Le 09/12/14, j’étais invité par l’Association des Cadres de l’Industrie Pharmaceutique (ACIP) pour animer un déjeuner-débat sur le thème qui m’avait été fixé: “La vaccination aujourd’hui: un débat utile?”.
On trouvera ci-après l’entrée en matière par laquelle j’ai cherché à ouvrir un débat qui s’est révélé animé…
Table des matières
En guise d’introduction
Il y avait a priori plusieurs pistes pour aborder le sujet sur lequel nous nous sommes entendus avec les inspirateurs et les organisateurs du présent déjeuner. Avant de développer celle à laquelle je me suis résolu pour aujourd’hui, permettez-moi d’esquisser rapidement d’autres possibles, ne serait-ce que dans l’espoir d’enrichir la discussion qui suivra mon exposé introductif.
- Il y aurait eu d’abord l’abord historico-anthropologique, qui eût conduit à se pencher sur les véritables guerres de religion suscitées depuis toujours par le principe vaccinal : sachant que quand je parle de fanatisme, je ne vise pas seulement les antis, mais également les pros qui, jusque dans les derniers avis du HCSP, ne craignent pas clamer que dans l’histoire de la médecine, « aucune modalité d’intervention – y compris les antibiotiques – n’a eu autant d’impact sur la réduction de la mortalité et la croissance de la population » : affirmation regrettablement péremptoire qui a le défaut de manquer de preuves et, sur certaines pathologies telles que la rougeole, d’être même contradictoire avec l’ensemble des données disponibles.
- Il y aurait eu, ensuite, la question politico-juridique, incluant les prérequis d’obligations vaccinales, le contrôle de la publicité ou le financement aussi bien des campagnes d’immunisation que des indemnisations en cas d’accident.
- Il y aurait, enfin, la question éthique centrale de notre profession (mais pas seulement elle…), justement illustrée par le contraste entre la pauvreté préoccupante de l’innovation en matière d’antibiotiques et la pléthore désopilante d’offres en matière de vaccinations, qui va désormais jusqu’à inclure dans ses promesses l’acné, le tabagisme ou l’obésité. En arrière-fond de ce contraste, on retrouve la mutation des années 1980, quand un secteur pharmaceutique jusqu’alors prestigieux – qui comptait autant de Prix Nobel que le secteur public – s’est laissé dicter sa loi par des financiers découvrant que la prévention devait permettre une rentabilité sans précédent eu égard à cette évidence qu’il y avait bien davantage de bien portants que de malades. Mais rentabilité pour qui ? Est-ce notre principe de plaisir à nous, professionnels du médicament, que de reculer devant la maladie en consacrant notre intelligence et notre savoir-faire pourtant rare au seul bonheur des actionnaires ?
Est-ce notre principe de plaisir à nous que d’appartenir à un milieu où le moindre bouffon – la moindre bouffonne – peut désormais prendre la pose du justicier pour traîner dans la boue n’importe lequel d’entre nous, quitte ensuite à aller émarger sans scrupule à la concurrence ? Est-ce notre principe de plaisir que de sacrifier à une déontologie désormais assez floue pour que les pires coups de poignard puissent venir des plus éminents responsables de nos instances professionnelles représentatives ? Est-ce notre principe de plaisir que les plus dévoués et les plus humbles de nos collègues en soient à ne plus oser entrer dans l’épicerie ou le bar du coin par crainte de se faire rétorquer haut et fort qu’une maison honorable ne sert pas les voyous ou les tueuses ?
Évaluation des vaccins
Mais j’en viens à la piste que j’ai choisie, au moins pour commencer aujourd’hui, celle de l’évaluation au sens le plus technique du terme : avec les vaccins, quel bénéfice, quel risque, quel rapport bénéfice/risque en un mot ? Il est frappant que, pour élémentaires qu’elles soient aux yeux d’un spécialiste de la pharmacie industrielle, ces questions soient le plus généralement esquivées, ou maltraitées, par la plupart des responsables en charge de l’évaluation ou de la politique vaccinale. Incidemment, on touche ainsi du doigt cette formidable source de conflits d’intérêts que mon prédécesseur, l’excellent Lionel Benaiche, n’a peut-être pas eu l’occasion d’aborder : l’incompétence technique – qui, plus encore que les intérêts financiers, ouvre la voie aux arrangements les plus douteux à l’endroit de la vérité ou des bonnes pratiques.
Les bénéfices
Parmi les principales difficultés auxquelles se heurte l’évaluation des bénéfices vaccinaux, on citera :
- le caractère très retardé des événements-cibles, contraignant à l’utilisation de marqueurs de substitution (taux d’anticorps, lésions réputées précancéreuses…) dont la pertinence est notoirement incertaine : semblable incertitude peut être acceptable quand il s’agit de lutter contre une maladie immédiatement grave (cancers, SIDA…), elle est bien plus problématique dans une perspective préventive tournée vers des populations en parfaite santé ;
- le relatif débraillé des études de dose-ranging, normalement destinées à déterminer la bonne posologie de n’importe quel nouveau médicament et dont l’expérience atteste qu’elles sont assez inadéquates en vaccinologie pour justifier des modifications parfois spectaculaires des recommandations en matière de rappel : cela paraît aller de soi dès lors que des vaccins sont concernés, mais n’importe quel professionnel du médicament sait qu’il s’agit là d’une situation choquante ;
- enfin, il est évident qu’une évaluation même élémentaire du bénéfice passe par une connaissance du poids sanitaire relatif à l’infection visée : or, ce n’est un secret pour personne que l’épidémiologie française souffre d’un manque criant de données fiables, alors que de telles données ne sont pas extrapolables d’un pays à un autre.
