RÉSUMÉ – Les multiples casquettes du Professeur Joyeux (on appelle ça couramment: les “conflits d’intérêts”…) le conduisent à se présenter comme ardent défenseur des médecines “douces” tout en tirant sa légitimité scientifique de son activité dans l’une des spécialités les plus “dures” (je devrais dire: les plus brutales) de la médecine, la cancérologie. Quoique majeure, cette contradiction n’est pas faite pour gêner les Narcisses contemporains trop heureux d’apaiser leur hypocondrie inextinguible derrière l’illusion qu’on pourrait s’empiffrer de traitements qui ne sont pas dangereux – illusion à laquelle Joyeux contribue de toutes les forces qui lui restent entre une chimiothérapie et une mammectomie… Comme parfaitement attendu, notre diatribe contre sa pétition incongrue a donc stimulé les protestations de ceux qui, plutôt de s’interroger sur les tares de la médicalisation, préfèrent s’en remettre aux “experts” – type Joyeux – qui leur indiquent la voie pour assouvir leur soif de soins continuels sous l’assurance que ça ne leur fera pas de mal. Les lignes qui suivent visent seulement à clarifier l’idyllique tableau des médecines douces/alternatives/homéopathiques, bref toutes celles qui ne font que du bon et rien de mal1 – à l’instar exact des médicaments allopathiques (des vaccins en particulier) tels qu’ils sont présentés par Big Pharma…
Table des matières
Introduction
L’excellent Michel de Lorgeril ayant publié un post appelant à signer la pétition d’Henri Joyeux, diverses personnes intervenant sur son forum – évidemment indisposées par ma position contraire – en ont profité pour se lâcher.
De ces critiques me concernant, il faudrait donc comprendre, sans esprit d’exhaustivité:
- que le style du bon Dr Girard serait “pompeux, tarabiscoté, illisible”, et évidemment indigne d’un “scientifique”;
- que “la façon de faire la cuisine etc… c’est des foutaises pour [le Dr Girard]”;
- que “sa prose diarrhéique dessert son propos” et contrevient aux recommandations de Boileau (“Ce qui se conçoit bien…”);
- que le Dr Girard “devrait quand même s’intéresser davantage aux dernières découvertes scientifiques”.
Dont acte…
Privilège de la cohérence: par ses ramifications, cette histoire de pétition, qui n’était quand même pas au coeur de mon engagement politico-scientifique, me fournit l’occasion d’une synthèse très succincte mais parfaitement ciblée, concernant une question cette fois centrale, mais que certains s’obstinent manifestement à ne pas comprendre. Dans leur hantise hypocondriaque, en effet, les narcisses contemporains obsédés par les médecines “douces” (“alternatives”, etc.) travaillent à l’intériorisation d’une vision physiologique de la vie, où la plupart des vrais problèmes sont interprétés comme relevant d’une pathologie individuelle, à ce titre justiciable d’un “traitement” politiquement anodin. Ainsi, lorsque je lis sous la plume – respectée dans ce milieu – de Michel Odoul2 que quand une personne est “harcelée dans le travail”, il convient de “se donner les moyens de le vivre un peu mieux à travers différents moyen exutoires, qui permettront d’évacuer ce stress: faire des longueurs de piscine, aller voir son praticien de shiatsu, etc.”, je ne peux m’empêcher de penser que ce qui est promu là, sans la moindre nuance de doute cartésien, c’est rien de moins qu’une alternative radicale à des réactions plus authentiquement politiques (le syndicalisme, la grève, les prud’hommes…)3. En tout état de cause, de telles recommandations “thérapeutiques” ne risquent pas de troubler le sommeil des pires des patrons-voyous…
Les promoteurs des médecines “douces” (“alternatives”, etc.) apparaissent donc bien comme les avant-coureurs d’une médicalisation profuse, ubiquitaire, extrêmement propice aux affaires de Big Pharma: dans la mesure où, d’expérience, ces promoteurs finissent en majorité4 par se tourner vers la médecine académique dès qu’ils vont vraiment mal5, force est d’en déduire que leur recours aux médecines non académiques concerne des situations bénignes où l’alternative serait tout simplement l’abstention6 – position évidemment intolérable chez des gens qui passent leur temps à s’auto-palper et qui suent d’anxiété au moindre borborygme7…
On retrouve là, en se limitant à mon domaine de compétence (la médicalisation), la formidable habileté du capitalisme contemporain à se renforcer de la pseudo-contestation des idiots utiles.
Je reproduis ci-après ma contribution postée hier sur le site de Michel de Lorgeril, en l’agrémentant simplement que quelques notes et liens utiles.
Posté chez Michel de Lorgeril
Salut, Michel.
Comme tu le sais, je ne suis pas un habitué des forums; mais il m’arrive d’y intervenir, notamment pour ne pas abandonner à mes amis la charge de me défendre contre les attaques.
