E. Macron contre C. Julien : les choix du “Monde diplomatique” en matière de santé

RÉSUMÉ – De concert avec une propagande médiatique quasi unanime en faveur des obligations vaccinales imposées en France depuis janvier 2018, le bimestriel Manière de voir a publié, en mars-avril 2018, un article stigmatisant les résistances aux vaccins. En reprenant l’original de cet article publié par Le Monde diplomatique en 2009, on constate que cette reprise n’a pu se faire que moyennant une éloquente falsification visant à dissimuler que prestigieux mensuel de gôche était lourdement tombé dans le panneau de la fausse « pandémie » ; loin de faire amende honorable, il a auto-censuré sa référence à des experts « dignes de confiance » dont la suite a démontré qu’ils ne l’étaient pas vraiment. On s’interroge, en conclusion, sur la compulsion de la gôche à promouvoir les pires malfaisances d’un capitalisme de moins en moins contrôlable.

Introduction : union sacrée autour des vaccins

Un aimable confrère (ils ne peuvent pas tous être des blaireaux, allons !) me transmet une information sur la façon dont Facebook et Instagram « renforcent leurs efforts pour lutter contre la désinformation sur les vaccins ». A priori, ce projet n’a rien pour alarmer les gens sérieux (suivez mon regard) qui tiennent ces réseaux pour l’avatar moderne des plaies d’Égypte et qui, par conséquent, n’y vont jamais.

Mais tournons-nous vers une autre source plus susceptible de réunir les suffrages de gens sérieux (suivez encore mon regard), je veux parler du Monde Diplomatique. En mars-avril 2018, alors que l’État français est lancé dans une vaste propagande pour justifier et conforter l’extension des obligations vaccinales imposée trois mois auparavant au mépris des consultations et débats qu’il a organisés juste avant, le prestigieux journal publie un numéro de son antenne Manière de voir, intitulé de manière fort suggestive « Complots. Théorie… et pratiques » : le tout, sous une couverture non moins suggestive présentant une procession de jeunes hommes tous fringués sur le mode Mormon (costume sombre et cravate), et affublés chacun d’une boule lumineuse qu’ils transportent avec compassement, sans la moindre conscience de leur ridicule achevé. Parmi les thèmes du « conspirationnisme » ainsi satirisé d’emblée, outre le 11-Septembre, les ovnis et les délires de Staline, on trouve en bonne place les détracteurs de vaccins dénoncés avec une implacable vigueur par un certain Denis Duclos (« anthropologue, directeur de recherche au CNRS [travaillant] sur les “grandes peurs” de société »), sous un titre dépourvu d’ambiguïté : « Haro sur les vaccins ».

Le timing est parfait.

Le Diplo baïonnette au canon derrière Touraine et Hurel

Qu’on le veuille ou non, le Diplo joint sa voix, et au bon moment, à celle de tous les faussaires (incluant Les Déconneurs du Monde) qui s’acharnent à camoufler le scandale procédural (la mission Hurel), démagogique (la consultation Fischer), médical (via une désinformation érigée à l’état de système) et économique (comportant des promesses indécentes de prise en charge sur la base d’estimations financières indigentes) qui a rendu possible l’élargissement des obligations vaccinales, en décembre 2018.

« Au bon moment », mais sur la base d’un seul argument, toujours le même – « bien que le vaccin ait incontestablement sauvé ou prolongé des millions de vies » (c’est moi qui souligne) – que Marisol Touraine n’aurait pas renié1, et toujours aussi captieux (« LE vaccin » et non LES vaccins)2. Au passage et d’un point de vue épistémologique, on note que l’auteur, censément anthropologue et non vaccinologue, se voit acculé à user avec une brutalité mimant l’autorité (« incontestablement ») d’une argumentation qui ne relève pas de sa compétence ; dans le même temps, en concédant que LE vaccin peut causer des effets iatrogènes « comme toutes les techniques de soins », le dénommé Denis Duclos évacue la distinction pourtant cruciale entre soins curatifs et soins préventifs, sur laquelle on eût cette fois attendu une note au moins discrète de sa corde anthropologique3.

