Atelier organisé le 26/10/10, au Parlement Européen de Bruxelles, par Michèle Rivasi et Corinne Lepage (Voir le programme ci-joint).
Mon intervention s’est déroulée dans les contraintes de temps très strictes inhérentes au genre. Le compte rendu donné ci-après a été rédigé a posteriori, sur la base de mes notes: il reprend sous une forme très synthétique divers éléments dont les habitués du présent site ont déjà connaissance.
Table des matières
Introduction
Lorsqu’il n’a plus été possible de dissimuler le scandale, la tendance très majoritaire des responsables (incluant les commissions d’enquête) a été d’isoler l’affaire de la grippe H1N1 pour ne pas en reconnaître les ramifications: c’est mon engagement depuis le début de soutenir que si cette affaire est effectivement exemplaire, elle est surtout paradigmatique.
Elargir le débat
Tout particulièrement dans l’environnement du présent atelier, qu’il me soit permis de souligner, en préalable à tout, que cela n’aurait pas de sens de dissocier l’expertise de ce qui lui donne sa portée, à savoir le processus décisionnel tel qu’assumé, en l’espèce, par les politiques ou les administratifs: l’expert n’a jamais que le pouvoir que lui donnent les décideurs – même si ceux-ci préfèrent se dissimuler derrière l’expertise pour ne pas assumer leurs responsabilités. C’est dire qu’on ne peut pas parler de l’expertise sans évoquer, en particulier, la responsabilité des politiques dans:
- leur choix d’expert(s),
- leur décision de recourir à l’expertise,
- leur définition de la mission confiée aux experts,
- leur utilisation des expertises qu’ils ont commanditées.
D’autre part et toujours avec l’objectif d’élargir le débat tel qu’évoqué par le programme du présent atelier (cf. PJ), je voudrais également rappeler que les conflits d’intérêts ne sont qu’un élément parmi d’autres d’une problématique bien plus large, à savoir l’indépendance de l’expert: laquelle inclut les liens d’affiliation, de prestige, de notoriété et – sujet étonnamment négligé – la compétence de l’expert tant il est vrai qu’on est jamais autant manipulable que quand on ne sait pas. Or, il serait facile de documenter, pièces en mains, que nombre de nos “experts” sont strictement incompétents relativement aux questions technico-scientifiques sur lesquelles ils sont interrogés.
Le précédent de la grippe porcine
Concernant le cas particulier de la grippe porcine, qu’avons-nous vu?
Sur une question technico-scientifique impliquant peu de valeurs (à la différence d’autres problèmes sociétaux tels que le développement durable, la relance de l’économie, la lutte contre le chômage) et se limitant à la prévision de quelques dénombrements (nombre de victimes, taux de vaccination…), les experts se sont lourdement trompés: pour le dire rapidement, ils nous avaient menacés du pire si nous ne nous faisions pas vacciner, alors que l’échec de la campagne vaccinale ne s’est soldé par aucun drame de santé publique – et qu’on est sérieusement fondé à se demander si les rares sujets qui se sont exposés à la vaccination n’ont pas pris plus de risque que ceux qui n’ont rien fait. Bien pire: on a découvert, en sus, que tous ces experts avaient des liens d’intérêts qu’ils avaient soigneusement dissimulés, le plus souvent en flagrante contradiction avec la loi (notamment, en France, l’article L.4112-13 du code de la santé publique).
En d’autres termes, on a pu constater que les experts étaient tous nus – et qu’ils n’étaient pas beaux.
Ce nonobstant et moyennant les principes élémentaires de vérification expérimentale et de transparence (qui fondent la méthode), ces mêmes experts bafoués par le réel continuent de fonctionner avec arrogance dans la plus parfaite opacité: à ce titre, on peut dire qu’ils agissent de façon radicalement antiscientifique et que, comme ils tirent justement leur prestige de “la” science, ils se comportent tout bonnement comme des imposteurs. Moyennant quoi, ils disposent toujours de la confiance des décideurs – qui s’en remettent à eux et pour leurs commissions d’enquête, et pour la mise au point des nouvelles campagnes vaccinales; il est patent, également, qu’ils sont assurés d’une parfaite immunité, même quand ils ont outrageusement violé la loi.
J’en conclus que ces “experts” sévèrement démentis par l’expérience, profondément corrompus et obstinés dans leurs erreurs ne peuvent être des scientifiques: ils sont les hommes de paille des lobbies. En affectant de les avoir choisis (les “meilleurs experts” de Madame Bachelot) et en leur renouvelant leur confiance (comme lors des commissions “d’enquête”), les politiques ne font que couvrir de leur autorité cette usurpation.
L’intenable justification des décideurs
Il est facile de réfuter les justifications des précédents intervenants, visant à défendre leur choix d’experts.
- Il n’est pas exact que la collégialité des décisions garantisse qu’une minorité d’experts corrompus ne puisse influencer le processus décisionnel: il existe de nombreux travaux montrant que, dans un groupe, une minorité – voire un individu isolé – puisse prendre le pouvoir et que, globalement, le “penser de groupe” ne satisfait pas aux règles de la démocratie.
- Il n’est pas exact – je l’ai suffisamment démontré – que la fonction d’expert soit la sanction de l’excellence: outre la corruption, il est facile de documenter que nombre “d’experts” ne doivent leurs fonctions qu’à leur incompétence (qui fait d’eux des êtres facilement manipulables) quand d’autres, qui n’ont aucune preuve à donner de leur compétence, sont strictement ignorés – voire malmenés – par le système.