La première concerne mon “illisibilité”. Ma modestie dût-elle en souffrir (et elle en souffre…), on me permettra de signaler que mon ouvrage consacré à Madame Bovary (Imago, 1995) a été publié avec le concours du Centre National du Livre (privilège rare pour un scientifique, surtout quand il est dépourvu de toute affiliation universitaire) et qu’il s’est attiré de Maurice Nadeau, dans La Quinzaine littéraire, le compliment d’être “le plus excitant des commentaires qu’ait suscités le chef-d’œuvre” : on a vu pire en matière d’illisibilité… Vieux d’une trentaine d’années aujourd’hui, mon engagement public a toujours été d’inspiration didactique (apprendre aux gens à reconnaître ce qui leur est habituellement dissimulé), mais l’expérience m’a montré que (notamment sur mes thèmes de prédilection qui concernent la foi dans les pseudo-experts, les conflits d’intérêts de tout un chacun ou l’inéluctabilité de notre condition mortelle) il se trouvera toujours des gens qui ont un intérêt patent à ne pas comprendre ce que je dis. On en a manifestement quelques-uns sur ce forum : ce n’est pas se débarrasser des experts (et des aliénations inhérentes) que de les remplacer par d’autres « experts ».
Concernant la cuisine, j’ai honte d’avouer – et surtout devant toi – d’y être effectivement nul, avec pour excuse d’avoir, en sus de tout, passé beaucoup de temps de ma vie : i) à étudier les mathématiques, ii) à me battre contre de vrais ennemis, formidablement puissants et tragiquement inépuisables (bref : pas les moulins à vent que s’inventent les « lanceurs d’alerte » à la mode). Mon propos stigmatisé ici, cependant, visait surtout la cuisine statistique : avant qu’ils ne viennent croiser le fer avec moi sur le sujet, je ne saurais mieux faire que de conseiller à mes contradicteurs de se dégrossir un peu en ce qui concerne ce qu’on appelle : i) la significativité des chiffres en sciences expérimentales ; ii) les facteurs de risque en épidémiologie8.
Plus globalement, les critiques qui me sont adressées relèvent de deux grandes problématiques que l’on retrouve constamment en ce type de débat.
- Les conditions de validité et d’extrapolabilité d’une étude. En l’espèce, il y aurait un beau livre à écrire (tu le ferais bien mieux que moi) sur l’histoire des recommandations diététiques délivrées par les professionnels de santé : ce serait un peu le musée des horreurs (j’appartiens à la génération où les médecins ont dissuadé les femmes d’allaiter leurs bébés), et nul doute que le cholestérol y occuperait une place de choix… J’ai souvenir d’un de mes maîtres, à l’Hôpital Necker (« Enfants Malades »…), ricanant à l’idée qu’il se trouvait encore des mères pour croire qu’elles donnaient « du fer » à leurs chéris en leur faisant manger des épinards ; j’ignore d’où en sont les connaissances actuelles sur le sujet mais, en tout état de cause, QUI avait fait croire aux gens qu’il y avait du fer dans cette plante ?
- J’ai bien sûr en mémoire les recommandations d’Hippocrate sur l’alimentation comme première médecine, mais à égalité avec celle-là, l’intuition d’Aristote sur l’homme comme « animal politique ». On permettra à un freudien de ricaner quand le second est occulté au bénéfice du premier, par des gens qui ont sincèrement l’air de croire que le propre de l’homme, c’est son tube digestif9, et que le symbolique (le quoi, déjà ?), c’est juste pour faire « pompeux »10…
Bien fidèlement à toi.
- Lorsque à la fin des années 1980, j’ai prétendu inventer une pratique indépendante de consulting en pharmacovigilance, j’ai bien entendu contacté les leaders de l’homéopathie: lesquels n’ont pas manqué de m’envoyer sur les roses (l’homéopathie, c’est bien connu, n’a aucun effet indésirable), alors que peu auparavant, ils n’avaient pas manqué de courtiser le spécialiste du médicament que j’étais pour chercher à obtenir mon soutien dans la fameuse histoire de “la mémoire de l’eau”: bien assez bon pour contribuer à leur promotion, mais sûrement trop nul pour participer à l’évaluation de leurs produits…
- “La maladie est une expression de la vie qui manifeste un obstacle à sa libre circulation”, Enquêtes de santé, août-sept 2010, p. 24.
- Il ne s’agit pas du tout d’une citation exceptionnelle. Postérieurement à la présente mise en ligne, je reçois cette citation de Thierry Janssen, une autre autorité des médecines dites non conventionnelles: “Quand on sait que plus de 70% des pathologies rencontrées en médecine générale sont en lien avec le stress (…) il est temps d’apprendre aux gens à vivre autrement. Cela ne passe pas par la prescription d’anxiolytiques, de somnifères ou d’antidépresseurs, mais par la recommandation de pratiquer un sport, de respirer en conscience, de méditer, d’apprendre le yoga ou le taichi (…)” (Psychologies Magazine, mars 2014; 162-4: c’est moi qui souligne). Dans l’épidémiologie véhiculée par les médecines “non conventionnelles”, de toute évidence, la lutte des classes ou l’exploitation de l’homme par l’homme n’entrent pas dans les étiologies de cette cause de “stress” pourtant notoire que l’on appelle la misère.