À côté de cette incompétence manifeste, on reste frappé, beaucoup plus simplement, par un manque de jugeote assez consternant chez un « directeur de recherche au CNRS ». Même sans entrer dans le détail de la presse économique, qui croit sérieusement que, pour autant qu’il existe, le budget promotionnel de la Ligue Nationale pour la Liberté des Vaccinations ou des autres officines anti-vaccinalistes ait quoi que ce soit de comparable avec celui des majors de l’industrie pharmaceutique mondiale4 ? Se le demander, c’est objectiver la démence partisane d’un intervenant que cette question de simple bon sens n’a même pas effleuré.

La « véritable originalité » du Diplo

Écoutons Claude Julien, un ancien et éminent directeur du Monde Diplomatique, annoncer le lancement du bimestriel Manière de voir, en mai 1984.

« [La] véritable originalité du Monde diplomatique tient à une certaine manière de voir les problèmes mondiaux. Il constate que les puissants ne détiennent certes pas le monopole de la lucidité et de la sagesse ; que les modes intellectuelles coïncident rarement, pour ne pas dire jamais, avec les phénomènes qui modèlent le monde de demain ; que les grands moyens d’information, en submergeant le citoyen sous un flot de nouvelles, le conduisent à des interprétations superficielles ; qu’il ne suffit pas de voir et d’entendre, mais qu’il importe surtout de savoir écouter pour comprendre, au prix d’un effort austère, d’une ascèse de l’esprit toujours en garde contre les multiples sollicitations qui dispersent l’attention et l’entraînent vers des conclusions hâtives, parfois drôlatiques, vite démenties par les faits ».

Avant le lancer l’hallali en montrant que dans cette reprise de Manière de voir, le Diplo joue sans vergogne la carte de la falsification, après avoir sacrifié sans inhibition décelable aux idées reçues, petite pinte de rire – en deux rasades :

  • Dans les deux contributions du Diplo que nous avons citées plus haut, le mot « incontestable » est celui qui revient le plus naturellement sous la plume de deux auteurs que, pourtant, tout sépare (l’âge, le sexe, la formation, la profession…) hormis leur foi de charbonniers dans les bénéfices des vaccins. « Effort austère », « ascèse de l’esprit » disait Julien…
  • Si l’on en croit la notice Wikipédia consacrée à Denis Duclos, ce dernier, qui s’affiche comme spécialiste des « “grandes peurs de société” », se serait spontanément lancé dans la défense des intellectuels visés (Lacan, Deleuze entre autres) par la magistrale satire antistructuraliste de Sokal et Bricmont : il est plaisant que pour traiter un sujet aussi technique que les vaccinations, parasité par un degré inédit de propagande vulgaire, un journal qui se pique de dénoncer les « modes intellectuelles » et de viser la « compréhension » au détriment de la « superficialité » ait porté son choix sur un blaireau dépourvu de la moindre compétence d’espèce et qui a complaisamment exhibé sa vulnérabilité auxdites modes5.

« Les phénomènes qui modèlent le monde de demain », mais celui d’hier aussi

Comme chacun sait, Manière de voir reprend en un bimestriel tout ou partie d’articles antérieurement publiés dans Le Monde diplomatique, parfois depuis très longtemps : il s’agit, conformément au programme de C. Julien, de pouvoir intégrer le « démenti par les faits »… L’article qui nous intéresse ici a donc été publié originalement en septembre 2009.

Publié « au bon moment », une fois encore, car on était alors en pleine psychose H1N1, quand la ministre de la santé lançait sa campagne de vaccination sur la base de mensonges caricaturaux (dont on ne sache pas que le Diplo ait relevé un seul) et d’une rhétorique délirante, restée dans toutes les mémoires 6, dont on imagine volontiers qu’elle eût pu interpeller un spécialiste des « grandes peurs » – anthropologue de surcroît. À titre de minuscule exemple parmi infiniment d’autres, qu’on me permette de citer cette introduction d’une émission diffusée sur France Culture (« Sur les Docks », 02/07/2009) dont l’alarmisme est d’autant plus éloquent que ladite émission se voulait exceptionnellement critique par rapport à la tonalité de l’époque7 (c’est moi qui souligne).