Risques
- Les essais de tolérance souffrent, eux aussi, d’un problème de durée : alors que les vaccins sont présumés exercer leurs effets immunologiques bénéfiques durant des années, voire des décennies, est-ce bien raisonnable de considérer qu’un suivi de tolérance sur quelques semaines, voire sur quelques jours, suffirait pour exclure la perspective d’effets immunologiques également retardés, mais dommageables cette fois ?
- L’expérience du développement clinique atteste que, dès qu’il s’agit de vaccins, les autorités s’accommodent de façon étrangement complaisante d’essais comparatifs opérés non par rapport à de vrais placebos, mais par rapport à des adjuvants, voire à d’autres vaccins – tous produits dont personne ne peut sérieusement soutenir qu’ils soient pharmacologiquement inactifs.
- Que dire, également, de la facilité avec laquelle diverses valences vaccinales se trouvent associées quand, avec n’importe quel autre médicament, les études rigoureuses d’interactions font partie des prérequis à toute commercialisation ?
- Alors que jusque voici peu, le développement clinique freinait des quatre fers à inclure les « espèces protégées » (femmes enceintes, enfants, sujets âgés, sujets présentant des comorbidités graves), on dirait que le balancier s’est totalement inversé avec les vaccins et que plus un sujet est fragilisé, plus il serait urgent de le vacciner – quitte à ce qu’il décède le lendemain s’il était âgé ou à ce qu’il passe la nuit sous une tente à oxygène s’il était asthmatique…
Alors que les risques qui viennent d’être évoqués relèvent d’évaluations archi-classiques et parfaitement réglementaires avec n’importe quel médicament nouveau, j’en viens maintenant à des risques assez spécifiquement vaccinaux, encore plus graves que les précédents et dont l’évaluation pose cette fois d’immenses difficultés méthodologiques.
- Alors que personne de sérieux n’a jamais contesté le risque auto-immun lié à chaque vaccin – peut-être acceptable pour prévenir une maladie effectivement grave –, la multiplication presque sans limite des vaccinations contre tout et n’importe quoi joue dangereusement avec « la mosaïque de l’auto-immunité » en augmentant arithmétiquement le risque en proportion du nombre d’immunisations administrées.
- La politique de prévention vaccinale coûte que coûte évacue la question pourtant centrale de la fonction adaptative d’infections très majoritairement bénignes : dans la discussion, je pourrai revenir à l’exemple de la rougeole, en montrant comment une politique de vaccination non réfléchie a radicalement bouleversé l’écologie d’une maladie qui, du moins dans nos contrées, était considérée comme globalement vaincue – ce qu’elle n’est manifestement plus aujourd’hui.
- Enfin, l’extension incessante des vaccinations repose sur la médiatisation forcenée de cas graves, mais tout à fait exceptionnels – “anecdotiques”, dit-on en épidémiologie. Or, la pratique du développement clinique, même correctement mené, atteste que les essais cliniques peinent à détecter les complications survenant chez moins de 1-2% des sujets exposés au médicament testé (sachant que cette puissance statistique déjà faible s’effondre encore dans les études après commercialisation). En France, à raison de plus de 800 000 naissances par an, cette zone d’ombre de 1 à 2% recouvre donc un effectif de 8 000 à 16 000 sujets par vaccin chaque fois qu’on décide de l’administrer à toute une classe d’âge (le même problème se reposant à chaque rappel…) : je ne connais pas beaucoup de pathologies visées par les vaccins actuels qui soient susceptibles de menacer spontanément un effectif aussi important – et l’idée qu’on y viendrait si on cessait de vacciner tient plus du conte à dormir debout que de la pharmaco-épidémiologie.
Conclusion
J’arrêterai donc ma brève introduction sur ce constat : à mesure que, sans raison sanitaire contraignante, on promeut des vaccins contre des pathologies dont les complications sont de plus en plus exceptionnelles, le bénéfice attendu tend de plus en plus vers zéro ; en parallèle, cependant, le risque ne peut descendre en dessous d’une limite incompressible et j’ai même essayé de vous montrer qu’en matière d’immunisation, il tendait à augmenter en proportion du nombre de vaccins administrés.
Ceux d’entre vous qui se rappellent leurs cours de math du secondaire comprendront vite mon souci : avec un numérateur (le bénéfice) qui tend vers zéro et un dénominateur (le risque) qui tend plutôt à augmenter, le rapport bénéfice/risque tend vite vers l’intolérable.