales : à ce que leur sexualité s’origine plus dans leur cerveau que dans leurs ovaires…
Réciproquement, ce qui rend le mieux compte de la contribution virile au fonctionnement sociétal, n’est-ce pas cet inconcevable moment où, confronté pour la première fois à un nourrisson qui vagit et qu’on lui colle dans les bras, l’homme accepte – sans une once de preuves et à ses entiers risques et périls – de le reconnaître comme sien ? On en arrive donc à ce constat fort incorrect politiquement que l’intronisation du mâle humain dans sa fonction la plus éminente qui consiste à penser de façon symbolique et abstraite (ce mioche, il ne l’a pas senti, lui, pousser, grandir et bouger au jour le jour dans le fond de son ventre) passe par sa confiance en la fidélité féminine : il y a décidément quelque chose de fou dans la paternité… Cela, les sociétés humaines l’avaient reconnu depuis longtemps – jusqu’au moment où, avec l’appui logistique pourtant peu subtil de Big Pharma, la mouvance féministe est venue dénigrer cette geste émouvante en une propagande généralisée de « diffamation »8 rétrospective à l’égard de toutes celles – elles furent des milliards – qui avaient accepté le primat de la triangulation, avec son coût inhérent relativement à l’exigence d’assouvissement plus ou moins instinctuel…
Or, et nonobstant le pouvoir régulateur des Lois que – au moins en période de détumescence, il a contribué à concevoir et mettre en place (ne serait-ce que pour défendre ses prérogatives) –, on ne peut pas dire que, dans son comportement sexuel, l’homme ait accompli un chemin symétrique en matière de désinstinctualisation. La réalité brute, c’est que la plupart d’entre nous en sont encore à péter un câble à la vue de n’importe quelle paire de nichons9. Là est le scandale d’une impossible parité : alors que toute fille a en soi la science innée du pouvoir qu’elle exerce à la moindre effraction de sa nudité, quel homme raisonnable s’imaginerait intéresser quiconque de l’autre sexe en se baladant braguette ouverte ?
Cependant, dans l’immensité de tristesse qui s’empare de lui après le coït, il revient à l’esprit de l’homme qu’un bref instant, il s’est senti dieu – et grâce à Elle : il y a toujours une impulsion de gratitude dans le mouvement amoureux…
Dégrisé de son adrénaline, le mâle triste et assouvi se souvient : il se rappelle que ce corps naguère désiré l’a littéralement fait sortir de lui – et il sent bien (ça lui fait suffisamment peur…) que la mécanique même de son érection pointe hors de lui, en direction de l’Autre… Il n’y a qu’au lit où puissent se poser les bases d’une réconciliation entre deux moi a priori aussi haïssables l’un que l’autre, qu’au lit où l’égocentrisme d’un(e) partenaire puisse devenir sujet d’émerveillement – selon le questionnement inépuisable des amants fascinés et fourbus : « Ça t’a fait QUOI ? »…
Et le mâle émoussé aperçoit soudain que cette excentration du moi conditionne son accomplissement proprement humain : car s’il a pu à ce point sortir de soi – un bref instant – en l’honneur de ce corps fascinant, c’est par le même mouvement d’excentration qu’il prendra goût à la rencontre des belles âmes, puis des Idées… Cela, Platon l’avait dit depuis longtemps…
Quoi faire d’humain sur la base d’une telle sauvagerie de désir, disais-je ? Deux choses, par conséquent : procréer à fins d’éducation, et conduire l’Autre à la jouissance.
Ce sont précisément ces deux impératifs fondamentaux que la médecine occidentale s’obstine à parasiter.
