Depuis environ dix mois, je n’ai cessé de dénoncer comme mystification l’hypermédiatisation du “scandale” Mediator, organisée par des journalistes incompétents et attisée par des bouffons manipulés, des politiques irresponsables, des experts auto-proclamés, enfin des responsables vicieux surtout soucieux de faire oublier leur rôle dans l’état présent des choses.
Dans une telle situation, l’intérêt du temps qui passe, c’est d’apporter les éléments de fait permettant de ridiculiser les jobards, de confondre les falsificateurs (en les acculant à leurs mensonges, leurs erreurs ou leurs contradictions), et de confirmer progressivement les principaux contre-arguments de ceux qui ont d’emblée dénoncé l’arnaque: en ces matières comme ailleurs, la Vérité est une monture souvent inconfortable, mais qui reste coûte que coûte sur le droit chemin et vous emmène toujours à bon port…
Je reviendrai bientôt sur le piège grossier d’une indemnisation inique et à la charge du contribuable, me contentant pour l’instant de rappeler qu’il avait été annoncé dès le tout début de l’affaire Médiator. Semblablement, les récents appels à la “mise sous tutelle” de Servier ne sont pas pour me faire regretter d’avoir d’emblée postulé qu’un des enjeux de l’histoire, c’était de contrôler la succession du numéro 2 de la pharmacie française après la mise hors jeu d’un fondateur qui était le seul à n’avoir pas conscientisé avoir atteint la limite d’âge.
Médiatisée depuis deux jours maintenant, “l’affaire” Protelos renvoie cette fois à tous les aspects technico-réglementaires du monde pharmaceutique dont la connaissance, je l’ai constamment rappelé tous ces temps, aurait évité:
- à certains “experts” de se vautrer,
- à quelques parlementaires de démasquer leur préoccupante légèreté,
- à certains journalistes1 de confirmer leur radicale incompétence.
Décryptage rapide à l’usage du citoyen qui en a marre qu’on le prenne pour un couillon – et, surtout, qu’on ruine sa santé en vidant son portefeuille.
Table des matières
La pharmacovigilance et son fonctionnement
Si l’on en croit Libération (07/09/11), une inspection de l’Agence européenne (EMA) aurait permis de mettre en évidence d’innombrables irrégularités dans le fonctionnement de la pharmacovigilance chez Servier.
- Cependant, d’après la même source, “tout commence en 2007, lorsque l’EMA lance une procédure «en urgence»
pour informer les médecins et les patients des nouveaux effets secondaires graves du Protelos” (c’est moi qui souligne): ce n’est pas pour être désagréable, mais si quatre ans après le “commencement” d’une procédure “en urgence”, les administrations sanitaires n’ont toujours pris aucune mesure relativement à ce que la presse présente comme un nouveau scandale, ce n’est rassurant ni pour la santé publique, ni pour le citoyen de base. - Cependant derechef, les nouveaux responsables mis en place pour moraliser le système – GRÂCE A l’affaire Médiator… – et qui ne se sont pas gênés depuis pour inconsidérément alarmer le public2 ne semblent pas particulièrement préoccupés: selon le nouveau directeur de l’AFSSAPS, cette fois, “il ne devrait pas y avoir de scandale” (Le Figaro, 07/09/11).
Devant cette contradiction, on en vient forcément à se dire que:
- ou bien certains journalistes disent n’importe quoi – ce qui ne serait pas un scoop;
- ou bien les nouveaux dirigeants de l’AFSSAPS sont des faux-culs.
En l’espèce, le OU n’est évidemment pas exclusif, et c’est bien dans ces deux directions qu’il faut simultanément chercher.
- Si, au lieu de célébrer les “experts” appelant “l’indispensable réglementation que chacun attend”, les journalistes avaient bien voulu admettre que la réglementation existe – et depuis longtemps -, ils sauraient que les “révélations” de Libération correspondent, jusqu’à preuve du contraire, aux résultats attendus de n’importe quelle inspection de pharmacovigilance – laquelle, comme n’importe quel audit, ne manque jamais de repérer des erreurs et écarts à la règle (dont il revient, ensuite, à examiner la portée3).
- La diapo fournie en PJ vient d’un enseignement que je donne annuellement à des étudiants en pharmacie pour illustrer – sans le moindre esprit d’exhaustivité – les graves problèmes de tolérance qui persistent MALGRE la réglementation aussi pointilleuse que volumineuse qui gouverne – n’en déplaise à ceux qui ne la connaissent pas! – la pharmacovigilance. On voit que cette diapo est datée de 2007 et qu’elle n’a donc pas attendu les pseudo-révélations de la presse pour faire de Protelos un médicament problématique – mais parmi d’autres… La procrastination désormais assumée des autorités sanitaires (celles d’aujourd’hui comme celles d’avant) mérite d’autant plus d’être replongée dans ce contexte que, comme on va le voir ci-après, Protelos est loin d’être le seul médicament contre l’ostéoporose à poser de sérieux problèmes de pharmacovigilance.