- Illich – c’est le seul mérite que je lui reconnaisse – ayant été à cet égard l’exception qui confirme la règle, en refusant, apparemment, de se traiter pour le cancer qui l’a emporté.
- De mémoire, je n’ai pas la notion que Sylvie Simon, l’une de leurs maîtresses à penser, soit décédée ailleurs qu’à l’hôpital – sa famille ayant même cru bon de publier un communiqué pour remercier le personnel soignant. À quoi bon vomir le système toute sa vie durant, pour se tourner vers lui quand la vie s’en va?…
- Sachant que les rhumes de cerveau tendent spontanément à s’amender, même sans recours au chou neuf mariné dans du purin ancien, ou aux granulés miraculeux de Little Pharma; quant aux maux d’estomac des gamins qui détestent l’école, et dont la prise en charge homéopathique rassure, voire conforte, les matriarches contemporaines…
- Je passe ici sur un aspect évoqué dans mon précédent article et qui concerne la promotion commerciale des médecines douces, laquelle, par ses excès tragi-comiques et son charlatanisme, n’a rien à envier (bien au contraire) à celle des visiteurs médicaux les moins scrupuleux.
- Ce sera un grand jour quand les bouffons d’Internet s’astreindront au minimum de formation qui leur permettrait d’exploiter à bon escient la formidable (je pèse mes mots malgré ma “diarrhée”) richesse documentaire d’Internet, au lieu de dénoncer comme “non scientifique” ceux qui savent aller plus loin que le premier clic de souris sur la Toile.
Ainsi de cet autre intervenant sur le forum de Michel de Lorgeril, qui croit bon de me remontrer doctement que les renvois de mon article sur Joyeux “sont relatifs à des articles parus dans la presse ( Midi libre ou autres…) mais pas à des articles sur des études parus dans des revues scientifiques que on peut vérifier sur les sites spécialisés”. Le gars-là, qui se présente apparemment comme expert judiciaire (on connaît mon admiration sans borne pour les experts judiciaires), a bien compris – mais vaguement – qu’il y avait en science des exigences de référencement; mais ce qui lui passe manifestement au-dessus, c’est que: i) il est reproché à Joyeux de n’avoir aucune compétence en vaccinologie ou en pharmacovigilance et le reproche se fonde, justement, sur l’absence de publications émanant de lui “dans les revues scientifiques”; ii) dans la mesure, secondement, où il lui est reproché de faire un cirque médiatique sur ce qu’il ne connaît pas, c’est bien à partir des médias grand public (type: Midi Libre) que l’on peut reconstituer ce qu’il a dit. À l’évidence, ce n’est pas sur Internet que l’on apprend à raisonner… Accessoirement, l’allusion assez pataude à “des revues scientifiques que l’on peut consulter sur des sites spécialisées” laisse craindre que mon contradicteur n’ait pas une grande pratique de la recherche documentaire en médecine ou en sciences. - Giula Enders. Le charme discret de l’intestin, Actes Sud, 2015. La 4e de couverture de cet ouvrage écrit, comme par hasard, par une étudiante en médecine, définit clairement le sujet: “si tout se jouait dans l’intestin?” (c’est moi qui souligne).
- Apparemment fort médiatisé depuis sa parution en avril 2015, troisième meilleure vente sur le site Amazon en y ayant suscité sur deux mois seulement près de 60 commentaires clients (généralement fort élogieux), le livre sur l’intestin cité à la note précédente a notamment motivé un article très favorable du journal 20 Minutes (14/04/15), publié sous un titre qui ne cache pas la couleur: “L’art du bien chier”. Mon intuition de freudien borné me conduit à penser que c’est probablement dans les lecteurs les plus passionnés par ce type d’ouvrage que se recrutent les internautes qui me reprochent mon “illisibilité”. Ce, d’autant qu’une brève recherche sur Internet révèle que le pseudonyme de mon contradicteur le plus véhément (et qui affiche si complaisamment sa dévotion à l’égard de Boit-l’eau), concerne un gars ayant choisi comme première caractérisation personnelle : “amateur de Sauternes et de foie gras”. On est clairement dans le débat philosophique!… Je suis désolé de l’avoir arraché à ses sujets de prédilection et, pour réparer mon incongruité, j’attends avec humilité qu’il veuille bien nous fournir sa marque préférée de papier hygiénique: sachant de plus que, eu égard à ma “prose diarrhéique”, ça pourrait s’avérer drôlement utile.