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On peut interpréter l’histoire de la médecine moderne d’abord comme le contrôle de la procréation humaine. Certes, et en première lecture, comme incursion hostile à la source même de la tradition – le lien qui s’instaure d’emblée entre le bébé et sa mère et, par delà, avec la communauté des femmes, gardiennes de la mémoire collective, naturellement plus dévouées aux valeurs de la solidarité qu’à celles de la compétition sélective. Mais si l’on admet que l’humanisation de la procréation passe par l’interposition du père – qui sépare l’enfant de sa mère et sa femme de l’enfant – force est de constater que cette médecine obstétricale et néonatologique tend également à mettre le père hors jeu, notamment en aliénant les mères à un savoir plus ou moins pseudo relativement auquel l’homme n’a clairement aucun droit de réponse. Même si l’on peut aujourd’hui concéder qu’une certaine médicalisation a contribué à sécuriser le processus de l’accouchement, il serait facile de montrer que le discours médical a devancé, en arrogance déculturante, la moindre documentation d’efficacité : qu’il suffise, pour s’en convaincre, de penser à l’enfer iatrogène des infections puerpérales – lequel ne fut certainement pas moins désastreux que les pratiques des « matrones » si décriées par l’Académie à partir du 16e siècle. En matière de vantardises disproportionnées à la réalité objectivable, les médecins n’ont pas attendu l’escroquerie de la procréation médicalement assistée…
Mais la médecine moderne n’a pas été moins interventionniste relativement à l’idéal de jouissance sexuelle et, particulièrement, à l’égard de son ingrédient le plus fascinant : le corps féminin.
“Avec la permission de Monsieur, je vous invite à venir voir, l’un de ces jours, pour vous divertir, la dissection d’une femme, sur quoi je dois raisonner.”10
Tant il est vrai qu’aux yeux des Diafoirus de tout temps, le corps féminin n’est jamais aussi divertissant que lorsqu’il est mort : il n’est pas besoin d’avoir lu tout son Freud pour entendre le fantasme – et il est glaçant1112.
Curieusement, car c’est celui-ci qui, statistiquement, dispose de la force, les relations sexuées sont marquées par la peur de l’homme à l’endroit de la femme bien davantage que l’inverse – et la littérature est éloquente à cet égard : l’homme a peur avant, il a peur pendant, il a peur après. Avant, il a peur de n’être pas à la hauteur : car si, dans le fantasme au moins, le corps de la femme est immuablement dans la perfection de son anatomie sexuée – pénétrable –, qui ignore qu’il n’est rien de plus fragile que l’érection masculine, et rien de plus pitoyable qu’un amant transi qui veut sans pouvoir ? Pendant, il est traversé par l’angoisse de ce qui pourrait arriver à son précieux organe si dangereusement exposé – et le mythe transculturel du vagin à dents (ou ses variantes centrées sur l’épuisement : pensons à Samson ou à Erec) est suffisamment récurrent pour en attester. Après, il voit bien qu’elle pourrait encore quand lui ne peut simplement plus : toujours cette perfection anatomique…
Pour s’humaniser dans la sexualité, il faut déjà s’y mettre à deux afin de surmonter cette constellation de peurs dans la compassion mutuelle. Mais la médecine occidentale propose une autre voie que ce tendre apprivoisement réciproque : rationaliser ces angoisses archaïques de l’homme en une défiance justifiée à l’égard du corps féminin revu et corrigé sous le pinceau dégoûté de sa vision hygiéniste. J’ai déjà montré comment – autre lieu clé de la folie instinctuelle – le vagin avait officiellement été déclaré monstrueux, les plus éminents spécialistes n’hésitant plus à proclamer qu’on n’y reconnaît pas d’aspect gynécologique « normal » chez plus de 5% des femmes, sans la moindre conscience du délire mégalomaniaque qui les conduit ainsi à carrément inverser la courbe de Gauss pour rejeter dans le pathologique celles qui, par définition en quelque sorte, constituent la norme13. L’histoire de la mammographie, quant à elle, permet de reconstituer le processus tragique au terme de laquelle le sein féminin s’est trouvé rétrogradé d’objet érotique éternel à un organe précancéreux simplement justiciable des sévices que les spécialistes jugeront bon – et qui vont de l’écrasement sans pitié dans les appareils de mammographie à l’ablation pure et dure, en passant par les intermédiaires de la biopsie et autres radiothérapies…
Comment en est-on arrivé là ?
