Toujours soucieux d’apporter un éclairage si possible inédit en cette époque de psychose organisée et d’incompétence cultivée comme système, je me concentrerai dans la présente contribution sur trois points qui paraissent significatifs : 1/ l’apprentissage de l’obéissance aveugle, 2/ le dévoiement de la compétence, 3/ la fin du prolétariat.
Le fidèle du présent site ne trouvera rien de fondamentalement nouveau dans les lignes qui suivent : simplement, une actualisation de mes thèmes de prédilection (qui pourraient en imposer pour des fixettes), concrétée en fonction d’un quotidien à la portée de tous. Le même lecteur fidèle aura dû noter qu’aux antipodes des philosophes « nouveaux » ou moins, je préférais l’observation du réel aux abstractions à la con1.
Table des matières
1. L’apprentissage de l’obéissance aveugle
On l’a déjà évoquée, cette obéissance obligée, mais son aspect brutal est de plus en plus flagrant, bien que les preuves d’incompétence gouvernementale se renouvellent et s’aggravent. L’exemple le plus récent à l’heure où j’écris, c’est l’exigence d’un contrôle authentiquement policier pour entrer dans des restaurants d’une certaine classe, quand c’est quasiment entrée libre dans les salons de thé, dans les Mac Do et autres fast food, tous lieux où l’on peut tenir pour assuré que le niveau d’hygiène est quand même moindre (je ne parle pas du métro ni d’autres lieux de sociabilité obligée…).
Or, les tâches que l’on exécute tout en sachant pertinemment qu’elles ne servent à rien – les corvées pour rien – c’est un mode de dressage : bien classique quoique non systématique à l’époque du service militaire obligatoire, bien plus soutenu dans les bataillons disciplinaires ou l’équivalent. Un ancien de la Légion m’a raconté les marches pour rien dans la Brousse, dont l’ordre était braillé à l’improviste en pleine nuit par un galonné borné mais ultérieurement chéri des médias.
Ce qui est significatif en l’espèce (ou plutôt tragique), c’est que les éléments censément les plus « politisés » de la société s’obstinent dans leur cécité sous le prétexte des fabuleuses « libertés » cultivées par l’époque : celle de faire l’amour entre gens du même sexe, par exemple, ou celle de se mettre, par « féminisme », corps et âme au service des patrons. Qui a dit qu’on était moins panurgien quand on était homo ou quand on n’avait jamais de temps pour rejoindre le lit conjugal ?
2. Le dévoiement de la compétence
Si j’ai bien compris (il faut toujours se méfier de la façon dont les médias rapportent ou amplifient les propos des gens), Esther Duflo et Abhijit Banerjee, deux prix Nobel d’économie, se seraient prononcés pour une reprise du confinement en période de l’Avent en vue de « sauver Noël » (Le Monde, 26/09/20), sur la base d’un calcul subtil de ce qui coûterait le moins cher à la collectivité.
En l’espèce, c’est en raison de leurs travaux économiques marqués par le souci des pauvres que les deux Nobel en question bénéficient d’un fort capital de sympathie dans le public, et donc d’un pouvoir certain de persuasion.
Or, si experts qu’ils soient et pleins de compassion pour les misérables, nos deux (très) compétents-en-économie n’ont aucune compétence connue en épidémiologie – ou même en médecine. Quelque sophistiqués que soient leurs modèles économiques, ils n’ont apparemment pas eu l’idée de poser LA question : cette « pandémie » mérite-t-elle – médicalement – qu’on s’y arrête ? Des confrères aussi éminents en épidémiologie qu’Esther Duflo et Abhijit Banerjee en économie ont l’air de penser que tel n’est pas le cas. Que faire ? Pour réparer un meuble, à choisir entre un ébéniste et un professeur de tennis, je choisis a priori l’ébéniste : question de méthode… De même, pour discuter épidémiologie, je choisis les épidémiologistes de préférence aux économistes : élémentaire…
De plus, on s’excuse de rappeler que, jusqu’à plus ample informé, Noël est une fête chrétienne : on n’attend pas de deux laïcs profanes qu’ils se prononcent au sujet d’une religion dont rien n’indique, en plus, qu’ils la professent… Demande-t-on au primat des Gaules qu’il se prononce sur la date du Ramadan2 ?
