Table des matières
Introduction
Comme le savent mes lecteurs et pour des raisons dont je me suis dûment justifié, il est exceptionnel que, sur mon site, je laisse la parole à un contemporain (d’où la désactivation de la fonction Forum). Les mêmes lecteurs jugeront si l’exception qui va suivre est justifiée: c’est le témoignage de terrain d’une anesthésiste-réanimatrice travaillant dans un grand CHU de province, et dotée d’une solide expérience professionnelle. À une ou deux fautes de frappe près, j’ai scrupuleusement respecté l’original.
Le témoignage
Ce dont je peux témoigner sont des “bruits de couloir”, au même titre que les situations cataclysmiques rapportées sur les réas débordant de COVID. Je n’ai pas de chiffres, je ne peux même pas affirmer la surmortalité mais tout le monde voit bien qu’on marche sur la tête, à commencer par moi dans ma pratique quotidienne…
A savoir que j’ai un collègue réanimateur qui a été donner un coup de main en réa à Paris il y a quelques semaines car ils ont vraiment souffert là-bas (un type fiable, pas du genre à en rajouter). Il a dû intuber 30 patients en une semaine, ce qui n’arrive jamais : le COVID-19 peut réellement poser problème il me semble, dans certaines circonstances du moins (obésité++ ou autres co-morbidités). Je n’ai jamais entendu des histoires pareilles avec la grippe mais bon…
Quand ça a déboulé à Grenoble, c’était assez impressionnant aussi : nombreux SDRA, situation totalement inhabituelle.
(…)
C’est la gestion de la crise par l’ARS en plus du confinement qui est problématique ici : le confinement n’est pas le seul responsable.
A ce que j’ai compris, le privé avait libéré des lits pour permettre de désengorger les hôpitaux en cas d’afflux massif et de maintenir au mieux l’activité. L’ARS et la direction du CHU n’ont pas permis l’exploitation de ces lits. Ils ont préféré suspendre l’activité des blocs (la réduire au minimum) et saturer les réas du CHU.
Une réa provisoire a été bricolée dans des locaux non adaptés pour ça (conditions de sécurité non optimales) et forcément, ce sont les malades non-covid qui y ont été affectés ! Tout le monde a halluciné : en fait, quand on n’a pas le COVID, on est traité en mode dégradé…
Personne n’a compris pourquoi on n’avait pas utilisé la salle de réveil du bloc, bien plus secure, puisque de toutes façon l’activité au bloc était réduite au minimum…
La direction a affecté une grande partie du personnel paramédical des blocs opératoires (infirmiers anesthésistes et aide-soignants) en réa pour gérer les covid (procédures très lourdes d’habillage-déshabillage, ça nécessite du personnel).
Les réas de *** ont été pleines un moment (on a pris des patients du grand Est notamment) mais ça n’a jamais débordé et ça fait des semaines qu’elles sont moitié vides et les lits inoccupés mais nous avons interdiction de reprendre l’activité au bloc. Personne n’y comprend rien, ça commence à s’énerver. La direction veut laisser les infirmiers anesthésistes dans les réas car même si les lits sont inoccupés, “on ne sait jamais avec la deuxième vague”… Et comme il y avait un déficit énorme de personnel en réa avant le COVID, ça leur permet de rétablir l’équilibre sauf que…
De nombreux patients ne sont plus pris en charge, même si une bonne partie quand même est dirigée vers les cliniques. Les chirurgiens sont inquiets : suivi de cancers difficile, diagnostic différé de cancers symptomatiques. Toute la radiologie interventionnelle a été mise à l’arrêt: les radiologues sont aux abois car cette spécialité permet de traiter de façon peu agressive et efficace de nombreux patients atteints de cancer. Il y aura forcément une perte de chance et un traumatisme psychologique de devoir attendre sans être traité…
Tout est axé sur la lutte contre le COVID-19, ça en devient pathologique.