L’idéal du capitalisme – la marchandisation de tout jusqu’à l’inconcevable – exige de reconnaître, pour les anéantir impitoyablement, tous les repaires d’humanité, caractérisés par le primat de la solidarité et de la compassion : ce, tout simplement parce que par leur dynamique propre, ces deux dispositions créent toujours un certain espace d’autonomie – une zone hors marché. Il est clair, par exemple, que depuis maintenant plusieurs siècles, le capitalisme s’est particulièrement acharné à éradiquer les deux professions clés d’une humanité solidaire, l’agriculture (traditionnellement fondée sur la coopération d’un groupe rythmée par le déroulement des saisons) et l’artisanat (qui appelle constamment l’entrecroisement des compétences et l’échange de services : le menuisier, pour ses outils, a besoin du forgeron lequel a lui-même besoin du charbonnier, etc.). Aujourd’hui (du moins tant qu’il ne s’est pas humilié dans les odieuses exhibitions télévisuelles de L’amour est dans le pré), l’agriculteur dort seul dans une ferme immense reconvertie en zone industrielle, confiant dans les ovules électroniques qui sonneront l’alarme quand un vêlage se déclenchera ; la plupart de nos artisans, quant à eux, sont passés par la case « ouvrier » avant de faire la bascule entre celle de « travailleur précaire » et celle de « chômeur » – éventuellement « en fin de droits » : qu’importe le statut, pourvu qu’ils soient totalement dépendants du système 14?
Cependant, comme le petit village d’Armorique dans la Gaule romaine, il restait encore et toujours le champ de l’accomplissement mutuel au travers du désir sexué : dans l’idéologie capitaliste, quoi de plus inconcevable que l’idéal « d’amour et d’eau fraîche » qui, naguère encore, inspirait la vie des amants ? Aujourd’hui, il faut payer la consultation ou la plaquette de pilules (via « la solidarité nationale » le cas échéant) et s’abstenir de tout apport liquide avant l’intervention – j’en passe, évidemment15… Exit, par conséquent, l’eau fraîche et la gratuité de l’amour ; exit l’autonomie des amants qui n’avaient besoin de rien tant qu’ils restaient à portée du corps tant désiré…
La situation décrite ici n’est pas un simple aléa de la modernité, car on reconnaît, dans cette effrayante offensive contre le corps féminin, le stigmate caractéristique du crime contre l’humanité au sens premier (même si cette notion potentiellement profonde a été dévoyée par un usage irresponsable) : à savoir l’exigence que les victimes participent activement à leur humiliation et au martyre des autres victimes, en une terrible inversion de ces valeurs humaines cardinales que sont la dignité, la compassion et la solidarité. Or, n’est-ce pas précisément cette monstrueuse exigence qui conduit aux accablantes exhibitions du “mois rose” où l’on demande aux plus atteintes de pointer sans état d’âme leur torse mutilé, de se réjouir comme des gourdes hystériques des gadgets débiles qu’on leur offre ce jour-là – et, plus encore, de participer frénétiquement au recrutement d’autres victimes ?
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Voilà pourquoi je ne peux tout à fait suivre les critiques de la mammographie qui semblent considérer que le retour de balancier passerait par le « dialogue » et le « consentement informé ». La situation, hélas, est bien au-delà. Nous ne sommes pas là dans l’ordre des controverses ou débats qui scandent l’histoire des sciences : atomisme contre continuisme, déterminisme contre probabilisme, préformisme contre épigenèse… Il y a aucun crime contre l’esprit – encore moins contre l’humanité – à réaliser des études visant à quantifier au plus juste d’éventuels bénéfices de la mammographie, et personne ne soutient, à l’inverse, que toutes celles qui les ont mis en doute soient irréfutables. Les vrais acteurs du scandale, ce ne sont pas les épidémiologistes qui essaient de faire leur travail : c’est – et comme toujours en matière de d’acculturation – l’armée des imbéciles16 sous le commandement des escrocs, à savoir en l’espèce tous ceux – ils sont légion – qui par ignorance ou perversité falsifient le réel en niant qu’il puisse même y avoir débat, a fortiori controverse.
Car s’il faut récapituler en termes simples les données désormais disponibles, il n’y a pas bataille : sur cent femmes « cancéreuses » revendiquant, la larme à l’œil, d’avoir été « prises à temps »17, il doit y en avoir à peu près cinquante qui ont vu leur vie lamentablement gâchée par d’épouvantables traitements alors qu’elles n’auraient jamais développé le moindre cancer mammaire sinon (faux positifs ou pseudomaladie), tandis que les autres, indubitablement cancéreuses, n’ont strictement rien gagné hormis quelques années supplémentaires de prise en charge anticancéreuse « précoce » – avec le martyre inhérent – qui ne se solderont par aucun allongement d’espérance de vie. Et s’il s’agit d’affiner compte tenu de quelques progrès thérapeutiques18, la préoccupante stagnation de la mortalité – bien décrite par Bernard Junod – amène à soupçonner une surmortalité imputable, en dernière analyse, à l’actuelle stratégie de dépistage… Dans de telles conditions, elles sont où les lignes directrices du « libre choix » ?