- En tout état de cause, il suffit de se reporter aux journaux récents pour constater que Protelos faisait bien partie de la liste des médicaments “sous surveillance” relativement auxquels les autorités sanitaires, bruyamment relayés par les journalistes, ont essayé d’accréditer auprès des citoyens justement alarmés l’escroquerie d’une pharmacovigilance renforcée: si l’on en juge sur le seul cas de Protelos, on ne peut pas dire que cette “pharmacovigilance renforcée” fonctionne super bien…
Les “traitements” de la ménopause
Dans leur principe comme dans leur validation expérimentale, les “traitements” de la ménopause sont tellement problématiques qu’ils s’inscrivent tout naturellement (chapitre 8) dans l’excellent livre de R. Moynihan et A. Cassels4 consacré au disease mongering: terme difficilement traduisible qui vise la marchandisation des pseudo-maladies, mais avec une connotation de criée – le premier terme associé par le Robert & Collins au mot monger étant fishmonger – “marchand de poissons” (on voudrait insinuer qu’il y a quelque chose de poissard dans la propension de certaines firmes pharmaceutiques à refourguer des pseudo-traitements sous n’importe quel prétexte qu’on ne s’y prendrait pas autrement..).
Quoi qu’il en soit, le premier traitement (le plus “naturel”) de la ménopause – l’hormonothérapie substitutive – s’est trouvé balayé, au tout début des années 2000, par l’étude de la Women Health Initiative (WHI) qui a montré, entre autres, que loin de prévenir les effets du vieillissement (cancers, maladies cardio-vasculaires), cette hormonothérapie tendait au contraire à les exacerber (tandis que l’on cherchait également vainement les effets positifs annoncés dudit traitement sur l’état psychique, le déclin cognitif ou la sexualité des femmes traitées…) Malgré l’imparabilité de la démonstration (première étude en double aveugle contre placebo), la majorité des gynécologues français – inspirés par on se demande bien qui et non contredits par l’autorité sanitaire qui en a pourtant le pouvoir comme le devoir – se sont ingéniés à convaincre nos concitoyennes que les hormones utilisées en France offraient une sécurité bien supérieure aux hormones américaines5.
Les lobbies pharmaceutiques ayant, de toute façon, plus d’un tour dans leur sac pour faire bouffer n’importe quoi sous prétexte de “prévention”, les malheurs de l’hormonothérapie ont fait le bonheur des autres traitements contre l’ostéoporose – Protelos, certes, mais également et surtout, biphosphonates. Il s’avère cependant qu’entre autres effets indésirables significatifs :
- lesdits biphosphonates sont réputés – et depuis longtemps6 – provoquer des ostéonécroses de la mâchoire : entendez des gros trous dans l’os de la mâchoire, qu’on ne sait pas trop comment combler ensuite;
- encore plus folklorique pour des médicaments justifiés par la prévention du risque fracturaire censément lié à l’ostéoporose: les biphosphonates peuvent provoquer une sorte de fragilisation de l’os qui le conduit à casser comme du verre78…
Comme dit Maraninchi – mais à un tout autre sujet: “on joue avec le feu” (Le Figaro, 06/07/11)9.
Conclusion
Vive la “pharmacovigilance renforcée”!
Vive la “réforme du médicament”!
Vive les Petits Poucet tellement bien intentionnés!
Vive les parlementaires!
Vive les “experts”, surtout quand ils sont parlementaires – et vice-versa!
Vive les journalistes!
Document joint
- M. Girard, Médicaments dangereux: à qui la faute?, Escalquens, Dangles, 2011: chapitre 3.
- “On joue avec le feu” dixit Maraninchi dans Le Figaro du 06/07/11.
- Notamment par rapport aux “écarts” à la norme habituellement tolérés par l’autorité sanitaire. C’est ainsi que l’article de Libération croit bon de porter au discrédit de Servier la méconnaissance de ses collaborateurs relativement au système de codification MEDRA: c’est ignorer le rôle majeur joué (sous l’impulsion perverse des autorités sanitaires) par la codification en général – et par MEDRA en particulier – dans le peu contestable échec d’une réglementation pharmacovigilante pourtant excessivement profuse.
- R. Moynihan et A. Cassels, Selling sickness. How drug companies are turning us all into patients., Crows Nest, Allen & Unwin, 2005.
- Alors que comme me l’expliquait sans état d’âme une collègue gynécologue pourtant fort liée aux Labos, il existe d’excellentes raisons au moins théoriques pour craindre que, extrêmement purifiées, les hormones utilisées en France ne soient bien plus cancérigènes que le mélange “naturel” (Prémarin) testé aux USA: mais avec sa nouvelle méthodologie super, la CNAM a d’autres études à fouetter…
- Marx, R.E., Pamidronate (Aredia) and zoledronate (Zometa) induced avascular necrosis of the jaws: a growing epidemic. J Oral Maxillofac Surg, 2003. 61(9): p. 1115-7.
- Lenart BA, et al. Atypical fractures of the femoral diaphysis in postmenopausal women taking alendronate. N Engl J Med 2008; 358: 1304–6.
- Contemporaine du présent article, une dépêche de Reuters révèle que, au grand dam des fabricants concernés, l’administration sanitaire américaine commence à se poser de sérieuses questions quant à l’utilisation prolongée de ces agents qui sont prescrits à vie chez des millions de personnes.
- J’ai oublié de dire que, dans ma présentation des effets indésirables les plus notoires des biphosphonates, je n’avais pas non plus visé l’exhaustivité.