L’Ordre des médecins, arme fatale de toutes les moralisations

De qui se moque-t-on?

La “révolution” des moeurs pharmaceutique promise dans le sillage de l’affaire Médiator inclut, on le sait, un contrôle censément rigoureux des conflits d’intérêts. Cependant, et depuis le début, certains mauvais esprits ne manquent pas de relever que les armes pour lutter contre de telles dérives ne datent pas d’hier, et qu’elles sont nombreuses, incluant notamment les dispositions fort anciennes d’un décret du 28 novembre 1983 (régissant les relations entre l’administration et les usagers), ainsi que l’article 432-12 du Code pénal (concernant la prise illégale d’intérêts)1; ils s’étonnent, à ce titre, que l’hystérie médiatique qui a célébré les récentes promesses de réforme n’ait fait aucune place à la réflexion critique sur l’inefficacité des dispositions d’ores et déjà existantes: à quoi bon inventer de nouvelles lois, en effet, si l’on n’est pas capable de comprendre pourquoi les précédentes n’ont pas fonctionné2?

Clairement inscrit au camp des winners (qui trouvent des solutions aux problèmes) opposé à celui des loosers (qui trouvent des problèmes aux solutions), le député socialiste Gérard Bapt fait d’autant plus fi de toute cette perplexité qu’il a, de toute façon – et après des mois de réflexion intense (encore stimulée par une mission d’enquête implacable) -, trouvé l’arme fatale contre laquelle les vicieux, les boucs3 et les prévaricateurs n’auront plus qu’à plier (ICI) :

Alors que faire?

Lutter contre les conflits d’intérêts en obligeant les experts à déclarer au Conseil de l’Ordre leur lien financier (sic pour le singulier) avec les laboratoires et faire en sorte qu’ils ne soient plus juges et parties.”

Le CONSEIL DE L’ORDRE… Bon sang! Mais c’est bien sûr!!!

Bref retour sur quelques précédents aussi notoires qu’éloquents

L’excellent Gérard Bapt semble ignorer que la loi “anticadeaux”, dont les dysfonctionnements multiples ne sont pas pour rien dans les scandales sur lesquels il est supposé avoir planché des mois durant, a été – depuis ses origines (loi du 27 janvier 1993) – placée sous la responsabilité de l’Ordre des médecins.

Il n’est pareillement pas informé que, même avant sa conversion au jansénisme hippocratique – en ce temps désormais oublié où, peut-être aidé par quelques conseillers aux liens douteux4, il ne voyait aucune objection au remboursement de Médiator – même Xavier Bertrand tempêtait publiquement contre la mollesse de l’Ordre à sanctionner les praticiens coupables de refuser leurs soins aux pauvres qui bénéficiaient de la Couverture Médicale Universelle5.

Il semble avoir oublié que même Roselyne Bachelot – pourtant ancienne visiteuse médicale qui n’a jamais dissimulé sa sympathie pour son milieu professionnel d’origine – a dénoncé publiquement les dérives et magouilles de l’Ordre, notamment au Conseil de Paris6.

Lui-même médecin spécialiste – et homme de coeur… -, Gérard Bapt n’a apparemment pas non plus l’expérience de tout praticien relativement à l’incurie et la partialité de l’Ordre dans la gestion au quotidien des problèmes de la profession – des plus vernaculaires aux plus éhontés: depuis combien de temps attend-on la suspension de ce chirurgien excessivement médiatisé, réputé (entre autres escroqueries condamnables) louer – à vie – le matériel prothétique qu’il implante chez ses patients?

C’est cet inconcevable hiatus entre les promesses délirantes et la réalité pourtant éprouvée qui donne tout son sel à la petite histoire personnelle qui suit, juste en rapport avec la fonction la plus basique et la plus historique de l’Ordre des médecins: à savoir, le respect des règles élémentaires imposées par l’exigence de confraternité.

Gros plan sur une petite histoire aussi personnelle qu’éloquente

Au cours de son audition par la Commission d’enquête sur la grippe H1N1 – dont Gérard Bapt a été l’un des piliers – un académicien, ancien président du Comité technique des vaccinations (CTV), s’en prend brutalement à moi (évidemment absent à ce moment) et, alors qu’il est en train de déposer sous serment, déclare à mon sujet: “ancien conseiller d’une personnalité très importante, il usurpe le titre de professeur (…)”7.