Dans son inconcevable confusion méthodologique, le principe de la mammographie ne se serait jamais spontanément imposé à l’esprit des femmes si elles n’avaient été aussi durablement que sauvagement désinformées. En conséquence de quoi, il y a quelque hypocrisie à les renvoyer aujourd’hui à leur supposée liberté de choix (alors que même la majorité des professionnels de santé s’avère tristement incapable d’aboutir à une conclusion rationnelle fondée sur une analyse rigoureuse des données disponibles : le succès du mois rose le démontre suffisamment). Quelle « liberté » pour les femmes après des décennies d’acculturation sordide ? Quelle liberté, de toute façon, quand personne n’est capable de caractériser sérieusement celles qui, statistiquement au moins, pourraient tirer quelque intérêt de cette procédure démente, sachant que la mammographie cristallise sur elle toutes les insuffisances qui, dans n’importe quel ouvrage d’épidémiologie ou de santé publique, suffiraient normalement à décrédibiliser une procédure de dépistage : son désagrément, ses risques propres (irradiation, éventuelle dissémination métastatique…), la fréquence des faux positifs et des surdiagnostics, l’incertitude absolue quant à un quelconque bénéfice significatif même chez celles qui ont effectivement un cancer… Ce n’est donc pas une bifurcation du machisme médical de constater que l’intimidation est allée assez loin pour requérir un peu plus qu’une simple contre-invitation à exercer désormais les pouvoirs de la rationalité chez celles qui ont été abruties par des décennies d’escroquerie. A savoir, et je l’assume, un minimum d’autorité – sinon d’autoritarisme – dans l’exhortation : « de grâce, n’y allez pas…»
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Au-delà de la falsification – éventuellement masquée sous la caution de « la Science » –, la situation à laquelle renvoie la promotion irresponsable de la mammographie est donc infiniment plus grave, et c’est à le démontrer que s’est attaché le présent article. En l’espèce, c’est bien l’objet du litige – les seins et, par delà, le corps féminin dans son inépuisable puissance d’attraction – qui nous conduit à mieux cerner l’enjeu. Ce que l’on retrouverait à l’identique dans bien d’autres dérives médicales mais qui se cristallise ici autour de la mammographie, c’est l’irréconciliable affrontement entre les forces de la vie et celles de la mort, ou plutôt : entre l’humanité et la sauvagerie.
Dans un récent ouvrage19, j’ai émis l’idée que par l’intermédiaire de l’assurance-maladie (qui assume quasiment sans contrôle, quand elle ne les encourage pas, les errements de leurs prescriptions et dont le déficit ne nuit évidemment pas à ceux qui s’en engraissent), les professionnels de santé étaient devenus des agents essentiels dans la perversion radicalement antidémocratique qui consiste à rançonner les pauvres au bénéfice des riches et autres fonds de pension. L’escroquerie mammographique nous emmène encore plus loin : aux racines de la déshumanisation moderne. Sous le nouvel esprit du capitalisme, la société est devenue le chantier d’une immense muraille de Chine où la misère des gens importe peu pourvu qu’ils payent – jusqu’à l’injonction de laisser mutiler sans raison la splendeur de leur corps : il serait temps que les enfants d’Hippocrate et de Galien s’interrogent sur leur responsabilité individuelle ou collective dans ce terrible état de fait.
- Lynn Landes, Breast Cancer Money-Go-Round: Pharmaceuticals, Pesticides, and Radiation Cause Breast Cancer, While Wealthy Non-Profits and Feds Protect Industry, oct. 2002.
- B. Ehrenreich, Welcome to Cancerland, 2001.
- Sachant que, perversion parmi bien d’autres, la promotion de la mammographie entretient une regrettable confusion entre “dépistage” et “prévention”.