« À l’automne, nous vivrons bien davantage qu’aujourd’hui sous le signe de H1N1. Il est probable que l’hémisphère Nord soit confronté à une nouvelle vague plus forte de propagation d’un virus qui aura pu entretemps prospérer dans l’hémisphère sud où il aura peut-être gagné en virulence. Dès ce 11 juin, l’OMS a déjà déclaré l’entrée en phase VI, phase VI de la grippe H1N1, celle de la pandémie. Peut-être l’affaire sera-t-elle moins grave qu’annoncé ; elle permettra en tout cas une répétition générale de la catastrophe qu’entrevoient de toute façon les spécialistes pour un avenir proche. »

La chose ayant fait à l’époque l’objet d’une certaine médiatisation, on me permettra – j’y insiste en passant – de souligner que, en coût direct comme indirect (la désorganisation des entreprises, notamment), les moyens financiers pharaoniques mis au service dans cette campagne d’épouvante dépassaient, et largement, ceux de la LNPLV – c’est-à-dire, suivez-moi bien, des veaux décérébrés stigmatisés par Duclos pour beugler « Haro sur les vaccins »…

Le Diplo se voit donc confronté à la difficulté suivante : « la grande peur » dont il s’agit, en avril-mai 2018, de tirer parti pour conforter les nouvelles obligations vaccinales imposées par le gouvernement depuis janvier 2018, était, en septembre 2009, une de celles qui, rétrospectivement au moins, tendraient à conforter ceux qui pensent qu’il faudrait y regarder à deux fois avant de vacciner à tours de bras, pour cause de « pandémie » qui n’a jamais existé ailleurs que dans les carnets de commande des fabricants. Qu’à cela ne tienne, on va falsifier : le titre original « Psychose de la grippe, miroir des sociétés » qui aurait amené le lecteur-idéal de C. Julien à se replonger dans l’histoire de la « grippette » au risque de reconnaître au moins rétrospectivement que Le Monde diplomatique avait été solidaire et complice d’une arnaque qu’il n’a ensuite jamais reconnue ni rectifiée, va être se voir transformé par Manière de voir en « Haro sur les vaccins » qui permet d’effacer ce précédent à tout le moins problématique tout en cadrant mieux avec le nouvel agenda des arnaqueurs : convaincre le lecteur-idéal que ceux qui ont de bonnes raisons pour s’opposer au cynisme monstrueux de la bande à Macron sont de parfaits imbéciles, mais potentiellement dangereux, à l’image des Mormon fanatiques représentés en couverture8.

« Solidaire ET complice », disais-je : même en 2009, il n’était pas bien difficile de reconstituer qu’il y avait bien peu de faits et beaucoup de lucre dans « la grande peur » que l’on avait distillée autour de la grippe H1N1. Plus fort encore : l’auteur de l’article paru en 2009 citait Albert Osterhaus parmi les « spécialistes dignes de confiance », alors que l’intéressé était tellement englué dans ses conflits d’intérêts qu’il a justifié une enquête du Parlement néerlandais9. Qu’à cela ne tienne derechef : la version de 2018 a carrément fait sauter la référence à Osterhaus qui, dès l’origine (septembre 2009), permettait déjà de reconstituer la légèreté de l’auteur sélectionné par le Diplo : en témoigne le courrier que j’avais adressé au Diplo en temps réel, évidemment resté sans réponse. Si la propension aux bévues de presse10 jamais rectifiées est désormais « la véritable originalité » jadis célébrée par C. Julien, force est de constater qu’elle est singulièrement partagée dans la presse française…

Conclusion

Voici quelque temps, sans doute lassé de recevoir mes critiques11, le rédacteur en chef du Monde diplomatique m’avait fort aimablement invité à déjeuner. Alors que conformément au programme de ma première lettre, je l’exhortais à prendre la mesure politique des problèmes liés à la santé (ainsi que de leur complexité technico-réglementaire), la seule question qui semblait l’intéresser avait été : « vous êtes anti-vaccinaliste ?». La cessation de nos échanges après ce déjeuner pourtant fort courtois confirme que telle était bien la seule question qui lui parût pertinente…