N’ayant pas souvenir d’avoir jamais cherché à fréquenter – et pour les conseiller ! – des “personnalités très importantes” (j’affectionne plus naturellement les gens simples et “les pauvres en esprit”), je saisis alors l’Ordre des médecins sur l’alternative suivante, logiquement imparable:

  • s’il est exact que j’usurpe quelque titre médical que ce soit, l’Ordre doit me sanctionner;
  • si c’est faux, les principes de confraternité les moins contestables appellent la sanction de mon calomniateur.

Imparable, vous dis-je…

Pour le lecteur intéressé, l’ensemble de mes échanges épistolaires avec l’Ordre est donné en pièce jointe. Le lecteur plus pressé de l’essentiel peut se contenter de mon dernier courrier adressé au Conseil départemental compétent.

Monsieur et cher Confrère,

Lorsqu’il n’est atténué par aucun avantage en retour, l’engagement au service de notre éthique professionnelle est affreusement consommateur de temps et d’énergie… C’est – pour ce qui me concerne – la principale raison du retard avec lequel j’accuse réception de votre courrier du 07/03/11 : comme le précédent du 10/12/10, il est pitoyable.

Il faut donc comprendre que lorsqu’un médecin (surtout quand il est tenu par l’éminence de ses responsabilités et qu’il s’exprime sous serment – devant la représentation nationale !) accuse un confrère d’usurpation, et que votre enquête révèle qu’il n’a pas la moindre preuve du fait, une volonté de nuire aussi caractérisée ne relève pas d’une faute déontologique.

Si l’Ordre des médecins s’avère à ce point incapable de défendre les valeurs les plus traditionnelles qui sont censées justifier son existence (et les généreuses cotisations qu’il perçoit sous ce prétexte), que penser des innombrables missions additionnelles qui lui sont confiées à chaque révélation des dérives de notre profession (loi anticadeaux, contrôle des conflits d’intérêts, qualification des experts ou des psychothérapeutes…) – lesquelles devraient exiger une intégrité sans faille, du courage, accessoirement un minimum de culture générale ? Après tout : n’auriez-vous pas interprété plus équitablement l’étonnante agressivité du Prof. Bégué à mon égard s’il vous était jamais venu à l’esprit de vérifier la compatibilité de ses éminentes fonctions comme ancien président du Comité technique des vaccinations avec les articles 14 et 35 de notre Code de déontologie8 au respect desquels que vous êtes supposés veiller ?

Permettez-moi de vous avouer que je n’ai risqué cette plainte que pour confirmer votre tartufferie : je vous remercie de la spontanéité désarmante avec laquelle vous vous êtes prêtés à la démonstration. Soyez certain que, à mon humble échelle, je ferai tout mon possible pour donner le maximum d’écho à cette histoire exemplaire – au moins pour que, faisant jurisprudence, elle évite aux petits de notre profession d’être écrasés par les gros que vous protégez avec une telle indécence.

Avec l’expression de mon plus parfait mépris.

Marc Girard

Conclusion

Faut-il conclure?…

Document joint

  1. J. Moret-Bailly, “Les conflits d’intérêts des experts consultés par l’administration dans le domaine sanitaire”, Revue de Droit sanitaire et social, 2004: p. 855.
  2. Les parlementaires de l’opposition qui tonnent contre “l’inflation législative” quand il s’agit de dénoncer l’inefficacité du gouvernement feraient bien d’y regarder à deux fois avant de contribuer à cette inflation dès lors qu’elle leur permet de se mettre en avant…
  3. Ceux qui iront à gauche lors du Jugement…
  4. Le Monde, 12/01/11.
  5. Le Monde, 20/11/06.
  6. Libération, 23/10/07.
  7. Assemblée Nationale, Rapport n° 2698, juillet 2010, p. 274.
  8. L’ article 14 (article R.4127-14 du code de la santé publique) stipule que “Les médecins ne doivent pas divulguer dans les milieux médicaux un procédé nouveau de diagnostic ou de traitement insuffisamment éprouvé sans accompagner leur communication des réserves qui s’imposent. Ils ne doivent pas faire une telle divulgation dans le public non médical.” L’article 35 (article R.4127-35 du code de la santé publique) rappelle quant à lui que “Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose (…)”. A l’évidence, ces deux articles pourraient être invoqués à l’encontre d’un médecin qui présenterait de façon un peu trop idéalisée le rapport bénéfice/risque d’un vaccin, surtout si ce médecin avait le pouvoir exorbitant d’influer sur les recommandations vaccinales arrêtées à l’échelle nationale…