- S. King, Pink Ribbons, Inc.: Breast Cancer And the Politics of Philanthropy, University of Minnesota Press, 2006.D. Davis, The Secret History of the War on Cancer, New York, Basic Books, 2007.
- J’ai renvoyé à une bibliographie de base dans un précédent article.
- G. Flaubert, Lettre à Louise Colet, 31/03/53.
- D. Bergner, “What do women want?”, The New York Times, 25/01/2009.
- Ch. Lasch, Les femmes et la vie ordinaire, trad. française, Paris, Climats, 2006, p. 217.
- On peut même postuler que la désinstinctualisation des femmes aidant, l’homme a progressivement perdu l’essentiel de sa sensibilité à la “réceptivité” féminine, ce qui a encore élargi le hiatus entre les comportements sexuels propres à chaque genre: les humains sont probablement la seule espèce (du moins chez les animaux évolués) où le potentiel d’excitation mâle peut se développer unilatéralement, indépendamment de la réactivité féminine. Je n’ai pas connaissance, par exemple, d’autres espèces animales où un mâle puisse perpétrer un viol chez une femelle.
- Molière, Le malade imaginaire, II, 5.
- D’autant que le propos est la première invitation du jeune médecin fiancé à sa promise…
- Daté d’avril 2012, le buzz informatique suivant “la découverte” du point G est une impressionnante actualisation de l’intuition moliéresque: la découverte en question résulte, en tout et pour tout, d’une autopsie, réalisée chez une femme de 83 ans – sur les antécédents libidinaux de laquelle on ne sait rien…
- C’est une notion statistique élémentaire qu’on définit « la norme » comme l’aspect que l’on retrouve chez 95% des sujets : soutenir qu’aujourd’hui, on ne trouve plus que 5% d’aspects « normaux » lors de l’examen au spéculum, c’est – par delà l’idiotie objective du propos – atteindre au dernier degré du délire dans le dénigrement du corps féminin.
- Il est utile, à cet endroit, d’ajouter une référence parue bien après le présent article, mais qui me paraît bien en phase avec lui : Offensive, Construire l’autonomie – Se réapproprier le travail, le commerce, la ruralité., Éditions l’Échappée, 2013.
- Dans son mercantilisme vulgaire, la “Saint Valentin” est la parfaite illustration de cette dérive capitaliste.
- Au moment où s’écrivent ces lignes, je sors d’une expertise concernant l’histoire d’une femme de 55 ans qui, à la suite d’une poussée hypertensive assez banale mais mal traitée, s’est retrouvée avec une cécité d’origine indubitablement iatrogène. Or, comme attesté au tout début d’un dossier infirmier rendu ultérieurement volumineux par suite de toutes ces complications, dès son arrivée au Service de néphrologie-médecine interne, cette malheureuse qui n’avait rien demandé s’est vu prescrire… une mammographie ! Et le lendemain, alors qu’il était déjà évident que l’équipe soignante peinait à contrôler une hypertension pourtant facilement gérable a priori, le dossier revenait comme à regret sur le nécessaire report de la mammographie… Cette histoire tragique illustre en un raccourci saisissant toute la perversion de la médecine actuelle : des médecins qui posent comme impératif une mammographie au mieux inutile, alors qu’ils se révèlent incapables hic et nunc de répondre adéquatement à une urgence tout aussi typique que relativement banale. « Armée d’imbéciles », vous disiez ?… A noter qu’outre des professionnels de santé, cette armée inclut aussi une nuée de journalistes – notamment de la presse « féminine ».
- Prêtes à mordre et à griffer tout interlocuteur tant soit peu sceptique, telle cette infirmière qui, au cours d’une émission radiophonique faisant une large place aux interventions téléphoniques des auditeurs, n’a pas craint de me traiter de « charlatan » la voix vibrant d’indignation…
- Non que les coûteuses « innovations » anticancéreuses soient plus efficaces aujourd’hui qu’avant, au contraire de ce que soutiennent les fabricants et leurs sponsors de l’administration sanitaire, mais parce qu’on a fait des progrès dans la prise en charge symptomatique de leurs complications.
- M. Girard, Médicaments dangereux : à qui la faute ?, Escalquens, Dangles, 2011, p. 48.