Médicaments dangereux : à qui la faute ?

A paraître le 23 mai 2011

Sang contaminé, hormone de croissance, Distilbène, cérivastatine, Vioxx, Acomplia, Avandia, Di-Antalvic, vaccins contre l’hépatite B, la grippe ou le cancer de l’utérus : les gens n’en peuvent plus de constater que rien ne change malgré l’accumulation des scandales pharmaceutiques, et qu’en plus, tout semble s’aggraver dans une ambiance révoltante d’impunité.

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Il s’agit donc de dire aux citoyens qu’ils ont raison d’être inquiets, de leur montrer que les réformes qu’on leur propose n’ont d’autre objectif que d’aggraver les conditions qui ont rendu possibles tous ces scandales, de les convaincre enfin qu’ils n’ont aucun motif sérieux de retrouver la confiance. Bref : de leur donner des éléments de fait suffisants pour inspirer leur protestation et alimenter leur résistance.

On partira le plus souvent d’expériences concrètes dont l’interprétation saute déjà aux yeux du plus profane, pour en tirer matière à une réflexion plus abstraite, tout en essayant de caractériser le rôle des principaux acteurs à l’œuvre : les médecins, les experts, les journalistes, les fabricants1

Table des matières

Introduction

S’assumant comme politique, la réflexion de mon précédent livre2 s’était d’emblée référée au climat de méfiance à l’égard des autorités tel qu’il s’était cristallisé après que les Français eurent été froidement bafoués dans leur volonté pourtant démocratiquement exprimée à l’occasion du référendum sur la Constitution européenne. Qu’il me soit permis de dire comme je suis fier d’avoir contribué à cette magnifique expression de défiance citoyenne qu’a représentée, ensuite, le lamentable ratage de l’indécente campagne vaccinale anti-H1N1 – escroquerie dans laquelle les institutions européennes ont si bien joué leur rôle au service des lobbies.

Les choses évoluant plus vite que ne le croient nos politiques, le climat dans lequel j’entends placer ce nouvel ouvrage sera celui de l’exaspération : les gens n’en peuvent plus de constater non seulement que rien ne change malgré l’accumulation des scandales, mais encore que tout semble s’aggraver dans une ambiance révoltante d’impunité. Le hasard fait que, écrivant ces lignes, je suis en train de lire l’ouvrage récent de l’économiste Jacques Généreux, La grande régression3 : je pourrais reprendre presque mot pour mot le propos de son premier chapitre – notamment lorsqu’il dénonce la « pétrification » des esprits qui réduit à l’impuissance la critique du système malgré l’évidence de ses tares et la flagrance de ses échecs.

Les déterminants généraux évoqués par J. Généreux s’appliquent évidemment au cas particulier des industries de santé. Citons sans esprit d’exhaustivité : la recherche d’une rentabilité maximale sans aucun souci de l’avenir, le remplacement d’une éthique professionnelle par une réglementation qui nourrit sa profusion tentaculaire de ses constants échecs, la privatisation de l’État (via une mainmise de fait sur l’assurance-maladie et l’administration sanitaire), « la colonisation des esprits » par l’exploitation intéressée des dérives morales contemporaines – à savoir l’obsession de jouissance à court terme et le rejet narcissique de toute limitation (à commencer par celles du corps) et de toute contrainte (à commencer par celles du transgénérationnel, du vieillissement et de la mort).

Ce nonobstant, les choses avancent… L’année suivant celle de la supercherie pandémique, la campagne contre la grippe saisonnière a débouché sur un nouvel échec, prenant au dépourvu les autorités sanitaires qui n’avaient manifestement pas anticipé que les citoyens ne sont pas aussi bêtes, ni oublieux, qu’elles l’imaginaient. C’est l’explication la plus claire de cette affaire Médiator où, à l’occasion d’un scandale minuscule toutes choses égales par ailleurs, on organise une grande cérémonie incantatoire et expiatoire visant à faire accroire aux gens qu’on les a reçus cinq sur cinq, qu’on va voir ce qu’on va voir et qu’ils peuvent se rendormir : il faudrait comprendre que, avant longtemps, on aura fait place nette pour qu’ils puissent retrouver la confiance dans un système entièrement remis à neuf et retourner, comme s’il ne s’était rien passé, dans le giron des « experts » et autres bienfaiteurs de l’humanité qui n’ont d’autre souci que la santé de leur prochain…

C’est précisément pour contribuer à l’échec de cette mystification que le présent livre a été conçu : dire aux citoyens qu’ils ont raison d’être inquiets, leur montrer que la réponse qu’on leur propose aux scandales qui les révulsent ne vise rien d’autre que l’aggravation des conditions qui ont conduit à la situation présente, les convaincre enfin qu’ils n’ont aucun motif sérieux de retrouver la confiance. Bref : leur donner des éléments de fait suffisants pour inspirer leur protestation et alimenter leur résistance. Le propos est certes inscrit dans l’actualité française, mais il s’est fixé une généralité suffisante pour être utile ailleurs que dans notre pays : mondialisation oblige…

Quoique ma précédente contribution – focalisée sur la colonisation des esprits (les fausses alertes de santé publique), la corruption du monde expertal et les perversions du principe de précaution – reste utilisable pour comprendre les scandales actuels, le point de vue adopté dans le présent ouvrage est un peu différent, et moins abstrait : on partira le plus souvent d’expériences concrètes dont l’interprétation saute déjà aux yeux du plus profane, pour en tirer matière à une réflexion plus globale, tout en essayant de caractériser le rôle des différents acteurs à l’œuvre (les médecins, les experts, les journalistes, les fabricants…).