J’ai vu une jeune patiente opérée d’un cancer cervico-facial et devant aller en réa finir avec une trachéotomie (provisoire mais quand même!) car on ne voulait pas occuper inutilement (sic) une place de réa qui pourrait servir pour un COVID alors qu’il y avait des places de libres ! Un scandal…
J’ai vu un patient mis en LATA (limitation de soin) après seulement 2 semaines de réa sous prétexte qu’il ne fallait pas occuper trop longtemps les lits de réa (alors que les COVID y restent pendant des plombes).
Sous prétexte obscur de pénurie de drogues anesthésiques (personne n’y comprend rien non plus), on nous demande de faire n’importe quoi. Il faut garder les hypnotiques et les curares pour les réas.
Eviter le Propofol pour endormir les patients alors que le Propofol est notre drogue de référence. C’est un peu comme si quand vous aviez soif, vous n’aviez plus le droit de boire d’eau : seulement du ricard ou du Whisky. Perso, je m’y refuse: je continue d’utiliser le propofol.
Mes collègues endorment à la kétamine, bourrée d’effets secondaires avec hallucinations notamment, à l’étomidate mais ça ne fait pas dormir donc les inductions anesthésiques se passent mal (cette drogue est utilisée pour les personnes âgées et fragiles).
On doit éviter les curares pour intuber, on prend donc un sur-risque d’intubation difficile ou alors on utilise la célocurine qui est le curare le plus allergisant (risque de choc anaphylactique++)
On doit intuber TOUS les patients, soi-disant qu’il y a un sur-risque de contamination si on n’intube pas même pour les patients non-covid. Or, on sait que l’intubation n’est pas sans danger, quand on peut l’éviter, c’est mieux. On a dû intuber une jeune patiente pour une fibro/coloscopie, on a failli lui péter les dents car elle s’est avérée difficile à intuber…
On voit du COVID partout. Le moindre scanner un peu louche: COVID, direction zone grise. Le moindre symptôme à la con : suspicion de COVID, branle-bas de combat.
Absolument tout est attribué au covid : il n’y a plus AUCUNE logique.
J’ai aussi vu un jeune patient avec forme grave de COVID qui a été achevé par un antiviral (je ne sais plus lequel mais pas Tamiflu) : il a fait une pancréatite iatrogène.
L’utilisation du matériel dans les protocoles d’hygiène est délirante. Tout patient au bloc est COVID jusqu’à preuve du contraire. Donc à chaque induction anesthésique, on doit mettre une surblouse chirurgicale stérile à usage unique, un masque FFP2 à usage unique, etc… On les porte 2 minutes puis poubelle.
Alors que dans de nombreux centres réellement touchés par l’épidémie avec des patients COVID + (Paris par exemple où ils ont vraiment été en galère), ils n’ont pas de matériel! Nous on dilapide les stocks pour rien…
Le planning du personnel médical et para-médical depuis 2-3 mois est à devenir fou: changement quasi tous les jours sans aucune justification, affectation d’infirmiers dans des zones où ils sont parfaitement incompétents ce qui crée de l’insécurité évidente… Il y a eu toute une période où plus personne ne savait ce qu’il devait faire au bloc….
Je me dis vraiment que si *** avait dû affronter une vraie vague épidémique, il y aurait eu une mortalité monstrueuse car la gestion est réellement catastrophique alors même qu’il ne se passe pas grand-chose…
Tout ceci n’a rien à voir avec le confinement, c’est les modalités de gestion de la crise qui sont totalement débiles et délétères. Je ne sais pas si ça aura induit une surmortalité mais une surmorbidité oui.
Pour ce qui est du confinement, en garde, on voit régulièrement des défenestrations, immolations, récidive d’alcoolisme avec conséquences dramatiques… Je n’ai pas de chiffres.
Mon commentaire
-Dis, Papa, pourquoi Sibeth Ndiaye1 ne nous parle jamais de ça?
-Tais-toi et garde ton masque baissé quand tu manges.