Apprendre à penser
Le moment de la retraite n’est pas triste pour un homme qui a passé sa vie à lire et écrire sur un rythme tellement effréné qu’il n’a guère eu le temps de se consacrer aux questions de style : or, quand on sait à peu près quoi dire, il est important de méditer sur le comment…
La bonne ville de Laval est précieuse à cet égard, avec un fonds documentaire assez fabuleux d’ouvrages éventuellement hors de prix, parfois introuvables car fort anciens et des facilités de prêt qui laissent rêveur l’habitué des bibliothèques universitaires : cinq ouvrages, pour cinq semaines, et facilement renouvelables…
Cependant, ce lieu merveilleux vient d’annoncer qu’il limitait l’accès à la présentation d’un pass sanitaire. La dernière fois que j’y étais allé (pour renouveler mon inscription, justement), j’avais failli me mêler d’une conversation où un type dissertait avec une assertivité d’allure toute cléricale sur la nécessité d’imposer ce gadget idiot – sans une once de justification sérieuse. Cause toujours avais-je pensé : les gens d’ici ne sont pas aussi cons que toi pour s’embarquer dans un truc pareil.
Non contente de promouvoir cette disposition débile, la Bibliothèque Diocésaine – en parfaite phase avec les autres bibliothèques du coin, vient d’annoncer qu’elle conditionnait son accès au gadget idiot dont nous parlons. Mieux, elle assortit sa condamnation d’un discours dément, dont on aurait pu penser qu’il était sorti des esprits depuis – au moins – la fin de l’Inquisition (ou des guerres de Vendée).
Grands dieux, ai-je pensé : une bibliothèque n’est-elle pas par excellence un lieu pour former les esprits (et je me rappelais mon émotion quasi religieuse en visitant la Bodleian à Oxford). Et comment, avec la responsabilité quasi sacrée d’une telle mission, les esprits les plus éminents ont-ils pu se laisser contaminer par la phobie d’un virus dont les méfaits ont été fabriqués par les porte-parole les plus débiles ou les plus pervers de l’époque ?
Comment s’appelait déjà cet esprit fort dont on trouve les œuvres dans toutes les bibliothèques de notre Pays, et qui sermonnait ses contemporains : « avant donc que d’écrire, apprenez à penser »…