À la différence des « lanceurs d’alerte » qui pullulent sur la Toile, prospèrent dans les médias les plus réactionnaires ou sont cultivés en serre dans diverses associations à l’ombre d’icônes telles qu’Irène Frachon, j’aime bien avoir un peu d’avance sur le vulgum pecus lorsque, quel qu’en soit l’écho, je prends une position publique.
Le récent procès des dirigeants de France Télécom a remis dans l’actualité médiatique une histoire sur laquelle je n’ai pas la prétention d’avoir la moindre expertise. Mais en blaireau de base (BB) parfaitement assumé, voici ce que j’écrivais.
« Lors de la diffusion sur Internet de la vidéo où le PDG aujourd’hui déchu de France Télécom se permettait un sidérant numéro de dénigrement à l’endroit de ses employés, il me semble que peu de commentateurs avaient relevé ce qui m’était alors apparu comme le trait pourtant le plus saillant de cet enregistrement : à savoir qu’au-delà de ses brocards stupéfiants d’arrogance, ce super exemplaire de discours managérial était intellectuellement incompréhensible – pour ne pas dire indigent. »
J’y ajoutais en note de bas de page l’observation suivante.
« Au moment même où s’écrivent ces lignes, le directeur France chez Atos – entreprise dirigée par Thierry Breton (le prédécesseur de Didier Lombard à France Télécom) – explique sa conception du management : « Si d’aventure, effectivement, vous constatez et que vous partagez avec les collaborateurs le fait qu’ils sont dans une difficulté réelle et qu’il vous paraît difficile, ou en tout cas qu’après les efforts qui ont été faits, il semble toujours compliqué pour eux d’atteindre les niveaux de performance qu’on attend, à ce moment-là, on souhaite mettre en place un certain nombre de programmes qui permettent de les aider de façon plus structurelle, voire, bien entendu, dans un certain nombre de cas, de leur permettre de retrouver une position sur le marché mais qui ne soit plus dans le cadre de la maison Atos. » (Rue89 Eco, 18/09/12). Plus clair et mobilisateur, tu meurs… »
C’était en 2013 : compte tenu des délais d’imprimerie, la chose avait même été écrite en 2012. Or, pour autant que ma mémoire ne me fasse pas défaut, il me semble qu’à l’époque, la médiatisation de l’affaire France Télécom avait porté sur la brutalité des dirigeants : la notion de leur incompétence n’a émergé – du moins médiatiquement – que bien plus tard, plutôt au moment du procès de ces derniers mois.
Que le support de ces propos, dont il serait difficile aujourd’hui de nier la lucidité, ait été un ouvrage apparemment sans rapport – La Brutalisation du corps féminin dans la médecine moderne (en page 146) – appelle deux remarques dont je laisse mes fidèles apprécier la pertinence.
- N’en déplaise aux experts auto-proclamés qui clament qu’on ne peut les critiquer sans s’être infligé la lecture intégrale de leur prose indigeste, c’est une question de méthode que de savoir détecter rapidement, à divers indices directs ou indirects de crédibilité1, la vacuité d’une pensée. En l’espèce, le principe de base n’a pas changé : « ce qui se conçoit bien… »
- La doxa capitaliste contemporaine, largement partagée par les médias « de gauche », n’ayant pas de mots assez dithyrambiques pour célébrer – au motif de « l’égalité » – la déportation des femmes dans la colonie pénitentiaire de l’Entreprise, on ne manque pas d’être frappé par une corrélation étrange2 : par quelle malédiction la féminisation d’un milieu professionnel se solde-t-elle presque immanquablement par une explosion de violence, dont l’incompétence managériale qui donne prétexte à cette note n’est qu’une modalité ? Les sceptiques qui préféreraient évacuer la question d’un revers de la main et s’en remettre à la finesse analytique hénaurme de Marlène Schiappa3 sont invités à méditer un autre exemple où la féminisation, incontestable, s’est soldée par une montée spectaculaire de la violence : je veux parler de l’école…
- Sachant que dans la prétendue “société du savoir”, toute démonstration publique d’incompétence fait le jeu d’un système en voie de décomposition.
- Quoi qu’ils s’en défendent parfois, les sociologues fonctionnent beaucoup sur l’étude des corrélations.
- En occultant, notamment, qu’à un moment où le gouvernement français utilise des armes de guerre pour réprimer des manifestations banales (Le Canard Enchaîné, 24/04/19), la violence sociétale est loin de se résumer aux « féminicides ». La présente note est écrite au lendemain de la marche sur le climat (21/09/19) dont la répression policière fait scandale en raison de sa brutalité injustifiée.