L’exigence méthodologique reste la même, ce nonobstant : référencement, impersonnalité, théorisation.

  • Le référencement, c’est la justification transparente des sources (de telle sorte qu’idéalement, le lecteur puisse s’y reporter), de leur validité (certaines études sont clairement falsifiées), de leur pertinence (c’est un vieux truc du marketing pharmaceutique que de légitimer les allégations les plus folles par des références dont il apparaît, quand on se donne la peine d’aller les vérifier, qu’elles n’ont rien à voir4), ainsi que la hiérarchisation de leur crédibilité (certaines revues sont plus crédibles que d’autres5, certains auteurs ont une compétence plus documentable que d’autres, certaines méthodes sont plus fiables que d’autres). A ce sujet, notons que qualifier autoritairement une source de « scientifique » ou affubler son auteur d’un titre ronflant de « Professeur » (éventuellement « grand » ou « bien connu »), ce n’est pas à proprement parler ce que j’entends par validation…
  • L’impersonnalité n’empêche pas l’évocation d’expériences personnelles, mais à la condition qu’elles soient suffisamment exemplaires pour alimenter une réflexion générale propre à inspirer les autres expériences individuelles.
  • La théorisation, ce n’est pas l’extrapolation égocentrique : tel médicament m’a rendu malade, donc il est toxique ; ma copine (ma mère/ ma sœur) s’est fait diagnostiquer un cancer du sein à la mammographie, donc la mammographie est bien utile (quoi qu’en disent des cons comme qui vous savez…). Ce n’est pas non plus le verbiage fumeux dont Sokal et Bricmont ont fourni une délicieuse réfutation6. C’est un effort d’abstraction qui cherche à découvrir, par delà le cas particulier, la ou les lois qui éclaireront d’autres cas particuliers – ou, le cas échéant, d’autres expériences individuelles : c’est, par excellence, un principe d’impersonnalité.

J’ai souvent soutenu que je ne croyais pas à l’efficacité politique d’une critique se limitant à la faute des autres et que, relativement à des problèmes aussi intriqués que ceux dont nous parlons, il fallait commencer par balayer devant sa propre porte. Cette position, dont je n’ai jamais varié, appelle quelques mots d’explication eu égard au ton plutôt vif des pages qui suivent. Qu’on me permette, en effet, de rappeler que je suis médecin (chap. 1) et que je me suis toujours assumé tant comme expert7 (chap. 2) que comme professionnel de l’industrie pharmaceutique (chap. 4) ; quant au journalisme (chap. 3), si je n’ai jamais eu ma carte de presse, je pense l’avoir pratiqué au moins autant que d’autres qui s’abritent derrière cette fonction pour justifier leur prétention à intervenir dans le débat public. Il en résulte que le présent livre mérite d’abord d’être considéré comme réflexion autocritique sur trente ans d’activité multiforme.

La crise sociétale qui justifie ce livre se solde entre autres par une atroce paupérisation des gens. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que, dans la mesure du possible, le prix d’achat de cet ouvrage ne soit pas un obstacle à son acquisition. Il en résulte logiquement des limites de volume qui me contraignent à aller rapidement à ce qui me semble essentiel, tout en sacrifiant certains développements. On pourra me le reprocher. Mais, outre que – tant que la Providence me prête vie – je n’ai pas dit mon dernier mot, je cherche, dans ce travail, à disséminer des éléments significatifs généralement occultés du débat, en les reliant par le fil conducteur d’une pensée cohérente et en restant extrêmement vigilant relativement au risque de récupération.

Table des matières

Chap. 1 – Les médecins

  • Dérive vers le préventif
  • Information médicale
  • Sens des sources
  • « Le roman de la médecine »

Chap. 2 – Les experts

  • Conflits d’intérêts
  • Rôle des décideurs
  • Impunité et inamovibilité
  • Incompétence
  • L’illusion du processus collégial
  • Erreur et obstination

Chap. 3 – Les journalistes

  • Déontologie
  • Formation intellectuelle
  • Vérification des sources
  • Conflits d’intérêts

Chap. 4 – Les fabricants

  • Un monde méconnu
  • Inflation réglementaire
  • Innovation
  • Un business insolent
  • Associations de patients
  • Risque zéro

Conclusion

  1. Prix public: 9€. Il est d’ores et déjà possible de commander ce livre sur le site Amazon.fr.
  2. Marc Girard, Alertes grippales – Comprendre et choisir, Escalquens, Dangles, 2009.
  3. Paris, Le Seuil, 2010.
  4. Pilar Villanueva et coll., « Accuracy of pharmaceutical advertisements in medical journals », The Lancet, 2003, 361, pp. 27-32.
  5. Même si Internet, indubitablement, est en train de faire bouger les frontières relativement à cette hiérarchisation des supports – et l’on commence à voir des scientifiques parmi les meilleurs qui ne publient que sur la toile : il est encore trop tôt pour dire si les conséquences de cette révolution seront, ou non, favorables à la culture en général et à la science en particulier.
  6. Alan Sokal, Jean Bricmont, Impostures intellectuelles, Paris, Odile Jacob, 1997.
  7. A l’opposé de ceux qui tiennent l’expertise judiciaire pour un modèle, j’ai toujours dit, par exemple, que ma critique de l’expertise en général s’enracinait dans mon expérience judiciaire.