Régulièrement et pas plus tard qu’il y a une dizaine de jours, je reçois des messages m’interrogeant sur la possibilité « d’agir en justice » pour obtenir l’annulation des décisions administratives déremboursant l’homéopathie, malgré dix ans de traitement « avec un bénéfice certain validé par mon médecin spécialiste » et l’absence d’option thérapeutique autre que les benzodiazépines, la venlafaxine, la paroxétine, dont les bénéfices ont d’ailleurs été dûment reconnus par la DGS, l’HAS, le Collège National des généralistes Enseignants (CNGE), l’Académie Nationale de Médecine et de Pharmacie.
En soi, il y aurait toute une critique à écrire – ou à réécrire – sur le contraste entre l’assertivité de cette femme et la débilité crasse de son propos : à titre de minuscule illustration et abstraction faite de mon mépris notoire pour des instances comme la DGS, la HAS ou les Laboratoires Boiron, je me contenterai de dire qu’à ma connaissance, il n’existe pas dans notre pays une « Académie Nationale de Médecine ET de Pharmacie » (pour la raison simple que médecine et pharmacie sont des métiers parfaitement distincts). Et quitte à jeter un œil authentiquement médical sur ces doléances, je constaterai qu’un cocktail psychotrope chronique associant, et durant dix ans, « benzodiazépines, venlafaxine et paroxétine » signe à la fois une certaine sémiologie de ma correspondante ainsi que le remarquable laxisme du ou des confrères qui ont prescrit ça.1
À ce stade pourtant très initial de la discussion et eu égard à l’énergie que j’ai consacrée à tous ces problèmes manifestement en vain, il serait légitime pour moi d’envisager un suicide… Mais il me paraît plus utile de saisir l’occasion de refaire un point sur les biais cognitifs qui entretiennent dans le public des illusions dont ce message est la parfaite illustration.
Commençons par la notion pourtant basique de « régression vers la moyenne », qui rend compte du phénomène suivant : si une variable est extrême à sa première mesure, elle va généralement se rapprocher de la moyenne à sa seconde mesure. Soit un stand de tir. On ne peut pas, sauf quand on s’appelle Lucky Luke, atteindre à chaque fois le centre de la cible : les impacts de balle vont se distribuer autour du centre, parfois très près, parfois plus loin. Transposons à la maladie, avec un enfant souffrant d’eczéma. Le jour où va se développer une poussée plus forte que d’habitude, on va emmener le gamin chez l’homéopathe, qui va s’empresser de prescrire un traitement. La poussée suivante étant généralement moins forte, les parents auront tendance à imputer ce mieux (purement dû au hasard) au traitement en question. L’intensité des poussées devenant moins forte, les parents vont s’y habituer plus ou moins, et se contenter de mesures standard. La prochaine poussée marquée signera un nouveau recours à l’homéopathe, qui accréditera qu’il ne fallait vraiment pas baisser la garde.
La question n’est pas celle de la bonne foi ou de l’honnêteté du thérapeute : elle est celle d’une élémentaire culture statistique. C’est précisément ce type de biais qui justifie la pratique du double aveugle, significativement méprisée par les homéopathes au motif fallacieux de l’individualisation des traitements.
À cette question qui concerne le destin statistique d’un individu, on peut ajouter le destin « individuel » qui relève, lui, de l’effet placebo. C’est un fait d’expérience avec les enfants, par exemple, qu’on peut induire chez eux un bénéfice par la suggestion : souffler sur une petite brûlure, lui dire que ça ne fait pas mal, etc.
Ce même effet de suggestion peut facilement se reproduire chez des adultes : tout psychiatre un peu âgé a fait l’expérience de « lève-toi et marche ». Ce qui est frappant, c’est que ce type de miracle ne se produit pas sur toute maladie : après tout, si on croit à la toute-puissance d’un dieu, il n’y a aucune impossibilité que ce dieu puisse recoller les membres, voire la tête (la Légende Dorée est pleine d’histoires de ce type). Mais dans la vie réelle, on ne voit jamais ce type de guérison : sont sensibles aux « miracles » les troubles dont on sait parfaitement qu’ils sont influencés par le psychisme, et qui nourrissent néanmoins les très sérieuses commissions d’enquête organisées par le Vatican en préalable à une canonisation : cécité (dont on sait qu’elle peut être hystérique), paralysie (idem), tumeur (dont les évolutions sont parfois imprévisibles), maladies de peau (qui génèrent des histoires de lèpre guérie), etc. Mais un pékin dont la tête repousse, cela ne se voit jamais dans le monde réel.
Or, c’est du monde réel que je parle depuis maintenant quarante ans (au moins). Le monde où le politiquement correct a été liquidé sans état d’âme et où l’on peut ricaner sur le féminisme, sur la « théorie du genre » et autres véroles de l’époque… Un monde, bien sûr, où l’on hoquette de rire sur les PANdémies qui tuent tout le monde sans que les cimetières ne débordent…