- Si personne ne peut contester à quiconque son “droit à l’erreur”, force est de constater que celles des experts mandatés par les autorités sur la grippe porcine ont systématiquement joué dans le même sens – comme par hasard favorable à leurs sponsors – alors que s’il s’était agi d’erreurs “scientifiquement légitimes”, elles auraient oscillé de part et d’autre de la vérité. En d’autres termes, les erreurs de nos experts correspondent à ce que, en statistique, on appelle un “biais” – lequel appelle nécessairement une investigation sur sa raison d’être. Elle est patente en l’espèce et s’appelle la corruption.
- Il est strictement faux que les liens d’intérêts n’influent pas sur l’indépendance: il existe, là encore, d’innombrables travaux attestant l’existence d’un “biais de financement” (funding effect) déportant les évaluations dans un sens favorable aux intérêts des instances qui ont financé les expertises ou les études.
Enfin, je ne peux laisser passer le propos des précédents intervenants que leur objectif prioritaire serait “la confiance” des citoyens – et il suffit de penser au problème des narcolepsies post-vaccinales pour se convaincre du contraire. Alors que les responsables sanitaires sont incapables de tenir un discours cohérent sur ce problème (commençant par soutenir que le nombre de cas notifiés serait inférieur au nombre de cas attendus, avant d’insinuer le contraire) ou de proposer un programme d’étude tant soit peu convaincant, ils s’empressent d’introduire les composants du vaccin litigieux dans le vaccin de la grippe saisonnière, cette fois! Vraiment, ce n’est pas la meilleure façon de retrouver la confiance des citoyens…
Faire de l’expertise
Il est amusant d’entendre les responsables sanitaires s’en remettre à une épistémologie de “l’incertitude” pour justifier rétrospectivement leurs errements décisionnels: car s’il est un concept qui faisait totalement défaut en temps réel, c’est bien celui de “l’incertitude”. Prenons l’exemple de B. Lina, l’un des experts qui, objectivement, s’est le plus trompé: au mois de septembre 2009, il cosignait un livre intitulé La vérité sur la grippe A/H1N1 (et pas plus tard qu’hier, dans Le Figaro, il revenait à la charge en imputant le désastre de la nouvelle campagne vaccinale aux contre-vérités qui circulent sur le sujet). Un mois plus tard et dans le même groupe éditorial, je publiais mon propre livre – dont je n’aurais pas à retirer une seule ligne aujourd’hui – et que j’avais sous-titré Comprendre et choisir. Eh bien je vous le dis: entre La vérité et Comprendre et choisir, il y a deux conceptions de l’expertise, et elles sont radicalement antagonistes…
L’expertise usurpée, celle que nous dénonçons, vise en fait à priver les citoyens de leur pouvoir de constat et à semer le doute sur leurs observations les plus certaines1. En France, par exemple, alors que voici 15 ans, même un professionnel de santé – médecin ou pharmacien – pouvait n’avoir jamais vu de sclérosé en plaques dans sa vie, à l’heure actuelle tout le monde connaît de tels malades dans son entourage plus ou moins proche, et il ne se passe pas une journée sans qu’on croise des jeunes en fauteuil roulant dans la rue: mais à ce constat qui saute aux yeux de n’importe qui, les responsables nous rétorquent que “les experts” (lesquels?) ont réfuté tout lien de causalité entre vaccin contre l’hépatite B et sclérose en plaques.
Par contraste, je vous propose un critère d’expertise dont vous ne cesserez d’apprécier la pertinence. Le bon expert, c’est celui dont on peut se passer: celui qui va permettre aux décideurs de se réapproprier des éléments de faits simples, aisément vérifiables par tout un chacun. Le bon expert, c’est celui qui va rendre les décideurs – en l’espèce: les politiques – plus intelligents. Et dans l’histoire de la grippe porcine, on ne peut pas dire qu’on ait vu beaucoup de politiques intelligents…
Retour sur le politique
Au chapitre “Partout où je vais, j’aime à me faire des amis”, je voudrais revenir pour conclure sur ce que je disais en introduction: cela n’a pas de sens s’interroger sur les dysfonctionnements de l’expertise en excluant la dimension politique. Car ce sont bien les politiques qui ont voté toutes les lois et réglementations mettant en péril la société, même si elles ont été inspirées par ces experts corrompus ou incompétents que nous dénonçons.
C’est aussi l’occasion de rappeler que dans l’affaire H1N1, l’OMS n’a été qu’un rideau de fumée pour dissimuler les véritables responsabilités. Allez sur le site de l’OMS, et vous y trouverez d’innombrables recommandations – visant l’alcoolisme, le tabagisme, la toxicomanie, les maladies sexuellement transmissibles, les violences sexuelles, etc. – qui n’ont certainement pas force de loi et dont tous les gouvernements se contrefoutent plus ou moins: l’organisation mondiale n’a aucun pouvoir de contrainte. Ce n’est pas l’OMS qui a évalué et autorisé des vaccins bâclés: ce sont les administrations sanitaires, celles qui ont été mises en place par les responsables politiques.
A cet égard, le médicament offre un cas d’école. Car, depuis la directive 65/65/CEE, le délabrement radical d’une législation pharmaceutique pourtant séculaire donne une image effrayante des institutions européennes et de leur potentiel destructeur relativement à des acquis de sécurité qu’on aurait pu croire définitifs. Faut-il rappeler que depuis le scandale de la grippe porcine, les parlementaires européens n’ont rien trouvé de mieux que de faire avancer vers son adoption définitive une nouvelle directive de pharmacovigilance proprement scélérate – visant tout simplement à officialiser comme la norme de tous les médicaments le lamentable bricolage qui a permis d’autoriser des vaccins antigrippaux défectueux sous le fallacieux prétexte de l’urgence?