Mon premier article un peu « sérieux » (Technical expertise as an ethical form. Towards an ethics of distance) est paru dans un journal raisonnablement réputé (Journal of Medical Ethics 1988;14:25-30), après une soumission inhabituellement prolongée suggérant que l’éditeur ne voyait pas trop où je voulais en venir. J’eus donc l’idée d’en faire la traduction ci-après, assez libre à dire vrai, espérant que je me ferai mieux comprendre dans ma langue maternelle : on est assez naïf quand on est jeune, mais à la réflexion, tout le monde ne peut pas avoir le succès de réception des penseurs hénaurmes que sont Michel Onfray, Alain Finkelkraut ou Emmanuel Macron – pour ne citer qu’eux…
À l’origine de ce texte, rien d’autre que mon étonnement de voir que les « meilleurs » médecins, les plus appréciés de leurs patients, étaient aussi ceux qui peinaient à établir un rapport d’égal à égal – avec des confrères, avec une famille, avec un conjoint. On n’était déjà pas très loin de l’escroquerie du « développement personnel ».
Sans forfanterie, je suis quand même assez frappé par la précocité et la constance des idées exprimées1 dans ce texte de jeunesse : la violence inhérente à notre médecine (notamment celle de la iatrogénie), le pouvoir médical et la nécessité d’en poser les limites, la brutalisation du corps féminin (avec la tragédie culturelle de la pilule), l’hypocrisie des pratiques « holistiques », l’expérience structurante de la maladie personnelle quand on est médecin, le risque que les mots ne soient qu’un moyen de dissimuler le vide (à l’époque, je ne pensais pas à Onfray ou à ses semblables, mais je méprisais d’instinct ceux qui parlent au lieu de faire – donc les « philosophes » de profession)…
La technicité comme forme éthique