Notification spontanée et codage
Par les temps qui courent où les gens sentent peser la menace d’une vaccination obligatoire, je reçois régulièrement des listings de l’Agence française, des autorités européennes ou américaines, supposés faire le bilan des effets indésirables de tel ou tel vaccin. L’enjeu, selon le correspondant qui me les envoie, étant de prouver soit que les vaccins en question sont parfaitement bien tolérés, soit qu’ils sont d’une intolérable toxicité. Disons-le tout net pour aller à l’essentiel : ces listings ne prouvent rien du tout et c’est justement la perversité du système – donner l’illusion d’une surveillance, alors que rien n’est surveillé.
C’est une erreur historique que l’on doit à Inman, à la fin des années 1970, que pour ne pas passer à côté de quelque chose d’important, on allait recenser tous les événements indésirables survenus chez un patient recevant un traitement médicamenteux. J’ai longuement écrit sur le sujet en soulignant que le processus d’analyse scientifique passait par une sélection des données pertinentes moyennant l’élagage du reste : parmi tous les phénomènes qui peuvent se dérouler dans le corps d’un patient, quels sont ceux qui doivent éveiller l’attention ? Quand un gamin a mal au ventre (événement banal comme le confirmerait tout parent), à partir de quel moment doit-on s’inquiéter et redouter une appendicite, une invagination, ou quoi que ce soit de sérieux ? À partir de quel moment doit-on redouter une pathologie chronique de type Crohn ?…
Mais quid des descriptions tellement fantaisistes qu’elles mutilent le réel pathologique. C’est un phénomène d’expérience, par exemple, que les hypocondriaques se plaignent des réactions les plus banales, indûment dramatisées : nez bouché, gastralgies, troubles du transit, etc1.
Cette confusion consécutive au refus d’élaguer est encore aggravée par cette autre vérole de la recherche clinique qu’on appelle le codage : au lieu de réfléchir à la signification clinique des troubles et de les regrouper en fonction de cette signification, on les consigne avec une obsessionnelle fidélité littérale.
Prenons l’exemple (tiré de l’expérience) des thérapies de désensibilisation chez les sujets allergiques : il s’agit d’habituer l’organisme à tolérer l’allergène mis en cause. “Cela se fait après une phase initiale d’administration de doses croissantes d’allergènes purifiés, jusqu’à obtention de la dose maximale efficace qui permettra cette induction de tolérance pour obtenir à terme une réduction voire une disparition de la sensibilisation à l’allergène.
L’inconvénient le plus redouté de ce traitement, c’est que l’introduction de l’allergène même à petite dose ne provoque un choc, via la brèche cutanée inhérente à l’injection de l’allergène (voie épicutanée). D’où l’idée prétendument géniale d’avoir recours à la voie sublinguale, qui évite toute brèche dans la barrière cutanée. Cela a l’air très malin, mais j’ai personnellement vu le cas d’un jeune couple où la fille était connue comme sévèrement allergique aux cacahuètes et qui a failli mourir un jour à l’apéro, quand son chéri l’a embrassée alors que lui-même avait sur les lèvres de la poussière des cacahuètes qu’il venait de déguster… Le personnel du SAMU avait gardé un souvenir très cuisant de cet épisode…
Dans mon exemple tiré de la vie réelle, on compare en aveugle un nouveau traitement et un placebo. Si l’on étudie la liste des « événements » rapportés, on voit que les patients sous placebo ont des symptômes apparemment très banals (dyspepsie, nausées, toux, démangeaisons) alors que ceux sous produit actif ont les mêmes, mais en bien plus grand nombre (20 sous placebo, 94 sous produit actif). Ce qui attire l’attention, ce n’est donc pas leur nature (qui est dissimulée par le protocole expérimental), c’est d’une part cette disproportion numérique, d’autre part la sémiologie noyée dans un codage idiot : un œdème de Quincke, particulièrement évocateur dans le contexte, peut perdre sa signification sous le code « laryngite ». Et quitte à voir des laryngites à la place d’une irritation laryngée, on peut aussi coder cette irritation éminemment suspecte en « infection des voies respiratoires supérieures », ou « œdème de la bouche », ou encore « soif » (quand ça brûle un peu la bouche) qui n’ont plus rien de suspect.
On a donc un essai clinique où le groupe sous produit actif a développé des manifestations très inquiétantes d’intolérance de type anaphylactique qui sont passées totalement inaperçues alors qu’elles n’étaient pas intercurrentes, mais au cœur des intolérances redoutées. Sur la base d’un regroupement de telles études, il s’est même trouvé un consensus d’experts (« conférence de consensus ») de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour proclamer la parfaite sécurité du médicament2.
Conflits d’intérêts masqués, incompétence, inconscience relativement aux risques : le train-train de la corruption pharmaceutique… Il en résulte aussi que le critère d’une recherche clinique fiable et « scientifique », ce n’est pas l’essai randomisé en double aveugle contre placebo : la randomisation peut être ratée ou impossible, l’aveugle peut avoir des trous, le placebo peut n’être pas si inerte que ça… Bref et pour tout dire : aucune « méthode » ne peut dispenser de réfléchir… La médecine n’est pas une science, et il serait temps de s’en aviser contre ceux qui proclament le contraire.
- J’ai connu le cas d’un homme qui allait religieusement faire sa crotte tous les matins à 6h30 et qui a rapporté une « diarrhée » parce que sous traitement, il allait à la selle à 6h15…
- Détail piquant : tous les « experts » supposés représenter l’OMS travaillaient à un titre ou un autre (investigateurs, consultants…) pour le fabricant…