Ainsi va la presse de gauche. Intraitable quand il s’agit de dénoncer les conditions de travail qui prévalent au Bengladesh, et increvable à la tâche quand il s’agit de flécher le parcours vers tous les pièges à cons indigènes d’un capitalisme de moins en moins contrôlable : brutalisation (rebaptisée « émancipation ») des femmes dans leur corps et leur force de travail, abolition des limites (rebaptisée « lutte pour l’égalité »), décervelage obligatoire (rebaptisé « démocratisation de l’enseignement »), rançonnement des pauvres par les riches (rebaptisé « droit à la santé ») moyennent une solidarité nationale à contresens et des « techniques de soin » (Denis Duclos dixit) obligatoires.

Dors-tu content, Claude Julien ?

P.S. du 15/05/20

Dans sa « Sélection d’archives » de mars 2020 (en plein coup d’État macronien sous prétexte de coronavirus), « Le Monde diplomatique » ne rougit pas de ressortir une nouvelle fois l’article indigent de Duclos consacré aux fausses phobies, une nouvelle fois sous sa forme falsifiée dissimulant que dans sa forme originale, l’auteur avait chaleureusement loué Osterhaus, l’un des pires suppôts de Big Pharma, au premier chef impliqué dans la fausse alerte H1N1 que Duclos s’attachait à crédibiliser. Il ne semble pas que pour « indépendant » qu’il aime à se présenter, « Le Monde diplomatique » ait la bonne clé pour décrypter la dépolitisation sous-jacente aux mythes de « la santé » : entre la sincérité des intentions et leur mise en pratique, il se pourrait qu’il y ait le préalable de la compétence. Rien ne permet de penser que le Diplo y satisfasse – du moins pour ce qui concerne les vrais problèmes de santé…

  1. « La vaccination, ça ne se discute pas »
  2. Dans un autre article indigent réalisé par une « journaliste », le Diplo (juin 2018) revient sur ce leitmotiv qui a l’inconvénient d’être celui des pires prédateurs du business pharmaceutique : « Désireux de rappeler les bienfaits incontestables de ce mode de prévention, le gouvernement recherche l’efficacité ». On croit savoir que des auteurs aussi éminents que Gøtzsche (dont la compétence en recherche clinique dépasse clairement celle de la pigiste moyenne) ne partagent pas cette conviction béate.
  3. Cette distinction cruciale portant sur le rapport bénéfice/risque : cela n’est évidemment pas la même chose de prendre un risque selon qu’on cherche à guérir d’une maladie effectivement contractée ou qu’on espère en éviter une à laquelle on ne sera peut-être jamais confronté.
  4. Incluant les fabuleuses dotations attribuées à l’Organisation Mondiale de la Santé pour promouvoir l’intérêt des donateurs.
  5. Modes dans lesquelles se complaît aussi le Diplo : il suffit de comparer, dans les Archives de Manière de voir, le nombre de résultats que ramènent respectivement l’interrogation sur E.P. Thompson d’une part, sur J. Lacan ou G. Deleuze d’autre part…
  6. « Le parenchyme » du bébé…
  7. À preuve que les responsables m’avaient invité et interviewé assez généreusement.
  8. Et derechef ridiculisés par l’illustration inaugurale de l’article représentant des baigneurs nus grotesquement englués dans une sorte de piège atrocement filandreux difficile à décrire (type toile d’araignée ou enchevêtrement de latex en fusion), mais qui en dit plus sur l’imaginaire des responsables éditoriaux concernant ceux qui restent sceptiques quant aux bénéfices « incontestables » DU vaccin que sur la réalité technico-réglementaire et politique du tout-vaccinal promu par Macron et sa bande.
  9. Deux scandales à l’étranger (Le Parisien, 29/10/2009)
  10. Jean-Pierre Tailleur, Bévues de presse. L’Information aux yeux bandés, Paris, Editions du Félin, 2002.
  11. Listées au chapitre Lectures pour tous/ Médicalisation/ Propagande et contre-propagande/ Médias de l’onglet « Plan du site ».