Ce qui est significatif, en l’espèce, c’est le dévoiement de la notion de compétence conduisant à créditer quelqu’un d’une expertise qui ne relève manifestement pas du domaine où il a fait ses preuves. Ça rappelle ce président de la République réputé, à tort ou à raison, brillant économiste et invité, dans une émission littéraire, à pérorer sur Maupassant… Mais ces dérives se sont nettement aggravées depuis cette époque : demandez-vous pourquoi, et grâce à qui ?
Ce qui est en jeu, ce n’est rien de moins que la pérennité de « la Science » dont on oublie trop volontiers qu’elle est conditionnée par une sélection résolument antidémocratique : la promotion de ceux qui réfléchissent mieux et plus profondément que les autres, dans un certain domaine s’entend. À dire vrai, il n’y a rien d’humainement scandaleux dans un processus de sélection antidémocratique par essence : comme disait Claudel, « la tolérance, il y a des maisons pour ça »… Mais à l’heure actuelle, on le tolère plus facilement quand les heureux élus sont des chanteurs ou des sportifs dont le QI plafonne à 70 que quand il s’agit de gens qui méditent sur des questions de géométrie algébrique.
3. La fin du prolétariat
Originellement, le « prolétaire », c’est celui qui ne peut être utile à État que par sa descendance (généralement, sous forme de chair à canon ou l’équivalent3). Mais l’industrialisation a fait prendre au mot le sens de celui qui, privé de tout outil de travail, n’a d’autre choix pour bouffer (au moins un peu) que de se livrer totalement à la rapacité des employeurs : on dispose de témoignages poignants sur la crise de 1929, concernant des ouvriers réduits à une misère atroce mais qui, malgré leur chômage, se déplacent constamment avec leur trousse à outils, en souvenir des temps hélas révolus où ils pouvaient encore s’en servir. Aujourd’hui, l’image la plus saisissante de cette prolétarisation nous vient du monde agricole où, « modernisation » oblige, les paysans se voient privés de l’outil de plus fondamental (surtout pour un paysan…) : la terre et, plus encore, les moyens de l’exploiter pour se nourrir.
Cela renvoie à une ligne de réflexion déjà évoquée sur ce site, concernant le paradoxe de ces contemporains qui, tout en n’ayant pas de mots assez durs pour critiquer la politique sanitaire du gouvernement, mettent un soin jaloux à s’affubler de masques selon des modalités tellement ridicules qu’il n’est pas utile d’entrer dans le détail. Encore récemment, je discutais avec un interlocuteur pas plus bête que vous ou moi et qui, tout en me donnant raison sur la radicalité de ma critique globale, m’a décrété – évidemment sans le moindre argument sérieux – que la seule mesure importante à ses yeux, c’était le port du masque.
Il est possible que cette crispation sur une mesure dont l’idiotie devrait sauter aux yeux signe la fin de l’Histoire, ou du moins, la fin de ce processus de prolétarisation qui avait acculé la majorité des gens à une insupportable passivité : l’insupportabilité de la passivité tenant au fait qu’elle correspond à une anticipation du jour où s’imposera à nous cette passivité radicale qu’on appelle la mort.
C’est la fonction psychologique d’une activité aussi fallacieuse : alors que dans une culture d’invisibilisation des vrais scandales4 grâce à l’hypocondrie et à la médicalisation, les contemporains ont été amenés à se représenter leur propre survie comme précaire sous une menace aussi bancale qu’indéfinie décrite comme « covid », le port d’un masque s’est imposé comme le rituel magique qui permet de se sentir encore en vie : « ce que je fais est peut-être idiot, mais je fais encore, donc je survis ».
Ce qui est significatif, en l’espèce (encore une ironie de l’Histoire), c’est qu’il soit revenu à un être intellectuellement et moralement aussi falot qu’Emmanuel Macron de décréter cette apparente fin de la lutte des classes. Disant cela, on s’excuse d’être répétitif, mais il y a des raisons…
- Ce qui n’implique aucun mépris pour l’abstraction quand elle est authentique : l’inverse des mathématiques « modernes », quoi…
- Je n’ignore pas que la christianisation de la fête d’où est sorti Noël résulte, historiquement, de la récupération d’une célébration plus traditionnelle. Mais ça nous éloigne du sujet.
- Les canons à poudre n’existaient pas dans l’Empire romain.
- L’invisibilisation étant la doléance majeure des Gilets jaunes.