Appliquer et faire appliquer les protocoles scolaires
Une correspondante me communique l’échange WhatsApp qui agite depuis plusieurs jours la classe de sa fille, concernant une vingtaine de familles.
Tout commence le Jour du Seigneur, un dimanche donc. Une mère écrit, à destination du groupe, que son fils, Jules, âgé de 6 à 7 ans, a fait un fébricule le samedi après-midi et qu’elle se sent moralement obligée d’avertir les autres parents : c’est sûr qu’un fébricule à 6-7 ans, c’est un état pré-apocalyptique qui appelle toutes les ressources de la solidarité collective. Dans les minutes qui suivent, c’est l’incendie : chacun y va de son grain de sel sur « le protocole » qui s’impose, en l’assortissant néanmoins de vœux concernant la santé du petit Jules – du type de ceux qu’on présente par euphémisme bienveillant quand on sait qu’un enfant est en phase terminale d’un cancer et qu’il va mourir incessamment.
Quant au fond de la discussion, pas besoin d’une description clinique de l’agonie et de ses signes : le site de l’Éducation nationale a mis au point une palanquée de diagrammes sous forme d’infographie qui envisagent tous les cas de figure – sauf celui d’une parfaite banalité (un fébricule transitoire chez un gamin de 6-7 ans): si les enfants ont moins de 11 ans et sont en primaire, s’ils ont plus de 11 ans et ont atteint le secondaire, s’ils ont des grands-parents, si un bébé vit au foyer, etc. Bref : un corpus de consignes aussi folles qu’incompréhensibles revues et corrigées par des gens qui n’ont rien compris – sidérés qu’ils se sentent devant le drame d’un fébricule transitoire chez un gamin de 6 – 7 ans.
Dans cette folie qui se poursuit à l’heure où j’écris, deux choses me frappent :
- Que des parents soient dans une telle agitation à propos d’un fébricule transitoire éclaire la grave pénurie de médecins dans laquelle est censé se trouver notre pauvre pays.
- Pas une seule voix d’homme ne s’élève dans ce caquetage invraisemblable de femmes qui sont loin d’être toutes confinées au foyer et dont certaines ont des responsabilités non anodines.
Notons que lorsque la directrice de l’école avait signalé aux parents qu’un gamin était clairement addict aux films censurés de Netflix, cela n’avait suscité aucune réaction : un potentiel précoce de tuerie en milieu scolaire chez un gamin est moins préoccupant qu’un fébricule transitoire à 6-7 ans…
Mais comme dans les grandes catastrophes ingérables – un fébricule transitoire – il faut trouver un responsable, on l’a sous la main : LA MAITRESSE qui gère le courrier électronique, forcément mal puisqu’elle ne transmet ni les consignes officielles sur la prise en charge d’un fébricule provisoire, ni – heure par heure – la situation épidémiologique de tous les cas-contact incluant les arrière-grands-parents, la cousine au quatorzième degré (qui s’est souvenue avec un peu de retard qu’il convenait de souhaiter la Bonne Année), les voisins qui avaient à goûter récemment le petit Jules ou l’un de ses copains, le petit hamster… Vice beaucoup plus grave : cette enseignante indigne est enceinte, elle a probablement plus pressant à gérer qu’un fébricule transitoire, sans parler de la fatigue… Qu’à cela ne tienne : bien qu’en plus, la maîtresse en question se tire fort honorablement de ses obligations professionnelles (apprendre aux gamins à lire et à compter), on va faire une expédition punitive au prochain Conseil d’école en dénonçant officiellement l’indignité de l’enseignante et en exigeant qu’elle soit sanctionnée, voire radiée. Qu’elle soit tondue n’a pas encore été mis à l’ordre du jour…
J’arrête là ? Ou plutôt, je laisse la parole à Jean Zay, un héros de l’école publique:
« Les écoles doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas »